Interview/Affaire Meng Wanzhou : La défense met à nu les dessous judiciaires du procès

Afriquinfos Editeur
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Meng Wangzhou durant son séjour canadien.

Vancouver (© 2021 Afriquinfos)- Le procès de Meng Wanzhou (ex-directrice financière du groupe chinois de télécommunications Huawei) est dans sa dernière phase au Canada (devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique). Sa défense, par la voix de l’avocat Tim Taylor, livre sa lecture de cette procédure judiciaire et fait des projections géostratégiques.

 

Pouvez-vous nous faire le point autour de la procédure judiciaire engagée contre Mme Meng Wanzhou ?

Le juge a posé aux avocats de la Couronne (c’est-à-dire du Canada) des questions difficiles sur la façon dont la demande d’extradition américaine (ou ROC) se présente.

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Les États-Unis estiment être en mesure de faire comparaître Meng sur leur sol pour la juger. C’est cet aspect de l’accusation que la Couronne doit présenter au juge. En bref, les États-Unis reprochent à Meng d’avoir dupe la HSBC pour que la banque accepte de prêter de l’argent à Huawei, alors que la HSBC dit ne pas avoir été au courant que Huawei contrôlait Skycom, qui faisait des affaires en Iran, et qu’elle risquait donc d’enfreindre les lois américaines. La banque affirme en outre qu’elle ignorait tout de cette situation, car Meng lui avait assure qu’il n’y avait pas de risque de ce type, au cours de la présentation PowerPoint qu’elle leur avait faite dans un restaurant de Hong Kong.

Durant les derniers développements judiciaires en date du procès Meng Wanzhou, le juge a formulé des questions qu’on peut résumer en 4 points.

Les questions du juge

  • Comment la HSBC peut-elle affirmer qu’elle s’est fiée à la parole de Meng, qui a assuré que Huawei et Skycom se conformeraient aux sanctions américaines, tout en affirmant que Meng n’a pas expliqué que Huawei contrôlait Skycom ? Soit Huawei contrôlait Skycom et pouvait garantir le respect des sanctions, soit elle ne le faisait pas et ne pouvait pas le faire. Qu’en est-il ?
  • À qui incombait-il de déterminer si la HSBC enfreignait les sanctions, suivant la manière dont les fonds étaient avancés, à Meng ou à la HSBC ? Les États-Unis disent-ils que la HSBC était la victime ou le coupable ? – Encore une fois, faites votre choix.
  • Ainsi, même s’il est théoriquement possible, d’un point de vue légal, d’avoir un cas de fraude où la victime dit avoir été dupée sur quelque chose qu’elle connaissait déjà très bien et même s’il n’y a pas eu de perte réelle, juste un risque de perte, ne voit-on pas beaucoup de cas de fraude de ce type dans la vraie vie?
  • Je comprends que les États-Unis essaient de dire que Meng a mal agi, mais savez-vous exactement ce que les États-Unis disent que la HSBC a fait pour enfreindre les sanctions, ou s’ils disent même que la HSBC a enfreint les sanctions ?

De nombreux commentateurs ne semblaient pas penser que la Couronne avait des réponses très convaincantes ou toutes prêtes à ces questions (y compris le juge en chef Heather Holmes – nous reviendrons sur ce point plus tard).  Dans ce jeu, la carte « téléphoner à un ami » signifie que la Couronne doit demander au ministère de la Justice des États-Unis, et ce dernier ne semblait pas être chez lui ou décrocher.

Au sujet des questions de procédure relatives à Mme Meng Wanzhou, même le Canada n’a pas été en mesure d’expliquer quel type de cadre juridique elle aurait violé. Pourriez-vous nous donner votre analyse sur ce sujet ?

Les États-Unis doivent démontrer qu’il y a des preuves que Meng Wanzhou a dupe la HSBC pour l’amener à accorder une facilité de prêt en dissimulant le fait que les fonds qu’elle a accepté de prêter seraient utilisés pour des activités en Iran. Toutes choses qui amènent la HSBC à violer la legislation/sanctions américaines.

D’un point de vue juridique, cette exigence n’est pas très difficile à satisfaire pour un État requérant – le test exige que le tribunal canadien examine si les accusations portées seraient suffisantes pour qu’une affaire soit renvoyée au procès si les faits s’étaient produits au Canada – les faits reprochés ne sont pas la violation des sanctions américaines en tant que telles, mais le fait que Meng ait dupé une banque pour obtenir un crédit. Les États-Unis doivent présenter les preuves d’une manière non trompeuse et ne doivent pas abuser des droits à une procédure régulière ou accuser une ressortissante chinoise de crime politique. La défense a connu un succès mitigé dans l’obtention de preuves disculpatoires, mais le juge peut rejeter la demande sans spéculer sur les motifs politiques.

S’agit-il in fine d’un simple différend économique empêtré dans un imbroglio judiciaire ou d’un différend diplomatique instrumentalisant un système judiciaire canadien, voué à respecter un principe d’extraterritorialité qui entrave bien plus que le fonctionnement de la justice d’un État souverain, voisin direct des États-Unis d’Amérique?

Décortiquons cette question pour qu’aucun de nous ne passe pour un théoricien de la conspiration.

  • Les entreprises empêtrées dans la loi?

 Huawei produit d’excellents kits 5G (demandez à n’importe qui et il vous le dira, et beaucoup diront que les Finlandais, les Suédois et les Coréens sont également en avance sur les États-Unis, et qu’aucune des entreprises concurrentes n’apprécie que Huawei soit en avance sur elles), c’est le business. Il y a toujours des guerres de propriété intellectuelle qui se déroulent devant les tribunaux dans le monde des IT (Est contre Ouest, Ouest contre Ouest et Est contre Est), l’argent, et non la politique, en est le principal moteur.

La HSBC ne voudrait pas être perçue comme violant des sanctions alors qu’elle a payé une forte amende pour éviter d’être poursuivie pour violation présumée de sanctions dans le passé – Cuba, Soudan et autres – et si elle était accusée d’avoir fait quelque chose de similaire à nouveau, la poursuite différée des anciennes infractions présumées aurait pu être relancée. Il y a donc de la politique, de l’argent et de l’auto-préservation dans tout cela, bien sûr.

  • Le pouvoir judiciaire empêtré dans la politique? – La Chambre des Lords britannique s’est-elle empêtrée dans la politique lorsqu’il s’est agi d’extrader Pinochet ? Les juges sont habitués à ce que leurs décisions aient des conséquences politiques, mais la plupart d’entre eux essaient de respecter la loi, même à la Cour suprême des États-Unis où la politique joue un rôle important dans leur nomination.
  • Extraterritorialité entravant le fonctionnement du système judiciaire d’un État souverain voisin? –

Pas vraiment, ou peut-être pas encore – Dans un système d’État de droit sain, les juges agissent en fonction des preuves et non de ce qu’ils pensent que les politiciens veulent. Dans le cas d’une extradition, il suffit que les preuves soient suffisantes pour montrer qu’il y a lieu de répondre. Mais un autre aspect de l’État de droit implique que le juge canadien respecte le fait que c’est à un juge américain de décider de l’innocence ou de la culpabilité, à moins que le ministère de la Justice n’ait gravement enfreint les règles.

La plupart des gens ne peuvent pas nommer un seul juge de la plus haute Cour du Canada (lorsqu’il s’agit de l’Amérique, beaucoup de gens dans le monde peuvent en nommer au moins un, et cela relève à la fois de la politique et de la culture de la célébrité), ce qui rend mal à l’aise les puristes de l’État de droit.

La procédure judiciaire contre Mme Meng Wanzhou est-elle tendancieuse?

Si vous sous-entendez que les États-Unis n’apprécient pas que Huawei soit le leader de la 5G, alors oui. Mais, c’est une chose de dire cela par un journaliste, et une autre par un juge. Il y a parfois des juges qui cherchent à attirer l’attention, et c’est encore plus vrai aux États-Unis que dans la plupart des autres pays du monde. Comparez le procès d’OJ Simpson avec les caméras et celui de Michael Jackson sans les caméras.

Richard Peck explique dans « Le Figaro » que Mme Meng Wanzhou est un « pion » dans le conflit entre Washington et Pékin. Partagez-vous cet avis?

Donald Trump ayant qualifié Mme Meng d’Ivanka Trump de la Chine, à un certain niveau, c’est certain, mais les grands risques s’accompagnent de grandes responsabilités. Les Canadiens arrêtés en Chine sont-ils des pions? Ces arrestations sont-elles des représailles ? – En tant qu’avocat, vous ne pouvez qu’estimer que tout le monde a le droit de voir son cas présenté de la meilleure façon possible.

Tout le monde est innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée. En tant que juge, c’est ce que vous devez décider sans crainte ni faveur, mais préoccupé par l’idée que priver injustement quelqu’un de sa liberté est encore pire que de laisser des coupables en liberté.

Est-ce un objectif pour les Etats-Unis d’affaiblir Huawei? Ou pensez-vous que le Président Joe Biden continue d’utiliser ce procès initié par son prédécesseur comme un moyen de pression contre Pékin?

L’Amérique a été explicite quant à l’affaiblissement de Huawei.  Comme je l’ai dit, lisez le rapport final de la NASCAI pour savoir comment l’Administration Biden perçoit les enjeux. S’en prendre à Meng relève de la politique de Trump et n’est pas le style de Biden, mais les craintes sous-jacentes sont bipartisanes.

La crainte est que si les États-Unis ne remportent pas la « course à l’armement » de l’IA contre la Chine, le monde sera condamné à une dystopie totalitaire. Le point de vue selon lequel la concurrence mondiale et l’IA sont bénéfiques pour tous est à peine évoqué. Jusqu’à présent, l’histoire a vu l’Occident et la Russie tenter d’exporter leur gouvernance dans le monde bien plus que la Chine.

Tant que la Chine peut vendre des produits et améliorer le niveau de vie dans son pays, il y a de bonnes raisons d’espérer qu’elle ne rompra pas l’habitude prise au cours des millénaires d’essayer d’exporter sa gouvernance au-delà de l’Empire du Milieu, à moins d’être inutilement provoquée.

Je pense que c’est Samuel Huntington qui a dit que les Occidentaux ont tendance à oublier que c’est la supériorité de leur talent pour la violence armée plutôt que la supériorité de leurs idées qui a été la principale raison du succès de l’Occident.  Alors que les gens dans le reste du monde ne l’oublient jamais. Jusqu’à présent, je suis d’accord – mais en partie parce que je n’oublie pas non plus que Karl Marx était un Occidental.

Propos recueillis par Edem G. Gadegbeku

 

PS/- Meng’s case entering the final phase of the hearings: Six loopholes identified by the Judge regarding the Crown’s allegations

 Meng returned to court to attend the final phase of her extradition hearings. During last week’s hearings, the judge identified six loopholes regarding the Crown’s allegations. Analysts commented that the loopholes identified by the judge appeared to shake the very foundations of the Crown’s allegations against Meng.

 

Loophole 1: The Crown’s allegations against Meng are contradictory

The Crown has tried to prove that Meng failed to disclose the true relationship between Huawei and Skycom, a company operating in Iran, when she gave a PowerPoint presentation to an HSBC executive in 2018. The Crown also argued that her misstatements caused HSBC to clear Skycom’s transactions through the US-dollar clearing route, putting the bank at risk of violating US sanctions against Iran. Based on these allegations, the Crown charged Meng with bank fraud.

Loophole 2: The Crown’s charges against Meng were groundless

The Crown accused Meng of committing « fraud » on the grounds that her PowerPoint presentation put HSBC at risk of violating US sanctions against Iran. However, the bank faces risks only if it is found to have violated the sanctions. In order to determine whether Meng’s PowerPoint presentation caused HSBC to violate US sanctions, the Crown must first clearly state what the illegal act was.

The judge noted that both the Crown and the Requesting State (the US) did not make it clear what the illegal act was within the ROCs. This means there is no evidence to support the Crown’s charges against Meng.

In court, the judge asked the Crown whether all Iran-related transactions in general were illegal. The Crown responded that not all Iran-related transactions were illegal. The judge then went on to ask whether all Iran-related transactions that were cleared in US dollars were illegal, and questioned what the basis was for judging whether an act was illegal. The Crown failed to directly answer these questions.

The judge said, « I get that, but how does the ROCs make all of that clear—that certain things engage sanctions and other things don’t. It’s only with that background that one can assess what’s in the PowerPoint as to whether it was deceptive. »

During the hearing on August 12, the defense’s counsels also pointed out that the case is unique and unusual, regardless of whether it was considered from a factual or legal perspective. One reason for its unusual nature is that it is difficult to determine the basis upon which the US filed its fraud charges against Meng. Ultimately, the Crown’s allegations are materially flawed.

Loophole 3:  Meng should not be held accountable for the illegal clearing of Skycom’s US-dollar transactions

The Crown alleged that HSBC faced risks after the bank cleared transactions between Skycom and Networkers, and made a payment to Networkers based on Meng’s misstatements. The judge questioned whether it was Meng’s responsibility to advise HSBC on the route HSBC should have taken when clearing these transactions.

Judge: « It’s clear Meng said we do business in Iran. And it’s clear HSBC continues to do business with Huawei. That’s fundamental. But is Meng the one reasonably to advise HSBC on dollar clearing? »

In other words, the judge questioned why Meng should be responsible for the bank’s clearance of Skycom’s US-dollar transactions if this was not her responsibility. In response, the Crown clarified that Meng had no responsibility or obligation to advise HSBC on how to clear Skycom’s US-dollar transactions.

Loophole 4: Meng’s PowerPoint presentation has nothing to do with the US-dollar payment that is alleged to have violated US sanctions against Iran

Following Meng’s meeting with HSBC, the bank only cleared the US-dollar transactions between Skycom and Networkers, and made a payment to Networkers accordingly. This is only the payment that could potentially put HSBC at risk of facing financial compliance penalties. However, Meng’s PowerPoint presentation has nothing to do with that payment. The judge noted that Meng could not have known that the transaction between Skycom and Networkers would be cleared in US dollars when she made the PowerPoint presentation.

The judge asked, « How does the misrepresentation anticipate the connection to the US, which appears to be either that the payments were made in US dollars or that HSBC US cleared them through the US, although they were written on a Chinese bank in Asia? How would she know that they were going to make payments? »

The defense also stated that no evidence has shown that Meng was aware of the existence of the Networkers transactions. In fact, the sum of the deal (about US$2 million) would not cause the CFO of a Fortune Global 500 company to take her attention off from her daily work. Therefore, it was impossible for Meng to know that the Networkers transactions would be cleared through the US, thus putting HSBC at risk of financial compliance penalties.

Loophole 5: Why didn’t US authorities penalize HSBC for its violations if the bank has indeed faced the risk of violations due to Meng’s misstatements?

In this case, the Crown described HSBC as an « unknown » victim. However, as stipulated in the Deferred Prosecution Agreement (DPA) signed by HSBC and US prosecutors, the bank would face the risk of penalties only if it knowingly committed violations. Considering that the Crown argued HBSC had no knowledge of the relationships between Huawei and Skycom, the bank would not have faced any risk of violations. This means that the fraud charges against Meng are groundless, because the elements of fraud must include actual deprivation or risk to the victim.

If HSBC was at actual risk of penalty, it means the bank had knowingly committed violations.

The judge challenged the Crown by asking whether US authorities would pursue criminal charges against the bank for knowingly committed violations, considering that the bank had been freed from civil liability according to the ROC. The judge noted, « There was no risk suggested of prosecution of the bank in civil liability issue… Isn’t there a difference in the situation where as you’ve put it a decision made by authorities as the proceedings would be regulatory or civil or criminal? » This means prosecuting HSBC for criminal charges seems to be an option even if the bank has been freed from civil liabilities.

Through these questions, the justice challenged the very existence of the civil or criminal risk that the Crown claims the bank faced due to Meng’s PowerPoint presentation. If the bank was never going to shoulder criminal or civil liability, then where was the risk? If HSBC faced no risk, then on what grounds could they claim Meng committed fraud?

Loophole 6:  The alleged fraud case is « unusual », as no actual loss was caused many years later and the alleged vicitum had fairly extensive knowledge of the true state of affairs

The most « lethal » question the judge had for the Crown’s case came when she stated, « The expression you used—it comes within the four corners of the law of fraud. It has to in order to meet the test for extradition. But on the facts is it not unusual to see a fraud case with no actual harm many years later, and one in which the alleged victim—a large institution—appears to have had a number of people who had all the facts. »

The judge raised questions about the Crown’s claim, saying that the victim (HSBC) suffered no actual loss and that a number of people at HSBC had all the facts (regarding the relationships between Huawei and Skycom). « I simply suggest it’s unusual to have both of those features—no actual loss and fairly extensive knowledge of the true state of affairs. » This cast doubts over whether the elements of fraud are satisfied.

During the remaining days of court hearings, Meng’s lawyers are expected to prove that there was no dishonesty, no actual loss (to anyone), and even no reasonable risk theory in this case, and thus no causation between Meng’s PowerPoint presentation and any potential risk to HSBC, as alleged by US prosecutors. Therefore, the Meng case does not satisfy the elements of fraud in the test for committal, so there is no ground for committal.

After this phase of hearings ends, the judge is expected to announce her decision later this year. Concerns remain though that if this politicized case is not resolved soon, it will result in worsening geopolitical tensions between China, Canada, and the US.

Afriquinfos