UA : la réélection de Jean Ping bloquée, la carte d’un ex-président africain avancée

Afriquinfos Editeur
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Alors qu'un climat de morosité a envahi le nouveau siège de l'Union africiane (UA) au deuxième et dernier jour lundi du 18e sommet ordinaire des chefs d'Etat et de gouvernement après son inauguration samedi, les débats au moment ont fait jour sur la succession plus que jamais ouverte du désormais ex-président de la Commission.

Candidat à un second mandat consécutif de quatre ans après celui obtenu sans peine au premier tour en 2008, Jean Ping affrontait la ministre sud-africaine de l'Intérieur Dlamini-Zuma, ex-ministre des Affaires étrangères de Thabo Mbeki et ex-épouse du président Jacob Zuma dont le pays s'est investi dans une "campagne très agressive", de l'avis des observateurs et des sources diplomatiques. Favori des pronostics malgré tout, l'ex-ministre gabonais des Affaires étrangères du regretté Omar Bongo Ondimba a été confronté à la résistance de son adversaire qui, bien que devancée au score, ne lui a permis de l'emporter. Quatre tours de vote ont été sans succès pour le chef de l'instance exécutive sortant de l'UA.

Cette élection faisait voter 53 délégations de pays sur les 55 que compte aujourd'hui l'Afrique depuis l'indépendance du Soudan du Sud et moins Madagascar, suspendu à cause de la prise de pouvoir anti-constitutionnelle d'Ange Rajoelina, puis le Maroc, retiré de l'organisation pour désapprobation en 1982 de l'admission de la République arabe saharaoui démocratique.

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Plus d'une vingtaine de chefs d'Etat y ont pris part, un vice- président (Burundi), des Premiers ministres et, pour certains, des ministres des Affaires étrangères. Successivement, Jean Ping était arrivé en tête par des scores sur le fil et loin des 36 voix de majorité absolue requises pour l'emporter, de 28-25, 27-26, 29-24 et 32 voix enfin contre 21 bulletins nuls.

D'après les statuts de l'UA, pour un scénario de deux concurrents, le candidat mené au score à l'élection du président de la Commission se retire automatiquement après le troisième tour. C'est qu'a fait Dlamini-Zuma, mais en donnant cependant des consignes de vote contre son rival, à en croire des sources concordantes présentes dans la salle. D'où les 21 bulletins nuls enregistrés au dernier tour qui a sonné l'échec de la réélection de Jean Ping.

A sa sortie de la salle au terme de ce scrutin à vote secret, à huis clos restreint aussi inédit car réservé pour la première fois à trois membres pour chaque délégation contrairement aux précédents qui se distinguaient par des "huis clos élargis", selon des habitués de ces opérations, la ministre sud-africaine a été portée en triomphe par ses sympathisants pour ce coup de poker, célébré par son pays une victoire de sa diplomatie.

"Jean Ping a roulé pour lui et non pour le Gabon. Et son pays ne l'a soutenu que tardivement. Ali Bongo n'est pas allé au sommet de la CEEAC (Communauté économique des Etats de l'Afrique) à N'Djamena (mi-janvier, ndlr)", tentaient d'expliquer dans les couloirs du sommet des membre de délégations, les mêmes qui avant l'élection annonçaient pourtant le Gabonais vainqueur, qualifiant la démarche sud-africaine de "simple agitation".

Ils n'avaient pas totalement tort, car la plupart des analyses prédisaient une réélection du président sortant de la Commission de l'UA. Des soutiens multiples en Afrique centrale, en Afrique du Nord, en Afrique de l'Ouest jusqu'à l'Afrique de l'Est lui étaient crédités.

Pour bien d'observateurs aujourd'hui, Jean Ping payerait le prix de son opposition, à contre-courant de la position officiellement exprimée par son pays, à l'offensive euro- américaine en Libye sous couvert de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) contre le régime du colonel Kadhafi, après la même attitude manifestée au sujet de la Côte d'Ivoire.

Avec en tête la France, non contentes du "zèle" du Gabonais, des puissances étrangères instigatrices de ces actions militaires sur le sol africain ont été citées par quelques indiscrétions comme ayant pesé dans son revers électoral. Pour ces sources, le président béninois Thomas Yayi Boni, nouveau président en exercice de l'UA, aurait fait état de pressions de son homolgue français Nicolas Sarkozy pour faire échouer Jean Ping.

Au demeurant, l'impasse survenue dans la désignation du nouveau président de la Commission de l'UA a créé un précédent dans l'évolution de l'organisation. Témoignage des divisions profondes qui caractérisent les pays africains et leurs difficultés à faire chorus autour des questions cruciales, elle accentue les clivages et ouvre d'autres fractures préjudiciables à la quête d'unité et d'intégration régionale, jugent les observateurs.

De leur côté, les dirigeants africains soutiennent le contraire. "Il n'y a pas de division. Rassurez-vous, il n'y aura pas de blocage", a déclaré à la presse le président tchadien Idriss Deby Itno, après son homologue zambien Michaël Sata qui a lui aussi récusé les allégations de division, notant que "quand on va à une élection il faut toujours s'attendre à ce qu'elle divise les gens".

A cause du blocage, la désignation du prochain président de la Commission a été renvoyée au prochain sommet de l'Union entre juin et juillet à Lilongwe au Malawi. En attendant, une administration intérimaire va permettre de gérer les affaires courantes jusqu'à cette échéance.

De plus en plus, des noms d'anciens chefs d'Etat comme Jerry Rawlings sont avancés pour la succession de Jean Ping. De source proche de la CEEAC, c'est une éventualité déjà exprimée par le leader tchadien lors du sommet de N'Djamena de mi-janvier. Jean Ping n'a pas pu venir la surprise de dernière heure : c'est au cours de ce même sommet qu'il a été assuré du soutien de sa région d'origine.