Tanzanie: comme un parfum de retour au parti unique

Afriquinfos Editeur
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Les scores écrasants du parti au pouvoir et du président John Magufuli aux élections du 28 octobre en Tanzanie suscitent un scepticisme généralisé parmi diplomates et analystes qui craignent que le scrutin ne marque le retour de facto à un régime de parti unique.

Le président Magufuli a été proclamé victorieux avec 84% des voix, soit le score le plus élevé depuis les premières élections multipartites en 1995, et l’opposition a rapidement dénoncé une parodie d’élection et des fraudes massives.

Des doutes sur la sincérité du scrutin avaient émergé avant le vote, le premier mandat de M. Magufuli, 61 ans, ayant été marqué, selon de nombreuses organisations des droits humains, par une dérive autoritaire, des attaques répétées contre l’opposition et le recul des libertés fondamentales.

Quand bien même, l’ampleur de la victoire a choqué de nombreux observateurs avertis de la politique tanzanienne, certains y voyant une volonté de se débarrasser complètement de l’opposition parlementaire.

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« Aucun élection dans le monde n’est parfaite, mais là c’était tellement flagrant. Ils (le parti au pouvoir) s’en fichaient. Ils avaient décidé de prendre tous les leviers du pouvoir et ils l’ont fait de façon visible« , estime à l’AFP un diplomate occidental sous couvert d’anonymat.

« La démocratie tanzanienne se retrouve vraiment sur un terrain très très instable. »

La réélection de M. Magufuli s’est doublée, aux législatives, d’un raz-de-marée de sa formation, le CCM, le Parti de la révolution, au pouvoir en Tanzanie depuis l’indépendance.

Le parti a raflé 97% des 264 sièges en jeu au parlement et, de façon surprenante, plusieurs circonscriptions historiquement acquises à l’opposition ont vu le candidat du CCM l’emporter.

« Je m’attendais à ce que l’opposition emporte près de la moitié des sièges parlementaires cette fois-ci, mais ce qui s’est passé est assez étrange. Nous sommes presque en train de revenir à un système de parti unique« , explique à l’AFP l’universitaire tanzanienne Gaudence Mpangala, de l’Université catholique de Ruaha (Sud).

Le CCM n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP pour répondre aux accusations de l’opposition et des observateurs.

D’aucuns se demandent à présent si M. Magufuli n’a pas l’intention de faire changer la Constitution pour lever la limite actuelle des deux mandats à la présidence.

« Je suppose que Magufuli va changer la Constitution pour se maintenir au pouvoir et le plus simple pour y arriver, c’est que les députés soient tous de son parti« , suggère un vendeur de fruits et légumes rencontré à Dar es Salaam, sous couvert d’anonymat de peur de représailles.

« Au pouvoir pour toujours »

La plupart des médias étrangers n’ont pas obtenu d’accréditation pour couvrir le scrutin qui s’est déroulé sans le déploiement ne serait-ce que d’une robuste mission d’observation électorale.

Le diplomate interrogé par l’AFP confie toutefois que des équipes « symboliques » composées de diplomates en poste à Dar es Salaam ont été témoins le jour du vote « de bourrages d’urnes, d’agents de partis politiques empêchés d’accéder aux bureaux de poste et de votes à répétition par des membres des forces de sécurité« .

L’opposition a rejeté en bloc les résultats et, la législation ne lui permettant pas de contester le résultat de la présidentielle en justice, avait appelé ses partisans à manifester pacifiquement à compter de lundi.

La réponse du pouvoir ne s’est pas fait attendre: plusieurs responsables du principal parti d’opposition, le Chadema, ont été arrêtés pour avoir appelé à ces manifestations déclarées « illégales« .

Tundu Lissu, arrivé 2e à la présidentielle avec 13% des voix, sous les couleurs du Chadema, a également été brièvement interpellé lundi et aucune manifestation ne s’est déroulée dans le pays de quelque 58 millions d’habitants.

En 2018, M. Magufuli, surnommé le « Bulldozer« , avait déclaré publiquement que le CCM serait « au pouvoir pour toujours, pour l’éternité« .

Murithi Mutiga, chercheur Afrique de l’Est pour l’International Crisis Group, rappelle que si le CCM a toujours été un parti au pouvoir dominant, « au moins il faisait attention à son image« .

Les deux prédécesseurs de M. Magufuli, Benjamin Mkapa (1995-2005) et Jakaya Kikwete (2005-2015) étaient des présidents au caractère posé qui, après leur mandat, ont oeuvré à des missions diplomatiques sur le continent.

« Ce que nous voyons à présent avec Magufuli (…) c’est une réelle régression vers un style de politique qui est complètement étranger à la Tanzanie, un style caractérisé par des méthodes grossières de manipulation électorale mais aussi une approche brutale de la manière dont les services de sécurité gèrent l’opposition. »