Mali : La solution n’est pas militaire, la France n’intervient que pour stabiliser la situation

Afriquinfos Editeur
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Dans l'interview accordée mercredi à Xinhua, Pr. Jean Emmanuel Pondi, le chef du département de politique internationale de l'Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC) décrypte les causes profondes de la montée du terrorisme dans le Sahel africain et explore les conditions d'un retour à la paix.

Question : Prise d'otages français au Niger, attaque du site gazier d'In Amenas en Algérie, occupation de la quasi-totalité du territoire malien..Le Sahel africain est-il devenu le nouveau berceau du terrorisme ?

Réponse : Non, je crois qu'il ne faut pas conclure de manière hâtive. En fait, ces évènements n'arrivent pas par hasard. Il s'agit des contrecoups de la crise intervenue en Libye en 2011, qui a entrainé la naissance de plusieurs groupes entrainés par les pays occidentaux pour conduire à la chute de Mouammar Kadhafi.

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Et ces groupes de guérilla ont été alimentés en armes par ces pays, et maintenant ce sont les résidus de ces armes qui sont paradoxalement utilisés contre ceux-là mêmes qui ont équipés ces groupes terroristes. Donc avec la chute du régime libyen et le désordre institutionnel qui s'est établi en Libye, cette zone est devenue propice à la prolifération des armes qui sont utilisées pour des fins politiques.

Q : Est-ce que la crise libyenne seule peut expliquer l'ancrage du terrorisme dans cette région de l'Afrique ?

R : Le terme terrorisme est un terme idéologiquement marqué, il veut dire qu'on se situe d'un seul côté du problème, dans la mesure où le terrorisme des uns est le libérateur des autres. N'oublions pas que le grand Nelson Mandela, jusqu'en 1998, était considéré par la CIA ni plus ni moins qu'un terroriste. Et pourtant c'est le libérateur du peuple noir d'Afrique du Sud.

Donc la réponse à votre question est non, parce qu'à l'origine il y a le problème touareg, un peuple nomade qui occupe plusieurs pays (Algérie, Sénégal, Tchad, Mali, Libye) correspondant à son territoire traditionnel. Ce peuple ne connait pas de frontières qui ont été arbitrairement dessinées entre 1884 et 1885 à Berlin en Allemagne. Pour le peuple touareg, ces frontières sont nulles et de nul effet. Pour eux, il n'est pas normal qu'on restreigne leur liberté d'aller et venir.

Q : L'actuel président français et son prédécesseur, malgré leur volonté proclamée de rompre avec la Françafrique, ont tout de même mené des interventions en Libye ou en côte d'Ivoire. Pourquoi la France intervient-elle aujourd'hui au Mali ?

R : La France n'intervient pas au Mali pour le seul bien de ce peuple. Si elle ne se limite pas à une intervention aérienne et prend le risque d'aller jusqu'à un engagement des forces terrestres qui peut coûter la vie à des soldats français, c'est justement parce que ses intérêts stratégiques et économiques, et ceux des Occidentaux globalement, sont menacés.

Q : La France et les autres peuvent-ils gagner la guerre du Mali menée contre des chefs d'AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) qui se battent depuis 20 ans en Afghanistan, en Irak, en Algérie ou en Libye ?

R : Si vous posez le problème de cette façon, on peut dire que cette guerre ne peut pas être gagnée. Il faut poser le problème autrement, de savoir les raisons profondes qui expliquent la situation actuelle. Et pour moi il y a deux raisons.

La première c'est l'absence d'Etat ou d'Etat fort qui assume ses missions régaliennes, c'est-à-dire qui aide ses populations à se nourrir, à s'éduquer, à se soigner et à vivre décemment. Cet Etat-là est de moins en moins présent là où on l'attend. C'est ce vide ou ce manque d'Etat fort qui crée des structures qui viennent pallier cette carence.

La deuxième raison, c'est qu'on essaie de résoudre le problème par une approche militaire. Or si les populations peuvent vivre normalement, alors elles n'auront plus la tentation islamiste, intégriste. Car ce qui fait aujourd'hui le lit ou le charme de ces discours, c'est le manque d'Etat et de réponses économiques aux problèmes des populations. La paix reviendra avec la réponse aux besoins socio-économiques.

Q : Face à l'incapacité des Etats à trouver des solutions aux problèmes du peuple touareg, est-ce à dire qu'il est difficile d'apporter une solution au terrorisme ?

R : Il y a plusieurs peuples transfrontaliers comme les Massa au Tchad et au Cameroun. Le problème des Touaregs c'est qu'ils sont reniés, rejetés et alors ils sentent le besoin de se regrouper dans un Etat touraeg ou d'une zone culturelle touareg.

Il faut maintenant accepter que ces Touaregs soient partie prenante du Niger, du Mali ou du Sénégal, c'est-à-dire un peuple qui est transfrontalier et accepté partout où il vit. Cela demande des négociations politiques, une vision économique et une acceptation sociologique. C'est tout ça qu'il faut faire à la fois et ce n'est pas impossible.

Q : Dans ces différents pays est-ce que vous percevez une volonté politique visant à résoudre ces problèmes ?

R : Malheureusement, il y a encore ce qu'on appelle des politiciens à la petite semaine, qui ne réagissent pas dans le moyen et long termes qui imposent pourtant qu'on accepte une solution d'intégration totale, une symbiose parce que les pays sont plus forts lorsqu'ils ont intégré que la diversité est la force des nations. Il faut donc que les politiques soient entrainés dans une approche de diversité culturelle.

Q : Si la guerre du Mali s''nscrit dans la durée et que la France se lasse, les forces de l'Union africaine peuvent-elles valablement prendre la relève ?

R : Les forces de l'UA comme celles de la France ne peuvent intervenir que pour stabiliser la situation mais ne sauraient constituer la solution. Elles interviennent pour ramener un peu de calme, la solution n'est pas militaire.

Q : L'Algérie avoue son incapacité à contrôler ses 6400 km de frontières, et donc à contenir le terrorisme. Face à l'incapacité des autres pays à maitriser ce phénomène, est-ce qu'on peut redouter que les terroristes du Sahel ne trouvent de nouvelles terres en dehors de cette région?

R : Le terrorisme est l'utilisation de la violence pour parvenir à des objectifs politiques. Alors si on essaie d'implémenter des réformes socio-économiques et politiques, on va éradiquer la nécessité de recourir au terrorisme. Mais nous fermons les yeux, restons convaincus qu'il faut acheter plus d'armes, de grenades et de chars.

Là on se trompe de solution. Il faut s'attaquer non pas aux conséquences mais aux causes du terrorisme. C'est ce que je pense être la solution parce qu'en Afrique l'islam est un islam essentiellement confrérique. Au Sénégal par exemple, les Tidjanes et les Mourides protègent les communautés musulmanes.

Ce qui n'est pas le cas dans le Golfe persique, où règne le prosélytisme. Maintenant, il ne faut pas qu'on se laisse infiltrer par ceux qui ont beaucoup d'argent et qui trouvent une oreille attentive auprès des populations pauvres. C'est cette pauvreté qu'il faut combattre.

Q : Comment entrevoyez-vous la fin de la guerre au Mali ?

R : D'abord, je crois qu'il faut qu'on soit courageux pour reconnaître que le capitaine Sanogo et ses hommes ont orchestré le coup d'Etat à Bamako, qu'ils portent la responsabilité de ce qui se passe aujourd'hui, parce que nous n'étions plus qu'à 60 jours d'un changement paisible et démocratique.

Nous avons du mal à comprendre pourquoi il y avait urgence à faire partir un président qui a déclaré sa disponibilité à quitter la présidence dans la paix, pourquoi ce coup d'Etat qui a sali la réputation du Mali comme pays démocratique. Il me semble important pour nous Africains de le souligner pour que cela serve de leçon.

La Force africaine en attente n'est pas encore opérationnelle, et nous Africains devons comprendre que quand nous prenons des résolutions administratives à Addis-Abeba, elles doivent être appliquées. Et il faut ensuite que nous mettions des moyens humains, financiers et techniques pour que ces résolutions se traduisent en actes.

Pour cela, il faut désormais un plus grand engagement de tous, militaires ou politiciens, chacun à son niveau. Car je pense que ce n'est pas l'argent qui manque en Afrique, il y a aujourd'hui beaucoup d'Etats qui sont riches en dollars qui doivent mettre la main à la poche pour que, au lieu d'être réduit à demander, qu'on apporte notre part de contribution.

Q : On préconise une solution africaine aux problèmes des Africains, mais au Mali c'est la France qui prend les devants. N'est-ce pas aussi l'échec de l'Union africaine ?

R : L'Union africaine a beaucoup changé par rapport à l'OUA, d'abord par rapport à l'acte constitutif qui est très différent de la charte de l'OUA qui ne comportait pas certains aspects qu'on retrouve dans l'acte constitutif. Donc l'UA est avancée sur le plan philosophique, tactique et stratégique. L'UA est meilleure parce qu'elle prend en compte le monde d'aujourd'hui et met en avant l'architecture de paix (Conseil de paix et de sécurité, le Conseil des sages qui est une manière bien africaine de résoudre les conflits).

Voyez-vous, à une époque il y avait 16 à 15 conflits en Afrique, aujourd'hui il n'y en a que 5. Donc il y a une baisse des conflits et une montée en puissance économique. Nous avons intérêt à capitaliser cette fenêtre d'opportunités, de transformer cette puissance économique en levier de la victoire des peuples africains.

Malheureusement, on constate aujourd'hui que les avancées économiques ne sont pas suffisamment partagées, distribuées jusqu'à la base de la pyramide africaine et je crois que c'est ça le vrai problème. Et une fois que la richesse qui est en train d'être produite en Afrique sera distribuée vers le maximum de personnes, je pense qu'il y aura un apaisement, moins de conflits.