Elle ne le dit pas souvent, mais de toutes les femmes écrivaines du continent, elle demeure celle qui porte le souffle de beaucoup de jeunes et vieux du monde.
Elle ne cherche pas une notoriété par les médias et ne rue pas non plus dans les brancards par un discours tapageur ou racoleur comme savent si bien le faire certains de nos intellectuels. Elle, on ne l’entend presque jamais. Elle se contente d’exprimer sa vision du monde par ce qu’elle sait le mieux faire. L’écriture !
Elle ne le dit pas souvent, mais de toutes les femmes écrivaines du continent, elle demeure celle qui porte le souffle de beaucoup de jeunes et vieux du monde. L’universalité de ses romans ne fait plus l’ombre d’un doute. Aminata Sow Fall, celle que l’on surnomme avec affection la Grande royale de la littérature sénégalaise, séduit par l’élégance de sa plume. Jamais un mot de trop. Juste ce qu’il faut pour se faire comprendre. Elle est loin du clinquant ou de cette race d’intellectuels qui pérore dans les médias à longueur de journée en se répétant à l’envi.
« Il y a quelque chose de paradoxal chez vous. Vous êtes présente sur la scène littéraire sans être visible. Au Sénégal, par exemple, vous êtes presque effacée. » A cette question posée par une journaliste doublée d’une critique littéraire, Mme Aminata Sow Fall répondait avec ce sourire maternel qui ne la quitte presque jamais, ceci : « Cela est dû à mon tempérament. C’est aussi une question de choix. Je ne fais que ce que j’ai à faire et ce que je sais faire. Et ce que je sais faire, c’est écrire. J’y mets toute ma passion et mon énergie. Je ne cherche pas à me faire voir, à me créer une audience. C’est le seul domaine où je suis fataliste. Je ne vais pas au-devant des choses. Je suis de nature plutôt retirée. Je ne vais pas, par exemple, intervenir dans le domaine politique. Si je dois le faire, ce sera à travers la littérature… ».
Pourtant, tous ses romans portent le signe d’un engagement social. Elle parle de notre quotidien, dénonce nos travers sans se poser en donneuse de leçons. Nul autre auteur, mieux qu’elle, n’a fait ressortir dans ses écrits notre condition humaine. L’imagination de cette grande dame des lettres est sans égale pour nous faire saisir le sens de nos actes. Qui aurait pu imaginer, en effet, une grève des mendiants et ses conséquences sur nos vieilles habitudes ? Elle crée une fiction romanesque à travers « La grève des Battù » et, par ricochet, montre toute la duplicité qui entoure les actes que posent les acteurs de notre vie politique. Un roman traduit en plusieurs langues et qui demeure l’un de ses plus grands chefs d’œuvre sans pour autant être le meilleur de ses livres.
C’est toujours à partir de faits inédits que la romancière nous transpose dans notre quotidien. En atteste encore son autre roman, « Le revenant », d’une brulante actualité. Un supposé disparu qui assiste à ses propres funérailles. Un prétexte tout trouvé pour nous plonger au cœur de notre société gangrénée par l’hypocrisie. En effet, l’aventure de Bakar, le héros de ce roman, pourrait habiter le corps de chacun d’entre nous. Adulé du temps de sa splendeur, il tombera dans la déchéance après un séjour carcéral et va découvrir toute la duplicité qui se loge chez l’humain.
Le même procédé est utilisé par la grande romancière dans « L’Appel des arènes ». La politique est aussi présente dans son corpus romanesque. En effet, dans « L’Ex-père de la Nation » elle livre sa vision de la politique. Un roman que nos soit- disant politologues devraient lire pour découvrir ce que dit d’eux — disons de la politique d’une manière générale — une femme visionnaire qui ne s’intéresse pas seulement à la quotidienneté mais a tendance à pousser la réflexion plus loin.
Exemple : si l’émigration clandestine a occupé tous les débats il y a quelques années, avec notamment le phénomène des pirogues de la mort ou « Barça et Barsakh », on a tendance à oublier que Mme Aminata Sow Fall avait écrit des années auparavant un roman intitulé « Douceurs du bercail »et qui abordait justement ce thème. Seulement, elle n’y développait pas cette vision qui plaît tant aux occidentaux et qu’il faut adopter pour se hisser au sommet de « leur » actualité. « Pour Douceurs du bercail, je n’ai pas choisi un thème d’actualité. J’ai écrit ce livre en 1981 et il n’était pas encore question de charters, de sans-papiers etc. Mais j’avais déjà perçu la mentalité de la jeunesse africaine à cette époque. C’était toujours du « on ne peut rien faire ici ». Et j’ai pensé qu’il fallait écrire pour sensibiliser. J’aurais du mal à prouver que ce livre a été écrit au début des années 80 s’il n y avait pas ce numéro de « Notre librairie » daté de 1982 dans lequel on me demandait le sujet de mon prochain roman et où j’avais répondu l’immigration », explique la fondatrice du Centre africain d’animation et d’échanges culturels (CAEC) dans la revue « Africultures ».
C’est toujours avec un regard engagé qu’elle dénonce ceux qui se nourrissent de la détresse des autres à travers son septième roman, « Festin de la Détresse ». Une façon de dire que l’Afrique doit rompre avec le cercle vicieux des pseudos projets d’aide au développement et de la magouille encouragée par l’Occident. Un regard bouleversant de vérités.
Générosité et partage
Ce qui grandit encore plus Mme Aminata Sow Fall, c’est que, malgré une production foisonnante, elle reste humble et disponible pour ses cadets. Sa prose éblouissante rend enthousiastes de jeunes auteurs qui lui vouent un respect quasi filial à elle qui les a maternés à travers sa plume. Le grand écrivain congolais Alain Mabanckou est de ceux-là. Commentaire de l’auteure de « La grève des battù » : « Je suis très émue de découvrir comment les gens me voient, me lisent et me perçoivent. J’ai entendu un jour Alain Mabanckou parler de moi comme un éblouissement. Il m’a dit que leur génération me considérait comme un monument. Je suis très émue lorsque je les rencontre. Ils me portent. C’est de la générosité, de l’affection et c’est partagé », disait- elle tout en douceur.
Mabanckou, mais aussi tant d’autres lecteurs à qui la Grande royale a fait découvrir le sens de l’humain. Ce sens de l’humain qui enveloppe toute sa vie et qui l’éloigne des biens matériels futiles, elle qui aurait pu faire montre d’une certaine ostentation. Ses livres, ce n’est pas pour s’enrichir. Elle cherche plutôt à les rendre accessibles à la bourse des lecteurs potentiels. « Je trouve que c’est aberrant de vendre des livres à 12.000 ou à 51000 Cfa en Afrique. Il faut mettre le livre à la portée du lecteur, il faut chercher à rendre le livre accessible. C’est d’ailleurs quelque chose qui a toujours été ma préoccupation ».
Une création universelle
Générosité, humanisme et sens du partage… voilà résumés les traits caractéristiques de cette écrivaine profondément enracinée et attachée à la culture africaine. « …Certains auteurs n’aiment pas l’expression littérature africaine parce qu’ils estiment que c’est de la marginalisation. Il y a une littérature française, il y a une littérature espagnole, pourquoi on ne veut pas qu’il y ait une littérature africaine ? Moi, ça ne me gêne pas d’aller dans une librairie et de voir mon livre au rayon littérature africaine. Je ne peux pas renier ma propre identité. Dire que je suis sénégalaise ne me dispense pas d’être universelle. Parce que l’universel commence au fond de soi-même. Tout universel part d’un endroit précis. « La grève des battù » a été traduite en chinois. Je ne suis pas étonnée que des Chinois, des êtres humains où qu’ils se trouvent, prennent un livre qui est à dix mille lieues de leur préoccupation, et s’y retrouvent. Toute œuvre littéraire, artistique a une vision d’éternité. Comment échapper à la destruction par la création artistique ? Même lorsque l’auteur ne pose pas le problème, ce sont ces problèmes qui ressortent. Regardez tout ce que Mariama Ba a écrit sur la polygamie. Toutes les femmes, toutes les personnes qui ont lu son livre ne connaissent pas ces problèmes. Mais ce qu’elles ont perçu, c’est la souffrance, c’est la condition humaine, le destin de l’être humain dans ses aspirations, dans ses oppressions, dans ses questionnements, ses émotions. Et tout ça, c’est humain. C’est tout cela qu’on partage avec l’humanité, avec l’universel. La littérature africaine est universelle », professe Mme Aminata Sow Fall.
L’universalité de l’œuvre de cette Grande royale de la littérature ne se discute plus avec les adaptations cinématographiques dont certains de ses livres font l’objet en plus de leur traduction dans différentes langues du monde.
Le Cirlac, implanté à Saint Louis, constitue la preuve de cette ouverture sur l’universel puisque qu’il accueille des personnes de différentes nationalités, dont la majorité sont des étudiants américains, pour des recherches. Mme Sow Fall séjourne d’ailleurs fréquemment aux Usa où elle donne des conférences et dispense des cours. Le sens de tout son combat se résume au développement, non pas matériel, mais humain. Cette perception de la solidarité et du partage rythme sa vie à longueur de journée. Tous les jours !
ALASSANE SECK GUEYE
Le Témoin, hebdomadaire sénégalais
Édition N° 1140 (OCTOBRE 2013)