Crises contemporaines et non-alignement de certains Etats: Une subtile pirouette en réalité

Afriquinfos Editeur
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Pretoria (© 2023 Afriquinfos)- Face à un contexte marqué par l’intensification de la confrontation sino-américaine, notamment depuis le 24 février 2022, par l’effondrement des relations russo-occidentales, l’invocation de la guerre froide refait surface.

L’un des aspects majeurs du retour de la rhétorique de la guerre froide est l’emploi fréquent de la formule de ‘’non-alignement’’, en référence au Mouvement instauré en 1961. Il compte aujourd’hui 120 pays. et son dernier sommet s’est tenu à Bakou en 2019.

Aujourd’hui, comme à l’époque, un certain nombre d’États dits ‘’du Sud’’ refuseraient de s’inscrire clairement dans un camp ou dans un autre, et se rapprocheraient les uns des autres pour faire valoir leurs intérêts spécifiques. De même que, durant la guerre froide, l’Ouest accusait souvent le Mouvement des non-alignés (MNA) d’être instrumentalisé par Moscou, il déplore aujourd’hui que nombre d’États du Sud rechignent à s’associer aux sanctions contre la Russie et à condamner l’agression russe contre l’Ukraine.

Le non-alignement a été un mythe unificateur pour quelques pays leaders du mouvement. Même au sein des ‘’radicaux’’, des désaccords profonds existaient. Kwame Nkrumah (président du Ghana de 1960 à 1966) était bien plus hostile à l’influence des idées occidentales.

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Le mouvement connaît un certain âge d’or au début des années 1970, influençant l’agenda international, notamment en promouvant un Nouvel ordre économique international, également poussé à l’ONU par le G77, créé en 1964 pour que les pays en voie de développement pèsent dans l’organisation.

Les conflits Sud-Sud créent des tensions en 1978. Au début des années 1980, nombre d’États du Sud profitent du retour à la guerre froide consécutif à la fin de la Détente pour s’aligner davantage sur un des deux Grands, dans le but d’en tirer des bénéfices économiques et stratégiques. Certains privilégient alors des formes de construction régionale contribuant à une fragmentation du Sud. Le MNA perd de sa visibilité.

Une désoccidentalisation

Il est beaucoup question aujourd’hui de désoccidentalisation du monde et d’affirmation du Sud, à travers les pays dits «émergents».

Alors que les travaux historiques sur les relations Est-Sud au temps de la guerre froide se multiplient, la Russie rejoue elle aussi la carte de la solidarité internationale, notamment en Afrique.

La possible extension du groupe des BRICS est présentée par ses promoteurs et ses partisans comme une saine revanche du Sud, derrière le leadership de Pékin et Moscou, dans une croisade contre l’unipolarité et l’unilatéralisme des États-Unis, l’imposition des ‘’valeurs’’ occidentales et l’exportation de la démocratie, et plus largement contre la domination de l’Occident.

Que le «Reste» uni se dresse contre l’Occident suscite au sein de ce dernier des craintes – ou des espoirs – souvent excessifs. Parler de «non-alignement» permet de vanter l’«agentivité» des acteurs du Sud (qui, en fait, a toujours existé, même au temps de l’unipolarité), de prôner un monde multipolaire qui serait par nature plus stable et juste (ce qui reste à prouver), d’épouser des grands principes (égalité, justice, priorité aux questions globales, résolutions pacifique des conflits, désarmement…) qui ne sont guère respectés et parfois instrumentalisés par nombre d’États du Sud, de surévaluer la convergence des intérêts entre pays du Sud si différents entre eux (apparente déjà dans les organisations régionales).

Or il n’y a, entre tous ces nombreux pays du Sud, ni identité commune ni recherche de projet commun. Rares sont les pays qui peuvent parler à tout le monde pour éviter les fossés entre Nord et Sud et entre Occident et alignement sino-russe, comme l’Indonésie a prétendu le faire en présidant le G20 de novembre dernier… avec peu de succès.

Nombre de pays cherchent à parier économiquement sur la Chine, désormais aussi sur l’Arabie saoudite ou le Brésil, tout en continuant de se «couvrir», notamment dans le domaine de la sécurité, du côté américain.

En réalité, le jeu de la plupart des États est proactif. Il existe une vraie diplomatie des puissances ‘’moyennes’’ qui évitent l’alignement non par de grandes déclarations de principe ou à travers la participation à des grand-messes où les discours se succèdent, mais par du multi-alignement comme le fait l’Inde, qui jongle entre le Quad, les BRICS et l’Organisation de Coopération de Shanghai), ou par des diplomaties à la fois multivectorielles.

On peut toujours prétendre qu’on est retourné au monde de la guerre froide, simplifié rétrospectivement autour de quelques cartes ; mais les stratégies des pays qui jouent avec la question de l’alignement montrent bien qu’un monde avec trois ensembles distincts n’existe pas aujourd’hui.

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