L’Etat du Sénégal et les 1000 tracteurs bresiliens

Afriquinfos Editeur
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Le sabre de la rupture tant brandi par le candidat Macky Sall durant la campagne présidentielle de 2012 — une promesse réitérée à son arrivée au pouvoir — semble être une arme émoussée. Et pourtant, le nouveau président de la République,  qui a fait de la gestion sobre et vertueuse son cheval de bataille, avait suscité beaucoup d’espoir chez de nombreux Sénégalais. Lesquels, à une majorité de deux tiers des suffrages exprimés, avaient voté pour lui.

En effet, nos compatriotes étaient convaincus que le nouveau régime, sous l’égide de l’Apr (Alliance Pour la République) allait se défaire des mauvaises habitudes faites de magouilles que le Pds (Parti démocratique sénégalais) avait érigées en méthode de gestion. Joignant le geste à la parole, le Président avait donc lancé la traque des biens mal acquis et des marchés mal négociés.

Hélas, la façon dont l’homme d’affaires Cheikh Amar est revenu au centre des affaires étatiques, et par la grande porte s’il vous plait, laisse croire que la rupture n’est pas pour demain ! Mieux, le nouveau président de la République, M. Macky Sall, semble reprendre les mêmes que ceux qui avaient servi sous son prédécesseur et recommencer avec les mêmes. Ce tout en prétendant faire du neuf avec du vieux !

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Et M. Cheikh Amar, le patron de Tracto Services Equipement (Tse), occupe une place de choix dans le cercle des hommes d’affaires de l’ancien régime recyclés par le nouveau pouvoir ! Nous n’avons rien contre Cheikh Amar, au contraire il nous plait même de magnifier l’homme connu  pour sa générosité et son humanisme.  Un homme d’affaires devenu un modèle et une référence pour la communauté économique nationale, et dont la  « success story » fait rêver puisque,  parti de rien, l’homme trône aujourd’hui à la tête d’un immense emprire qui s’étend des équipements et matériels agricoles à l’immobilier en passant par les médias et les phosphates !

Et ce même si ses adversaires prétendent que cet homme d’affaires s’est construit un véritable empire financier sans vraiment trop « bosser ». Tout lui aurait été offert sur un plateau d’argent. Il lui suffisait de s’approvisionner comme on le ferait de l’essence à la pompe et de poursuivre sa route vers le sommet financier. En tout cas, et pour en revenir au nouveau régime, si le projet des « 1000 tracteurs » brésiliens se finalise, que Dieu nous transforme tous en « Cheikh Amar » ! Au premier rang, votre serviteur, désormais futur « Cheikh Amar », ex-Pape Ndiaye. Amine ! 

Toujours est-il que pour une ligne de crédit de 10 millions de dollars (cinq milliards de francs cfa) au profit de l’Etat du Sénégal, l’homme d’affaires Cheikh Amar, qui joue le rôle d’ « intermédiaire » dans la mise en œuvre de cette convention, est en passe de ramasser une commission de 12 % c’est –à-dire près de 600 millions de francs fcfa.

Même dans d’autres opérations et sous d’autres cieux, un courtier n’aurait jamais gagné une telle manne financière dans une telle opération. A plus forte raison un « intermédiaire » dont la compétence ne se limite qu’à réceptionner et entreposer le matériel agricole fourni par le Brésil dans le cadre de cet accord, au nom et pour le compte de l’Etat du Sénégal. Youpi !  Un Etat a-t-il besoin d’un intermédiaire dans un projet d’Etat à Etat ? Surtout s’il s’agit, comme dans le cas d’espèce, d’un prêt qui va alourdir la dette extérieure d’un pays pauvre comme le Sénégal. Pour rappel, le même Cheikh Amara avait aussi gagné le marché de fourniture d’engrais de la dernière campagne agricole.

Avec le débarquement de ces 1.000 tracteurs brésiliens destinés à être redistribués aux paysans, nous imaginons déjà la colère et la faillite de certaines sociétés sénégalaises spécialisées dans la fabrication et la vente de matériels agricoles. Et les taux d'intérêts que vont payer les finances publiques pour des tracteurs dont la plupar « migreront » sans doute vers les pays voisins. Comme ce fut le cas sous le régime du président Abdoulaye Wade avec des tracteurs venus d’Inde cette fois-là…

Quand même bravo à l’homme d’affaires Cheikh Amar pour avoir  été choisi en tant qu’opérateur de ce marché d’équipements agricoles d’une valeur de 5 milliards fcfa. Il a réussi un tour de maître, assurément !

Pape NDIAYE

Le Témoin, hebdomadaire sénégalais
Édition N° 1140 (OCTOBRE 2013)