La nouvelle cheffe du Gouvernement en Tunisie Najla Bouden va devoir se pencher en priorité sur une grave crise économique dans un pays dont l’instabilité chronique freine aussi les ardeurs des investisseurs et des bailleurs de fonds.
Le président Kais Saied a chargé mercredi une géologue de formation, Najla Bouden, de former un nouveau gouvernement, deux mois après avoir limogé le précédent et suspendu le Parlement.
Mme Bouden a promis sur son compte Facebook d' »oeuvrer à la formation d’un gouvernement homogène pour faire face aux difficultés économiques du pays et lutter contre la corruption ».
Les milieux d’affaires restent dans l’expectative. D’autant que Mme Bouden est dépourvue de compétences économiques et sera une cheffe de Gouvernement aux prérogatives réduites, en vertu des « mesures exceptionnelles » décrétées par le chef d’Etat pour formaliser les pleins pouvoirs qu’il s’était arrogés le 25 juillet.
Priorité des priorités, « il faut que le gouvernement relance les négociations avec le FMI pour trouver des financements », estime l’économiste Mohsen Hassan. La crise tunisienne, caractérisée par une croissance en berne depuis 10 ans (+0,6% par an en moyenne) et une forte inflation (6% par an), a été aggravée par la pandémie de la Covid-19 qui a mis le pays à l’arrêt et l’a privé de cruciales recettes touristiques (jusqu’à 14% du PIB et environ 400.000 emplois en jeu).
– « Payer la facture » –
Le PIB a ainsi plongé de 8,8% en 2020, une chute qui devrait être à peine compensée de moitié en 2021: +4% de croissance prévue par la Banque mondiale.
Pour sortir de l’ornière, à côté des aides reçues notamment de l’Union européenne, la Tunisie s’est tournée pour la quatrième fois en 10 ans vers le Fonds monétaire international (FMI), dont elle espère obtenir dès 2021 un prêt de 3,3 milliards d’euros, mais les négociations sont au point mort depuis le coup de force de M. Saied.
« Malheureusement l’économie est en train de payer la facture de l’instabilité politique — neuf gouvernements en 10 ans — et le prix de l’ignorance de la classe politique du volet économique », ajoute M. Hassan, un ancien ministre du Commerce.
Le chômage est passé de 15% avant la pandémie à près de 18%, dont une forte proportion de femmes et jeunes. Un cinquième des 12 millions d’habitants sont considérés comme pauvres ou vulnérables (vivant avec maximum 5,5 dollars par jour), ce qui a nourri des mouvements de protestation. Les autorités ont dû creuser la dette qui approche déjà les 80% du PIB pour payer une armada de fonctionnaires (14% de la population active), faisant enfler encore le déficit budgétaire (plus de 10%).
– « Etat d’urgence économique » –
M. Hassan juge la situation tellement grave qu’il faudrait « décréter l’état d’urgence économique » et s’inquiète de ce que M. Saied n’ait annoncé aucune mesure dans ce domaine, hormis ses promesses de mettre fin à la corruption. « Il n’y a aucune visibilité, même à court terme, ce qui est grave. En plus, la confiance entre les acteurs économiques ne cesse de se dégrader, nous avons perdu une grande partie de nos partenaires étrangers », déplore-t-il.
L’entrepreneur Mehdi Bhouri, ancien macroéconomiste à la Banque centrale de Tunisie, redoute de faire les frais de cette désaffection. M. Bhouri a lancé il y a trois ans, une start-up pour la culture d’une micro-algue dont est extraite l’asthaxanthine, utilisée comme anti-oxydant, anti-vieillissement et contre l’hypertension.
Pour passer à une production à grande échelle, il a sollicité des investisseurs étrangers mais le « flou qui règne sur la Tunisie » lui fait craindre de voir s’évanouir ces partenariats. « Un horizon plus clair me permettra d’obtenir le dernier accord de financement et de lancer très rapidement » la phase industrielle du projet, dit M. Bhouri qui « accepte et comprend la situation exceptionnelle » actuelle mais se demande « jusqu’à quand cela durera ? »
Tarak Cherif, président de la Confédération patronale Conect regroupant des jeunes entrepreneurs, souhaiterait voir l’Etat « essayer de faire vite, de nous donner un cap et mettre en place un gouvernement pour suivre les grands dossiers ».
A ses yeux, il est indispensable de rétablir la confiance des investisseurs pour « sortir de cette situation compliquée ». La Tunisie va rapidement devoir faire face à des échéances: elle doit rembourser 4,5 milliards d’euros sur l’année en cours et a besoin d’une rallonge budgétaire de 5,7 milliards d’euros pour boucler le budget de cette année.