Vo Nguyen Giap, stratège militaire qui rendit sa dignité au Tiers monde

Afriquinfos Editeur
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Vo Nguyen Giap (à gauche)

Il n’avait pas fréquenté les prestigieuses académies militaires occidentales comme West Point, aux Etats-Unis, Sandhurst, en Grande-Bretagne, ou encore Saint-Cyr, en France. Et pourtant, c’était l’un des plus grands stratèges militaires de tous les temps.

A preuve, n’a-t-il pas infligé des déroutes cinglantes à ce qui était alors considéré comme les meilleures armées du monde ? Des armées dirigées, justement, par des légions de généraux sorties de ces prestigieuses académies militaires occidentales. Des armées surentraînées et super-équipées, dotées de centaines de chars, d’avions, d’hélicoptères, de milliers de pièces d’artillerie ainsi que d’une intendance d’une redoutable efficacité.

Malgré tout, avec ses soldats en haillons et aux pieds nus, équipés de vieux fusils, de Kalachnikov et de rares canons, il a, à la tête de l’armée vietnamienne, défait successivement les corps expéditionnaires de la France et des Etats-Unis. Et, avant elles, fait mordre la poussière aux envahisseurs chinois. Aux Français, en particulier, il aura infligé ce qui a constitué l’une de leurs plus lourdes défaites militaires à côté de Waterloo, c’est-à-dire la prise de la cuvette de Dien-Bien Phu que les soldats de Marianne considéraient comme une forteresse inexpugnable.

Au terme de ce qui restera comme l’une des plus grandes batailles militaires de tous les temps, les combattants vietnamiens du général Vo Nguyen Giap — car c’est de lui qu’il s’agit — réussiront pourtant à s’en emparer. C’était en mai 1954. Il fallait le génie militaire de Vo Nguyen Giap, qui vient de s’éteindre samedi dernier, c’est-à-dire le 04 octobre, pour réussir une telle prouesse d’ailleurs enseignée aujourd’hui dans beaucoup d’académies militaires. Le héros est mort à l’âge de 102 ans.

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Vingt-et-un ans après Dien Bien Phu, le général Vo Nguyen Giap, membre fondateur du Parti Communiste vietnamien au côté de l’illustre Ho Chi Minh alias « oncle Ho », signait un autre coup d’éclat en réussissant cette fois-ci à chasser l’armée américaine de Saïgon rendant ainsi possible la réunification du Viêt-Nam. C’est ce stratège  qui n’a jamais fréquenté d’académie militaire mais qui, dès le lycée, a étudié les stratégies militaires des généraux vietnamiens du Moyen-Age qui ont toujours su s’opposer avec succès aux menées expansionnistes de la Chine, mais aussi la doctrine militaire de Bonaparte, ce stratège, donc, qui vient de tirer sa révérence.

La guerre du Viêt-Nam, singulièrement la deuxième, celle qui a opposé le Parti communiste du Viêt-Nam aux troupes américaines, a enflammé, des années durant, les jeunesses révolutionnaires du monde entier, en particulier celles du Tiers-monde. Aux yeux de ces dizaines de millions de jeunes — y compris américains qui se sont mobilisés comme jamais auparavant, surtout sur tous les campus du pays pour faire cesser l’intervention de leur armée au Viêt-Nam — aux yeux de ces jeunes, donc, cette guerre du Viêt-Nam avait un peu le romantisme des guérillas que menaient en Amérique latine des mouvements guévaristes s’inspirant de la doctrine du « Che ». Lequel avait d’ailleurs écrit un petit livre célèbre qui avait eu beaucoup de succès et intitulé « Créer deux, trois, de nombreux Viêt-Nam », manière de dire qu’il fallait infliger le maximum de défaites possibles à l’impérialisme américain afin de faciliter l’avènement du socialisme scientifique à travers le monde.

Vo Nguyen Giap en 2008, CC by Ricardo Stuckert (PR/ABr/Brazil), Photo diffuse sur Wikipedia
Vo Nguyen Giap
 en 2008,
CC by Ricardo Stuckert (PR/ABr/Brazil), Photo diffuse sur Wikipedia

Les défaites infligées par les combattants vietnamiens aux armées française et américaine montraient que l’impérialisme occidental n’était pas invincible et que, malgré leur armada et leur foule de généraux sortis des grandes académies militaires, malgré leurs avions bombardiers dont le redoutable B 52 américain qui fit tant de ravages dans ce pays asiatique, les puissances occidentales pouvaient être vaincues par des peuples déterminés et convaincus de la justesse des causes qu’ils défendent.

Ce n’est pas innocent, du reste, que les nationalistes algériens ont déclenché leur guerre de libération contre le colonialisme français précisément en novembre 1954, c’est-à-dire  six mois à peine après la défaite de l’armée française à Dien-Bien Phu. Nul doute que cette défaite a enhardi les nationalistes algériens. Des nationalistes algériens qui, eux aussi, ont eu quelques brillants stratèges militaires dont le fameux colonel Amirouche finalement tué par les paras français du général Bigeard au terme de ce qu’il est convenu d’appeler la bataille d’Alger.

Si le Vietnam est devenu aujourd’hui un pays indépendant qui s’est même engagé ces dernières années sur la voie de l’émergence, il le doit au sacrifice héroïque de son peuple, à la lutte acharnée que celui-ci a menée pour préserver sa dignité mais aussi et surtout au génie militaire d’un homme, le général Vo Nguyen Giap, élevé au rang de héros national et qui vient de tirer sa révérence à l’âge de 102 ans.

Les peuples du Tiers monde pleureront sans doute longtemps ce héros de la lutte anti-impérialiste et anticoloniale…

MAMADOU OUMAR NDIAYE

Le Témoin, hebdomadaire sénégalais
Édition N° 1140 (OCTOBRE 2013)

Le Vietnam fait ses adieux au héros de guerre légendaire : article sur Global Vocies