Côte d’Ivoire : et maintenant, quel plan B pour Alassane Ouattara ?

Afriquinfos Editeur
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ABIDJAN (© 2020 Afriquinfos)- La disparition brutale du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, dauphin et successeur désigné d’Alassane Ouattara, rebat les cartes du jeu politique ivoirien. A quatre mois des élections présidentielles du 31 octobre, le RHDP se retrouve privé de candidat. Report ou maintien du scrutin, nouvelle candidature d’ADO, entrée en piste d’Hamed Bakayoko, candidature RHDP de plus large rassemblement ? Tous les scénarios sont à l’étude.

Amadou Gon Coulibaly, le «lion de Korhogo», est mort hier soir. Trahi par son muscle cardiaque en plein conseil des ministres, six jours à peine après être rentré d’une convalescence de deux mois effectuée dans la capitale française. Il devait être investi candidat du RHDP, le Rassemblement des Houphouëtistes pour Démocratie et la Paix, la formation présidentielle. Fidèle collaborateur d’Alassane Ouattara, qu’il côtoyait depuis trente ans, il avait été successivement son compagnon de route et de lutte au sein du RDR pendant les années de braise, le secrétaire général de la Présidence, à partir de 2011, puis son Premier ministre depuis 2017. C’est lui qui avait été choisi et imposé par le président sortant. En dépit de son manque de charisme, et malgré une santé chancelante, c’est lui qui avait été jugé le plus à même de faire fructifier l’héritage politique de son mentor ADO.

Réticent à l’idée de transmettre le pouvoir à son bouillant ministre de la Défense, Hamed Bakayoko, qui jouit pourtant d’une popularité réelle auprès de la jeunesse ivoirienne, Alassane Ouattara avait fait le choix de la raison et de la «sécurité». Il pensait et il pense toujours que Bakayoko n’a pas l’étoffe, n’a pas suffisamment «le sens de l’État». «Il n’est pas encore prêt», répétait-il à son entourage. A 78 ans, le président ivoirien, en poste depuis dix ans, n’a pas caché qu’il souhaitait passer la main. Transmettre le flambeau à « une nouvelle génération». Montrer l’exemple. La Constitution, qu’il a faite réviser, lui offre cependant la possibilité de rempiler. Ira-t-il, pour contrecarrer les desseins de son vieil adversaire, Henri Konan Bédié, «le Sphinx de Daoukro»? Désignera-t-il un candidat de substitution ? Ou s’achemine-t-on vers un report des élections ? Chaque scénario comporte autant d’avantages que d’inconvénients…

Ouattara, plan B de Ouattara ?

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Les circonstances politiques particulières et le contexte lié à la crise sanitaire et économique du coronavirus peuvent pousser le président à revenir sur son engagement de quitter le pouvoir. La Constitution lui en donne le droit. Son parti le suivrait. Les avantages d’une telle formule seraient d’abord la stabilité. On peut imaginer un habillage politique – troisième mandat «de transition», éventuellement limité dans le temps (deux ans ?) -, pour faire émerger une alternative consensuelle. Il ferait alors campagne «en binôme» avec son nouveau successeur désigné, un moyen pour le mettre en orbite avant une désignation à la vice-présidence, une fois passé le cap des élections. Mais le risque demeure réel, car le chef de l’État donnerait alors l’impression d’être revenu sur sa parole. Ses adversaires n’hésiteraient pas à l’attaquer.

Vers un report des élections ?

Une telle option – un report de quelques mois – serait le scénario le plus confortable pour le pouvoir. Mais ce scénario se heurte à une double difficulté, juridique et politique. Juridique, car la Constitution ne prévoit cette possibilité qu’en cas de décès d’un «candidat retenu par le Conseil constitutionnel». Or «AGC» n’était pas encore officiellement candidat. Politique ensuite, car une telle mesure provoquerait une levée de boucliers dans la classe politique mais aussi dans l’opinion. La flambée des contaminations liées au Covid-19 observée actuellement dans le pays pourrait cependant constituer un argument de poids et une raison légitime.

Vers une candidature de plus large rassemblement ?

Cette hypothèse supposerait de remettre à plat l’ensemble des plans échafaudés pour les cinq années à venir. Politiquement et juridiquement, l’option serait la plus défendable et la plus sage. Pour réussir, elle supposerait que le processus soit bien géré et qu’ADO s’investisse personnellement pour freiner les ambitions d’Hamed Bakayoko, et pour imposer un troisième homme. Parmi les noms qui reviennent de manière récurrente figurent, par ordre alphabétique, Patrick Achi, Marcel Amon-Tanoh, Jean-Louis Billon, Thierry Tanoh, Tidjane Thiam ou Albert Toikeusse Mabri.

Patrick Achi, secrétaire général de la Présidence, et transfuge du PDCI, manque d’assise politique, mais présente un profil technocratique finalement assez proche de celui de feu AGC. Marcel Amon-Tanoh, l’ancien ministre des Affaires étrangères, longtemps proche d’ADO, qui avait démissionné en avril pour protester contre le choix de Gon Coulibaly, pourrait être un prétendant. Billon, ancien ministre et ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire, allie compétence politique et compétence économique. Sa jeunesse est un atout.

Il a rompu avec le RHDP et rallié les rangs du PDCI, le parti d’Henri Konan Bédié. Mais résisterait-il à une main tendue de l’actuel chef de l’État pour revenir dans la famille présidentielle ? Sur la papier, l’option est osée mais séduisante. Thierry Tanoh, ancien secrétaire général de la Présidence, et ancien ministre du Pétrole, passé lui aussi au PDCI, présente lui aussi un profil «ADO-compatible». L’ex-ministre de l’enseignement supérieur, Albert Toikeusse Mabri (UDPCI), qui ne cachait pas ses ambitions, est dans une situation analogue à celle de Marcel Amon-Tanoh, même s’il est fragilisé au sein de son propre parti. Reste enfin le flamboyant banquier Tidjane Thiam (ex-Prudential, ex-Crédit Suisse). «En réserve de la République », son nom suscite bien des convoitises, mais il est resté trop éloigné des affaires ivoiriennes au cours de ces deux dernières décennies, et il aurait d’ailleurs déjà exprimé son refus…

 

K.A.N.