Manifestation publique du Pds : bons et mauvais points d’une marche

Afriquinfos Editeur
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La marche, même si elle a mobilisé des foules, n’a pas connu le succès populaire de la première marche organisée par l’ancien parti au pouvoir. Les organisateurs ont imputé ce fait au temps accordé pour la marche — 14 à 17 heures — et aux soi-disant manœuvres de la police qui aurait bloqué tous les cars « Ndiaga Ndiaye » acheminant des milliers de militants de l’opposition vers le lieu de la marche.

Toutefois, à en croire les organisateurs,  ce qui était le plus important, c’était plus les raisons invoquées et l’opportunité plutôt que le nombre de marcheurs. Dans la kyrielle des revendications, il y avait la gestion des inondations, la pénurie d’eau qui a asphyxié Dakar pendant près de trois semaines, la cherté de la vie et la libération des « otages politiques » du régime, au premier rang desquels Karim Wade, fils de l’ancien président de la République.

Si la loi fondamentale donne au Pds le droit de manifester sur la place publique, force est de constater que plusieurs des revendications de sa marche lui sont imputables quand il était aux affaires. Et si la population n’a pas  répondu massivement à l’appel des libéraux, c’est parce qu’elle ne se sent pas réellement concernée par les motifs avancés par le  Pds pour appeler à marcher.

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Par exemple, pendant ses 12 ans de règne,  il n’a fait que gérer les inondations mais jamais il n’a réussi à trouver des solutions durables et pérennes à ce fléau. Ainsi de Charybde en Scylla, les populations des zones inondées n’ont fait que se résigner devant l’incompétence du pouvoir libéral dont le seul point positif est la construction de logements sociaux pour quelques sinistrés. Et encore, à quel prix ! Mais ce n’était que cautère sur jambe de bois parce que le régime de Wade s’était engagé dans une voie sans issue. Il était utopique de vouloir trouver un logement à moindre frais aux milliers de sinistrés des zones inondées. Et là aussi, on a constaté que « Jaxaay » a été du pain bénit pour plusieurs prédateurs du régime qui ne se nourrissent que des marchés publics de l’Etat.  Des milliards de francs ont été détournés dans la construction selon un rapport d’audit du Plan Jaxaay 2006-2009.

Par conséquent, quand le même Pds appelle les Sénégalais à manifester contre la gestion par ses successeurs du fléau des inondations — qu’il n’a pas pu résoudre en 12 ans —, nos compatriotes ont sans doute dû se dire qu’il se fiche de leur gueule. Sans compter que l’actuel régime a fait des pas de géant dans la lutte contre les inondations en construisant des ouvrages de drainage des eaux pluviales très performants. C’est ainsi que des quartiers qui disparaissaient sous les eaux à la moindre averse comme Foire et Grand-Yoff ont été épargnés par les inondations de cette année. Et ce bien qu’il ait beaucoup plu.

Concernant la pénurie d’eau, il faut flétrir l’imprévoyance coupable du gouvernement et la mauvaise communication pendant la crise. Une mauvaise communication qui a déboussolé les populations affectées par la pénurie et a ajouté à leur martyre. Toutefois, la pièce défectueuse à l’origine de la pénurie avait été usinée du temps du régime libéral. Elle a rendu l’âme prématurément alors sa durée de vie était au minimum de trente ans. L’audit technique envisagé situera le degré de responsabilité du régime sortant dans la récente pénurie d’eau qu’a connue Dakar mais sans pour autant absoudre l’actuel gouvernement de M. Macky Sall.

Autre motif de la manifestation de mardi, l’exigence de libération de Karim Wade visible sur plusieurs banderoles qu’arboraient les marcheurs. Cette revendication est la tache noire de cette marche des Libéraux. D’abord elle pose un problème d’iniquité au sein du Pds parce que d’autres militants libéraux méritants comme Bara Gaye, Abdou Aziz Diop, Alioune Aïdara Sylla, Ndèye Khady Guèye etc. sont incarcérés sans pour autant que leurs frères de parti s’en émeuvent.  La libération de Karim Wade, dont le dossier est  pendant devant la justice, ne concerne que le Pds et ses alliés. D’ailleurs, si le parti Rewmi n’a pas donné son assentiment à cette marche, c’est parce qu’il n’a pas agrée l’idée d’inscrire la libération de Karim Wade comme un point fondamental de la marche. Des pontes libéraux comme l’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, les anciens ministres Ousmane Ngom et Habib Sy n’y étaient certainement pas pour les mêmes raisons parce que, pour eux, ce serait dérouler le tapis rouge à quelqu’un qui une fois libéré, risque de  prendre la direction du Pds.

Les organisateurs appelaient aussi à marcher contre les délestages qui sont un héritage du régime libéral même si, au cours de leur dernière année au pouvoir, il y a eu une embellie avec le plan Takaal. Toutefois, le gouvernement actuel n’a pas encore pris le taureau par les cornes pour venir à bout des coupures intempestives d’électricité.  Aujourd’hui, on assiste à une résurgence des  délestages même si le directeur général de la Senelec rassure et assure régulièrement aux Sénégalais que la production d’énergie électrique est excédentaire. Allez demander à ces quartiers de la banlieue qui restent presque 24 heures sans électricité si cela est vrai ! Plus près du centre-ville, à la Sicap Baobab, par exemple, il est difficile de rester toute une journée sans  coupure du courant. La preuve, quand la pénurie d’eau a persisté, l’usine de Kounoune s’est complètement arrêtée en augmentant le déficit déjà existant.

Le seul point de revendication qui aurait pu pousser les Sénégalais à se joindre à la marche du Pds, concerne la cherté de la vie même si des simulacres de réduction ont été opérés sur les denrées de première nécessité. Si le gouvernement de Macky Sall manifeste des signes d’incompétence depuis 18 mois dans un domaine au moins, c’est celui de la réduction des prix des denrées. Les commerçants véreux font fi de toutes les décisions prises par le gouvernement tendant à la réduction des prix.

Toutefois, il est salutaire que le Pds marche pour tâter un tantinet le pouls de l’opinion et lancer un message d’alerte au président de la République. Les libéraux ont quitté avec fracas le pouvoir il y a 18 mois  pratiquement sous les huées du peuple. Aujourd’hui, la situation difficile que traversent les Sénégalais  semble les réhabiliter aux yeux de ces derniers. Leurs discours, même démagogiques, sonnent agréablement à des oreilles qui leur étaient jadis hostiles. C’est donc dire que le président de la République et ses ministres perdent le terrain de la confiance et de l’espoir des Sénégalais. Ils tardent à se réveiller mais le réveil risque d’être brutal s’ils ne prennent pas conscience rapidement de la gravité des maux dont souffrent les Sénégalais. Les bourses familiales, la gratuité de quelques soins pour les enfants de 0 à 5 ans, tout cela c’est bien beau mais il ne faut pas oublier que les priorités du Sénégal sont loin de ces programmes sociaux qui ne règlent que de façon circonstancielle une infime partie de leurs problèmes.

Serigne Saliou Guèye

Le Témoin, hebdomadaire sénégalais
Édition N° 1140 (OCTOBRE 2013)