Bilan 2011 – L’Algérie, une exception au "Printemps arabe"

Afriquinfos Editeur
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Si l'on fait le parallèle avec le soulèvement tunisien déclenché par la cherté de la vie, les événements en Algérie ont aussi trouvé leur source dans une crise sociale marquée par des problèmes de logement, de chômage, ou encore liés aux soins médicaux… Causes similaires, mais situation et histoire nationales singulières, d'où des effets différents.

L'Algérie saura-t-elle continuer à faire figure d'exception dans la région ? Sera-t-elle le prochain domino renversé par le souffle du "Printemps arabe" ?

LES REVENDICATIONS, PLUTOT CORPORATISTES, NE VISENT PAS "BOUTEF"

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Le 5 janvier, des émeutes inattendues ont embrasé Bab el-Oued, le quartier populaire d'Alger, puis se sont étendues à 20 des 48 wilayas (préfectures) du pays, mais la population dans son ensemble ne s'est pas mobilisée. Trois mois plus tard, alors que le conflit libyen était à son paroxysme, des étudiants, des fonctionnaires, des agents de la protection civile, des médecins et des gardes communaux sont descendus dans la rue.

 Point commun du mécontentement : les griefs exprimés traduisaient pour la plupart des revendications sociales et corporatistes, portant notamment sur la cherté de la vie et les salaires trop maigres, mais lors de ces événements, on n'a pas entendu scander de slogans politiques visant à renverser le régime en place.

"Je ne vois aucune raison valable qui pourrait pousser le peuple à descendre dans la rue. Il pourrait manifester contre le chômage, la corruption et la baisse du pouvoir d'achat, mais pas pour des raisons politiques", estime Abdelhamid Si Afif, député du Front de libération nationale (FLN, qui fait partie de l'Alliance présidentielle, coalition soutenant le président Abdelaziz Bouteflika).

 Côté opposition, le président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Saïd Sadi, souligne quant à lui que son parti "veut un changement du régime politique et non un changement du pouvoir, encore moins celui du gouvernement".

Une des raisons qui explique cet état d'esprit réside dans la personnalité du président de la république Abdelaziz Bouteflika, qui est à la tête du pays depuis 1999.

 "Bouteflika n'est pas Moubarak, Ben Ali, Saleh, Assad ou Kadhafi. Il ne suscite ni haine ni rancoeur. Les Algériens […] s'interrogent sur sa capacité, compte tenu de sa santé fragile, à tenir la barre d'un vaisseau. Sa légitimité reste cependant intacte", analyse Marwane Ben Yahmed, chroniqueur au magazine Jeune Afrique.

Le vrai problème, c'est la réalité vécue, qui se traduit par "les mille et un tracas qui font que vous avez plus le sentiment de survivre que de vivre", note-il, en référence aux logements de fortune, aux écoles inaccessibles et aux injustices quotidiennes.

"La majorité ne souhaite pas qu'ils [les dirigeants actuellement au pouvoir] dégagent, elle ne voit d'ailleurs pas qui pourrait prendre leur place. […] Elle veut tout simplement qu'ils fassent le job", poursuit-il.

LES BLESSURES DU PASSE TOUJOURS VIVACES

Les Algériens, traumatisés par la révolte d'octobre 1988 et la "décennie noire" (1991-2001), aspirent à la paix, et ce certainement bien plus que leurs voisins.

Pour rappel, le 5 octobre 1988 et les jours qui suivent, l'Algérie est traversée par un mouvement de révolte populaire qui se solde par 169 morts. Trois ans plus tard, l'annulation par l'armée des élections organisées fin 1991 déclenche une guerre civile entre l'armée et les islamistes du Front islamique du salut (FIS), un conflit meurtrier qui se poursuivra sur toute une décennie, coûtant la vie à 150 000 personnes.

 Selon le fondateur de la Ligue algérienne des droits de l'Homme, Ali Yahia Abdenour, les événements tragiques des années 1990 ont laissé des traces profondes chez les Algériens, qui "réfléchissent à deux fois avant de sortir dans la rue" pour demander un changement de régime.

Pour sa part, Mohamed Seghir Babès, président du Conseil national économique et social (CNES), dresse un autre constat. "L'Algérie, ayant connu des changements politiques, est en avance d'une dizaine d'années par rapport aux autres pays arabes secoués par les manifestations", déclare ce responsable, en évoquant le programme de réformes politiques entamé en 2001.

"L'Algérie s'est sentie il y a dix ans dans le besoin d'engager des réformes politiques pour améliorer sa gouvernance", dit-il.

La résignation de la population algérienne pourrait s'expliquer par le fait qu'elle "n'a pas fini de panser les blessures de son passé", fait remarquer pour sa part Abdallah Djaballah, président du Front pour la justice et le développement (FJD, parti islamiste).

VERS UNE OUVERTURE DEMOCRATIQUE

 Au cours de l'année écoulée, le président Bouteflika, craignant une contagion de la révolte arabe en Algérie, a mis en œuvre toute une panoplie de mesures allant dans le sens d'une ouverture démocratique. Depuis, réformes, concertations et états généraux de la société civile se sont multipliés.

 Le 3 février, le président Bouteflika a convoqué un Conseil des ministres exceptionnel et annoncé la levée de l'état d'urgence, en vigueur depuis 1992, ce qui a marqué la première étape du processus visant à consolider la démocratie algérienne.

Dans la foulée, plusieurs réformes présidentielles, incluant de nouvelles lois sur la création des partis, sur les associations et sur l'information, ont été dévoilées par le président Bouteflika, qui a aussi confié au gouvernement l'élaboration de trois lois organiques concernant le régime électoral, le statut des partis politiques et la place de la femme dans les instances élues.

A partir du 21 mai, une instance de consultations sur les réformes politiques a fait s'enchaîner pendant un mois les réunions entre les personnalités de tous bords, qui ont débattu entre autres de sujets liés à la révision de la Constitution et à la nature du régime.

Dans le même temps, plus d'un millier d'acteurs associatifs, économiques et culturels ont participé aux premiers états généraux de la société civile. Une occasion pour les intervenants de traduire les difficultés de la population face à la dureté des conditions de vie, et d'inviter le gouvernement à un partenariat efficace pour mieux asseoir une démocratie participative.

COUPS DE POUCE FINANCIERS ET INCITATIONS ECONOMIQUES

Grâce à la manne pétrolière, les autorités algériennes ont été en mesure de répondre à la colère de la rue, adoptant toute une série de mesures concrètes, dont des hausses salariales (jusqu'à 80% pour certaines catégories de fonctionnaire), et des subventions aux produits de première nécessité.

 En outre, le gouvernement a introduit des incitations sous forme d'aides financières à la création d'entreprises. Ainsi, pas moins de 345 934 demandes de financement ont été enregistrées de janvier à juillet 2011, contre 29 499 pour la même période de l'année 2010.

Quant à la lutte contre le chômage, dont les jeunes sont les premières victimes, le dispositif de l'Agence nationale de soutien à l'emploi des jeunes (ANSEJ) a contribué à la création d'un million d'emplois, permettant au gouvernement de canaliser le mécontentement de la jeunesse, en particulier de ses diplômés.

Parallèlement, le gouvernement a accordé une importance capitale à la mise à niveau des PME-PMI (petites et moyennes entreprises – petites et moyennes industries), qui, selon le président du Forum des chefs d'entreprise (FCE), Réda Hamiani, sont le premier employeur du pays, assurent 80% de la création de richesses hors hydrocarbures, et constituent la meilleure réponse aux appréhensions face à la perspective de l'après-pétrole.

OPTIMISME PRUDENT

Plusieurs signes semblent donc concourir et pointer vers un horizon sans soulèvement majeur, sans révolte populaire de l'ampleur de celles survenues dans d'autres pays de la région. Si certaines données sont encourageantes et incitent à un certain optimisme, il reste néanmoins encore des défis non négligeables à relever pour préserver la stabilité du pays.

D'abord, la crise du logement, premier catalyseur des émeutes en Algérie, persiste malgré les plans successivement mis en place par les gouvernements depuis vingt ans. Pour ne citer qu'un chiffre, l'Algérie compte 560 .000 habitations précaires, dont 183.000 dans le Sud et les Hauts Plateaux.

"Si le gouvernement arrive à résoudre la crise du logement, l'Algérie aura résolu l'un des facteurs de déstabilisation interne", indique un haut responsable, qui souligne que les sociétés chinoises telles que CITIC contribueront à résoudre de façon plus rapide ce problème.

Le deuxième défi réside dans le déficit budgétaire abyssal, consécutif à la pratique de l'exécutif de ne pas lésiner sur les moyens pour soutenir les prix des produits de première nécessité et satisfaire les revendications salariales, selon M. Hamiani. Le montant de la rallonge budgétaire destinée à apaiser la colère populaire est estimée à près de 230 millions d'euros.

Enfin, la disparition de l'ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a laissé un grand vide en Afrique subsaharienne, une fragilité dont pourrait profiter le groupe Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), une organisation d'origine algérienne, pour s'approvisionner en armes issues des anciens stocks de l'armée de Kadhafi.