Sani Magori, nouveau visage du film documentaire.

Afriquinfos Editeur
10 Min de Lecture

Le cinéma nigérien a un nouveau visage, un nouveau nom. C’est Sani El Hadj Magori, réalisateur, producteur et gérant de la société de production, « Magia Images ».  Il est à son troisième film documentaire. Après des années sur le terrain, l’ingénieur agronome qu’il est, tourne le dos à une casanière toute tracée pour embrasser le cinéma. Un saut dans l’inconnu ? Pas si sûr, d’autant que Sani, comme l’appellent affectueusement les cinéphiles nigériens, multiplie les réalisations et collectionne les prix. Il y a deux semaines, il était encore à un festival à Louxor, en Egypte, d’où il est revenu avec un autre trophée : « Après la révolution sociopolitique qui a secoué l’Egypte, les nouvelles autorités ont senti la nécessité de réunir toutes les filles et tous ses fils du pays, de renouer avec le monde extérieur et de rejouer son rôle de pivot de la culture africaine. C’est dans ce sens qu’elles ont créé le LAFF, le Louxor African Film Festival. C’est un très grand festival qui réunit des grands réalisateurs africains ou de la diaspora. Le festival s’est tenu du 22 au 28 février et a mis en compétition 49 films », explique Sani.

Le réalisateur nigérien y a présenté le film « Koukan Kourcia », qui veut dire en langue haoussa le cri de la tourterelle, du nom de cet oiseau à la voix mielleuse. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le film a émerveillé les festivaliers. Il n’a pas non plus laissé indifférents les membres du jury, puisqu’il a reçu le prix spécial du jury du meilleur documentaire. « C’est une très grande satisfaction pour moi  de constater que le film continue à plaire aux spectateurs du reste du monde et pas seulement aux seuls nigériens », se réjouit le réalisateur nigérien.

Koukan kourcia transcende donc les frontières, les cœurs et la sensibilité des nigériens pour se poser comme une œuvre universelle. Partout où il est projeté, c’est le même accueil, le même enthousiasme, la même compréhension, la même lecture, le même plaisir. « C’est un honneur pour moi de participer à cette première édition du festival de Louxor. Au-delà du prix que j’ai reçu, je suis vraiment ravi de participer à une cause aussi noble que la reconstruction d’un pays déchiré et dévasté par un conflit armé. Ce n’est pas donné à n’importe réalisateur. C’est pour moi une façon de rentrer dans l’histoire que de participer à ce festival à qui je souhaite longue vie. En général, les égyptiens ne connaissent l’Afrique qu’à travers les films diffusés par les chaînes occidentales qui ne montrent que le côté misérable de l’Afrique. Et c’est ce côté misérable qui fait qu’ils se considèrent magrébins plutôt qu’africains. Mais grâce à ce festival, les égyptiens ont découvert un autre visage de l’Afrique, un visage plus riche et plus prometteur : celui d’une Afrique qui a envie de s’exprimer, de se développer, de s’épanouir», affirme Sani.

- Advertisement -

Ce prix décroché par Koukan Kourcia place ainsi le Niger dans une position très enviable dans le domaine du film documentaire, car sur la quarantaine de films sélectionnés, 20 sont des  documentaires. Et seul Koukan Kourcia qui a été primé dans cette catégorie, face à des films de fiction où la liberté de réflexion et de ton est beaucoup plus permise. C’est également le seul prix remporté par l’Afrique francophone.

Mais qu’est–ce que Koukan Kourcia veut dire ? De quoi parle le film ? « Ce film est une mémoire pour moi et pour mon pays, une mémoire pour la culture nigérienne. Il est l’expression du désir d’un fils qui veut ramener son père, parti en exode rural en Côte d’Ivoire depuis plus de quinze ans. Toutes les tentatives pour le ramener sont restées vaines. Quand j’étais encore sur les bancs, je passais toutes mes vacances en Côte d’Ivoire, chez lui. A chaque fois, je le trouve en train d’écouter une chanson, la même chanson, celle de la cantatrice Houssey que tout le monde connaît au Niger, en particulier les gens de chez moi, Tahoua, la capitale de l’Ader » raconte Sani.

Agée de 85  ans aujourd’hui, la vieille Houssey est une des plus grandes cantatrices nigériennes. Elle est native de  l’Ader, une région où l’exode rural est la chose la mieux partagée. Houssey a joué un rôle important dans le sobriquet d’ « exodants », attribué aux populations de l’Ader. Dans ses chansons, Houssey incitait les jeunes de sa génération à aller en Côte d’ivoire pour chercher fortune. Une fois sur place, ces jeunes écoutent toujours les chansons de Houssey qui leur demandait de rester là-bas tant qu’ils n’auront pas trouvé fortune.

« C’est comme ça que l’idée m’est venue d’aller voir la vieille Houssey. Je lui ai dit : « c’est toi qui a poussé nos parents à aller en Côte d’ivoire. Il faut que tu trouves les moyens pour les faire revenir à présent. Je suis prêt à t’amener en Côte d’Ivoire si tu me promets de les convaincre à rentrer au pays ». La vieille Houssey a versé des larmes, elle s’est sentie coupable et accepta de relever le défi. Elle a renoué avec la chanson qu’elle abandonnée depuis bien longtemps pour me suivre jusqu’à Abidjan. Elle a rencontré mon père et tous les autres vieillards qui ne voulaient même plus entendre parler du Niger, parce qu’ils n’ont pas trouvé ce qu’ils étaient partis chercher, c'est-à-dire l’argent. Elle a chanté, chanté et chanté, au point où tout le monde se mit à pleurer, les vieillards aussi bien que les enfants. C’est ainsi que mon père a décidé enfin de revenir parmi nous au pays », raconte, Sani Magori, très ému.

Sani Magori a à son actif trois films d’auteurs : Notre pain capital, Pour le meilleur et pour l’oignon, et Koukan Kourcia.  Notre pain capital est un film d’école. Il raconte l’histoire des petits mendiants qui viennent quémander le pain au restaurant universitaire. Pour le meilleur et pour l’oignon raconte pour sa part l’histoire des producteurs d’oignons et les problèmes qu’ils rencontrent avec les spéculateurs véreux. Quand la récolte est bonne et que la vente est satisfaisante, tout est bien et beau dans le village. C’est la joie, la fête, la bombance, les mariages. Mais quand la récolte est mauvaise, c’est la catastrophe, le deuil, les divorces en série.

Mais qu’est-ce qui a poussé l’ingénieur agronome Sani Magori à embrasser le cinéma ? «J’ai fait mes études d’agronomie en Algérie. L’agronomie, c’est vraiment un métier de proximité où on est en contact permanent avec les populations. Et moi je suis un spécialiste du palmier dattier. Mais à mon retour, on me dit qu’au Niger, on a beaucoup plus besoin de spécialistes du mil, du riz, du sorgho ou du niébé. Je n’ai pas trouvé de boulot. C’est ainsi que j’ai commencé à collaborer avec le magazine Amina. Je faisais des reportages sur le terrain. L’idée m’est alors venue de filmer les gens. Je me suis débrouillé pour trouver une caméra. J’ai commencé à filmer et j’ai trouvé que les gens sont plus captivés par les images », dit-il.

Un jour, il rencontre Maman Saguirou, qui faisait déjà du cinéma : «  Je lui ai dit, écoute, je veux tourner un film sur l’oignon de Galmi, mon village. Comment on fait ? C’est lui qui m’a mis sur la piste. J’ai compris la règle. Après, je suis allé au Sénégal où j’ai fait un Master 2 en réalisation. Aujourd’hui, je suis à mon propre compte, j’ai un carnet d’adresse bien garni, j’écris moi-même mes scénarios, et j’enseigne à l’institut de formation aux techniques de l’information et de la communication du Niger. Je suis autonome et indépendant », affirme Sani, très fier.

Après Koukan Kourcia, Sani est sur un projet de film documentaire long métrage, qui parle de la vie des étudiants africains en Algérie. « C’est un hommage que je tiens à dédier à tous les étudiants africains qui ont fait l’Algérie. Leur résistance face aux adversités de toutes sortes », affirme l’artiste Sani.

Les films de Sani Magori ont été couronnés de nombreux prix. Koukan Kourcia a déjà obtenu le prix Uémoa du meilleur film documentaire au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco) en 2010, le prix du meilleur documentaire d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine, en Italie, le prix du public au festival d’Angers, en France.