Aminata Sow Fall, Itinéraire romanesque d’une Grande Royale

Afriquinfos Editeur
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<strong style="margin-right:4px;">CC by may! from New York City.</strong>  					Aminata Sow Fall

Elle ne le dit pas souvent, mais de toutes les femmes &eacute;crivaines du continent, elle demeure celle qui porte le souffle de beaucoup de&nbsp; jeunes et vieux du&nbsp; monde.

Elle ne cherche pas une notori&eacute;t&eacute; par les m&eacute;dias et &nbsp;ne rue pas non plus &nbsp;dans les brancards &nbsp;par un discours tapageur ou racoleur comme savent si bien le faire certains de nos intellectuels. Elle, on ne l&rsquo;entend presque jamais. Elle se contente d&rsquo;exprimer sa vision du monde par ce qu&rsquo;elle sait le mieux faire. L&rsquo;&eacute;criture&nbsp;!

Elle ne le dit pas souvent, mais de toutes les femmes &eacute;crivaines du continent, elle demeure celle qui porte le souffle de beaucoup de &nbsp;jeunes et vieux du &nbsp;monde. L&rsquo;universalit&eacute; de ses romans ne fait plus l&rsquo;ombre d&rsquo;un doute.&nbsp; Aminata Sow Fall, celle que l&rsquo;on surnomme avec affection &nbsp;la Grande royale de la litt&eacute;rature s&eacute;n&eacute;galaise, s&eacute;duit &nbsp;par l&rsquo;&eacute;l&eacute;gance de sa plume. Jamais un mot de trop. Juste ce qu&rsquo;il faut &nbsp;pour se faire comprendre. Elle est loin du clinquant ou de cette race d&rsquo;intellectuels qui p&eacute;rore dans les m&eacute;dias &agrave; longueur de journ&eacute;e en se r&eacute;p&eacute;tant &agrave; l&rsquo;envi.

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&laquo;&nbsp;Il y a quelque chose de paradoxal chez vous. Vous &ecirc;tes pr&eacute;sente sur la sc&egrave;ne litt&eacute;raire sans &ecirc;tre visible. Au S&eacute;n&eacute;gal, par exemple, vous &ecirc;tes presque effac&eacute;e.&nbsp;&raquo; A cette question pos&eacute;e par une journaliste doubl&eacute;e d&rsquo;une critique litt&eacute;raire, Mme Aminata Sow Fall r&eacute;pondait avec ce sourire maternel&nbsp; qui ne la quitte presque jamais, ceci&nbsp;: &laquo;&nbsp;Cela est d&ucirc; &agrave; mon temp&eacute;rament. C&rsquo;est aussi une question de choix. Je ne fais que ce que j&rsquo;ai &agrave; faire et ce que je sais faire. Et ce que je sais faire, c&rsquo;est &eacute;crire. J&rsquo;y mets toute ma passion et mon &eacute;nergie. Je ne cherche pas &agrave; me faire voir, &agrave; me cr&eacute;er une audience. C&rsquo;est le seul domaine o&ugrave; je suis fataliste. Je ne vais pas au-devant des choses. Je suis de nature plut&ocirc;t retir&eacute;e. Je ne vais pas, par exemple, intervenir dans le domaine politique. Si je dois le faire, ce sera &agrave; travers la litt&eacute;rature&hellip;&nbsp;&raquo;.&nbsp;

Pourtant, tous ses&nbsp; romans portent le signe d&rsquo;un engagement social. Elle parle de notre quotidien, d&eacute;nonce nos travers sans se poser en donneuse de le&ccedil;ons. Nul autre auteur, mieux qu&rsquo;elle, n&rsquo;a fait ressortir dans ses &eacute;crits notre condition humaine. L&rsquo;imagination de cette grande dame des lettres est sans &nbsp;&eacute;gale pour nous faire saisir le sens de nos actes. Qui aurait pu imaginer, en effet, une gr&egrave;ve des mendiants et ses&nbsp; cons&eacute;quences&nbsp; sur nos vieilles habitudes&nbsp;? Elle cr&eacute;e une fiction romanesque &agrave; travers &laquo;&nbsp; La gr&egrave;ve des Batt&ugrave; &raquo; et, par ricochet, &nbsp;montre &nbsp;toute la duplicit&eacute; qui entoure les actes que posent les acteurs de notre vie politique. Un roman traduit en plusieurs langues et qui demeure l&rsquo;un de ses plus grands chefs d&rsquo;&oelig;uvre sans pour autant &ecirc;tre le meilleur de ses livres.

C&rsquo;est toujours &agrave; partir de faits in&eacute;dits que&nbsp; la romanci&egrave;re nous transpose dans notre quotidien. En atteste encore son autre roman, &laquo;&nbsp;Le revenant&nbsp;&raquo;, d&rsquo;une brulante actualit&eacute;.&nbsp; Un suppos&eacute;&nbsp; disparu qui assiste &agrave; ses propres fun&eacute;railles. Un pr&eacute;texte tout&nbsp; trouv&eacute; pour nous &nbsp;plonger au c&oelig;ur de notre soci&eacute;t&eacute; gangr&eacute;n&eacute;e&nbsp; par l&rsquo;hypocrisie. En effet, l&rsquo;aventure de Bakar, le h&eacute;ros de ce roman, pourrait habiter le corps de chacun d&rsquo;entre nous. Adul&eacute; du temps de sa splendeur, il tombera dans la d&eacute;ch&eacute;ance apr&egrave;s un s&eacute;jour carc&eacute;ral et va d&eacute;couvrir toute la duplicit&eacute; qui &nbsp;se loge chez l&rsquo;humain.

Le m&ecirc;me &nbsp;proc&eacute;d&eacute; est utilis&eacute; par la grande romanci&egrave;re dans &laquo;&nbsp;L&rsquo;Appel des ar&egrave;nes&nbsp;&raquo;. &nbsp;La politique est aussi pr&eacute;sente dans son corpus romanesque.&nbsp;En effet, dans &laquo;&nbsp; L&rsquo;Ex-p&egrave;re de la Nation&nbsp;&raquo; elle livre sa vision de la politique. Un roman que&nbsp; nos soit- disant politologues&nbsp; devraient lire pour d&eacute;couvrir ce que dit d&rsquo;eux &mdash; disons de la politique d&rsquo;une mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale &mdash; une femme visionnaire qui ne s&rsquo;int&eacute;resse pas seulement &agrave; la quotidiennet&eacute; mais&nbsp; a tendance &agrave; pousser la r&eacute;flexion plus loin.

Exemple&nbsp;: si l&rsquo;&eacute;migration clandestine &nbsp;a occup&eacute; tous les d&eacute;bats il y a quelques ann&eacute;es, avec notamment le ph&eacute;nom&egrave;ne des pirogues de la mort ou &laquo;&nbsp;Bar&ccedil;a et Barsakh&nbsp;&raquo;, on a tendance &agrave; oublier que Mme Aminata Sow Fall avait &eacute;crit des ann&eacute;es auparavant un roman intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Douceurs du bercail&nbsp;&raquo;et qui abordait justement ce th&egrave;me. Seulement, elle n&rsquo;y d&eacute;veloppait&nbsp; pas cette vision qui pla&icirc;t &nbsp;tant aux occidentaux et qu&rsquo;il faut adopter pour se hisser au sommet de &laquo;&nbsp; leur&nbsp;&raquo; actualit&eacute;. &nbsp; &laquo;&nbsp;Pour Douceurs du bercail, je n&rsquo;ai pas choisi un th&egrave;me d&rsquo;actualit&eacute;. J&rsquo;ai &eacute;crit ce livre en 1981 et il n&rsquo;&eacute;tait pas encore question de charters, de sans-papiers etc. Mais j&rsquo;avais d&eacute;j&agrave; per&ccedil;u la mentalit&eacute; de la jeunesse africaine &agrave; cette &eacute;poque. C&rsquo;&eacute;tait toujours du &laquo;&nbsp; on ne peut rien faire ici&nbsp;&raquo;. Et j&rsquo;ai pens&eacute; qu&rsquo;il fallait &eacute;crire pour sensibiliser. J&rsquo;aurais du mal &agrave; prouver que ce livre a &eacute;t&eacute; &eacute;crit au d&eacute;but des ann&eacute;es 80 s&rsquo;il n y avait pas ce num&eacute;ro de&nbsp;&laquo;&nbsp; Notre librairie&nbsp;&raquo; dat&eacute; de 1982 dans lequel on me demandait le sujet de mon prochain roman et o&ugrave; j&rsquo;avais r&eacute;pondu l&rsquo;immigration&nbsp;&raquo;, explique la fondatrice du Centre africain d&rsquo;animation et d&rsquo;&eacute;changes culturels (CAEC) dans la revue &laquo;&nbsp;Africultures&nbsp;&raquo;. &nbsp;

C&rsquo;est toujours &nbsp;avec un regard engag&eacute; qu&rsquo;elle d&eacute;nonce ceux qui se nourrissent de la d&eacute;tresse des autres &agrave; travers son septi&egrave;me roman, &laquo;&nbsp; Festin de la D&eacute;tresse&nbsp;&raquo;. Une fa&ccedil;on de dire que l&rsquo;Afrique doit rompre avec le cercle vicieux des pseudos projets d&rsquo;aide au d&eacute;veloppement et de la magouille encourag&eacute;e par l&rsquo;Occident. Un regard bouleversant de v&eacute;rit&eacute;s.

G&eacute;n&eacute;rosit&eacute; et partage

Ce qui grandit encore plus Mme Aminata Sow Fall, c&rsquo;est que, malgr&eacute; une production foisonnante, elle reste humble et disponible pour ses cadets. Sa&nbsp; prose &eacute;blouissante rend enthousiastes de jeunes auteurs qui lui vouent &nbsp;un respect quasi filial &nbsp;&agrave; elle qui les a matern&eacute;s &agrave; travers sa plume. Le grand &eacute;crivain congolais Alain Mabanckou&nbsp; est de ceux-l&agrave;.&nbsp; Commentaire de l&rsquo;auteure de&nbsp; &laquo; La gr&egrave;ve des batt&ugrave;&nbsp;&raquo;&nbsp;:&nbsp;&nbsp; &laquo;&nbsp;Je suis tr&egrave;s &eacute;mue de d&eacute;couvrir comment les gens me voient, me lisent et me per&ccedil;oivent. J&rsquo;ai entendu un jour Alain Mabanckou&nbsp; parler de moi comme un &eacute;blouissement. Il m&rsquo;a dit que leur g&eacute;n&eacute;ration me consid&eacute;rait comme un monument. Je suis tr&egrave;s &eacute;mue lorsque je les rencontre. Ils me portent. C&rsquo;est de la g&eacute;n&eacute;rosit&eacute;, de l&rsquo;affection et c&rsquo;est partag&eacute;&nbsp;&raquo;, disait- elle tout en douceur.

Mabanckou, mais aussi tant d&rsquo;autres lecteurs &agrave; qui la Grande royale a fait d&eacute;couvrir le sens de l&rsquo;humain. Ce&nbsp;&nbsp; sens de l&rsquo;humain qui enveloppe toute sa vie&nbsp; et qui l&rsquo;&eacute;loigne des biens mat&eacute;riels futiles, elle qui aurait pu faire montre d&rsquo;une certaine ostentation. Ses livres, ce n&rsquo;est pas pour s&rsquo;enrichir. Elle cherche plut&ocirc;t &agrave; les rendre accessibles&nbsp;&nbsp; &agrave; la bourse des lecteurs potentiels. &laquo;&nbsp; Je trouve que c&rsquo;est aberrant de vendre des livres &agrave; 12.000 ou &agrave; 51000 Cfa en Afrique. Il faut mettre le livre &agrave; la port&eacute;e du lecteur, il faut chercher &agrave; rendre le livre accessible. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs quelque chose qui a toujours &eacute;t&eacute; ma pr&eacute;occupation&nbsp;&raquo;.

Une cr&eacute;ation universelle

G&eacute;n&eacute;rosit&eacute;, humanisme et sens du partage&hellip; voil&agrave; r&eacute;sum&eacute;s les traits caract&eacute;ristiques de cette &eacute;crivaine profond&eacute;ment enracin&eacute;e et attach&eacute;e &agrave; la culture africaine. &laquo;&nbsp; &hellip;Certains auteurs n&rsquo;aiment pas l&rsquo;expression litt&eacute;rature africaine parce qu&rsquo;ils estiment que c&rsquo;est de la marginalisation. Il y a une litt&eacute;rature fran&ccedil;aise, il y a une litt&eacute;rature espagnole, pourquoi on ne veut pas qu&rsquo;il y ait une litt&eacute;rature africaine&nbsp;? Moi, &ccedil;a ne me g&ecirc;ne pas d&rsquo;aller dans une librairie et de voir mon livre au rayon litt&eacute;rature africaine. Je &nbsp;&nbsp;ne peux pas renier ma propre&nbsp; identit&eacute;. Dire que je suis s&eacute;n&eacute;galaise ne me dispense pas d&rsquo;&ecirc;tre universelle. Parce&nbsp; que&nbsp; l&rsquo;universel&nbsp; commence au fond de soi-m&ecirc;me. Tout universel part d&rsquo;un endroit pr&eacute;cis. &laquo;&nbsp;La gr&egrave;ve des batt&ugrave;&nbsp;&raquo; a &eacute;t&eacute; traduite en chinois. Je ne suis pas &eacute;tonn&eacute;e que des&nbsp; Chinois, des &ecirc;tres humains o&ugrave; qu&rsquo;ils se trouvent, prennent un livre qui est &agrave; dix mille lieues de leur pr&eacute;occupation, et s&rsquo;y retrouvent. Toute &oelig;uvre litt&eacute;raire, artistique a une vision d&rsquo;&eacute;ternit&eacute;. &nbsp;Comment &eacute;chapper &agrave; la destruction par la cr&eacute;ation artistique&nbsp;? M&ecirc;me lorsque l&rsquo;auteur ne pose pas le probl&egrave;me, ce sont ces probl&egrave;mes qui ressortent. Regardez tout ce que Mariama Ba a &eacute;crit sur la polygamie. Toutes les femmes, toutes les personnes qui ont lu son livre ne connaissent pas ces probl&egrave;mes. Mais ce qu&rsquo;elles ont per&ccedil;u, c&rsquo;est la souffrance, c&rsquo;est la condition humaine, le destin de l&rsquo;&ecirc;tre humain dans ses aspirations, dans ses oppressions, dans ses questionnements, ses &eacute;motions. Et tout &ccedil;a, c&rsquo;est humain. C&rsquo;est tout cela qu&rsquo;on partage avec l&rsquo;humanit&eacute;, avec l&rsquo;universel. La litt&eacute;rature africaine est universelle&nbsp;&raquo;, professe Mme Aminata Sow Fall.

L&rsquo;universalit&eacute; de l&rsquo;&oelig;uvre de cette Grande royale de la litt&eacute;rature ne se discute plus avec les adaptations cin&eacute;matographiques dont certains de ses livres font l&rsquo;objet en plus de leur traduction dans diff&eacute;rentes langues du monde.

Le Cirlac, implant&eacute; &agrave; Saint Louis, constitue la preuve de cette ouverture sur l&rsquo;universel puisque&nbsp; qu&rsquo;il accueille des personnes de diff&eacute;rentes nationalit&eacute;s, dont la majorit&eacute; sont des &eacute;tudiants am&eacute;ricains, pour des recherches. Mme Sow Fall s&eacute;journe d&rsquo;ailleurs fr&eacute;quemment aux Usa o&ugrave; elle&nbsp; donne des conf&eacute;rences et dispense des cours. Le sens de tout son combat se r&eacute;sume au d&eacute;veloppement, non pas mat&eacute;riel, mais humain. Cette perception de la solidarit&eacute; et du partage &nbsp;rythme sa vie &agrave; longueur de journ&eacute;e. &nbsp;Tous les jours&nbsp;!

ALASSANE SECK GUEYE

Le T&eacute;moin, hebdomadaire s&eacute;n&eacute;galais
&Eacute;dition N&deg; 1140 (OCTOBRE 2013)