Nécessités et vertus d’une coopération environnementale en Afrique de l’ouest et du centre évoquées par Pr Awaiss

Afriquinfos Editeur
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Réponses du Pr Aboubacar Awaiss, Nigérien, Coordinateur régional du « PACO, Programme Eau et Zones humides pour l’Afrique de l’ouest et centrale », à l’Uicn (Union internationale pour la conservation de la Nature).

Le PREMI (l’Initiative pour la réduction de la pauvreté et la gestion de l’environnement) était une des composantes du PREZOH (Programme de gestion de l’eau et des zones humides en Afrique de l’ouest de l’UICN). Quelle était la principale particularité de cette Initiative qui vient d’arriver à son terme ?

Les actions portées par le PREMI se concentrent sur l’eau et les forêts, des ressources naturelles essentielles et complémentaires, dans l’optique d’en améliorer les modes de gouvernance qui sont déterminants pour la survie des populations et la pérennité de ces ressources. Toutes les initiatives abordent de façon complémentaire les questions de légitimité et participation, d’équité dans l’accès aux ressources et le partage des bénéfices, de responsabilité et transparence, et de performance (compétence et capacités des Institutions et autres acteurs).

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Elles couvrent toutes les échelles géographiques, en collaboration avec les organisations régionales (CEDEAO, UEMOA, Autorité du Bassin de la Volta…), des institutions nationales (ministères, agences nationales) et jusqu’au niveau des collectivités locales et des villages, soit pour améliorer les connaissances, soit pour tester des modèles de gouvernance et de gestion durable des ressources naturelles pour la lutte contre la pauvreté et l’adaptation aux changements climatiques.

Au bout de quatre ans d’existence (décembre 2008-décembre 2012), le PREMI est arrivé à son terme a rendu l’âme. Quels sont ses majeurs acquis en Afrique de l’ouest ?

Les acquis sont nombreux, on peut toutefois se limiter aux grands faits suivants. Le PREMI a renforcé les liens de partenariat entre l’UICN et les institutions régionales en Afrique de l’Ouest, en particulier avec la CEDEAO grâce aux dialogues régionaux sur les forêts et les grandes infrastructures hydrauliques (Barrages). Ces deux dialogues ont permis en ce qui concerne (i) les forêts : d’obtenir auprès des pays membres et des instances de la CEDEAO, un engagement politique fort, à travers une Déclaration au plus haut niveau ; d’œuvrer ensemble pour la gestion durable et la restauration des forêts afin qu’elles demeurent une ressource capable de satisfaire les besoins des populations vulnérables et un réservoir de biodiversité produisant de manière durable des biens et services.

Le dialogue régional sur les barrages, a permis de réunir les parties prenantes des cinq bassins hydrographiques majeurs de la région pour réfléchir ensemble et mieux penser les nouveaux ouvrages hydrauliques. Ce processus a permis de construire un consensus sur des lignes directrices et une liste d’ouvrages hydrauliques prioritaires dans l’espace CEDEAO.

Sur tout un autre plan, le PREMI a permis le développement d’outils pour l’évaluation économique des biens et services environnementaux et pour l’intégration de la dimension changement climatique dans la planification du développement. Ces outils sont aujourd’hui valorisés par nos partenaires nationaux et régionaux pour renforcer leurs documents stratégiques de développement.

De quelle(s) réalisation(s) issue(s) du PREMI, l’UICN peut-elle se sentir le plus fière?

Elles sont nombreuses, mais la contribution du PREMI à la dynamique régionale de réponse aux défis environnementaux et à la pauvreté mérite d’être évoquée. Elle s’inscrit principalement sur les aspects ci-dessous :

. l’appui à la mise en place et à l’opérationnalisation des cadres de concertation nationaux et régionaux multi-acteurs pour la gestion des zones de conservation et des bassins transfrontaliers ;

. le développement des outils adaptés au contexte sous-régional à l’attention des acteurs régionaux de la conservation ;

. le renforcement des capacités et des outils d’adaptation aux changements climatiques par tous les acteurs (société civile, secteur privé, élus, décideurs politiques) ;

. l’amélioration des connaissances sur la valeur des biens et services environnementaux ;

. la promotion des modes d'exploitation durable des ressources naturelles et des services des écosystèmes accessibles aux groupes vulnérables et aux pauvres dans des communautés de l'Afrique de l’Ouest ;

. le développement d’un ensemble d’activités relatives à la gestion des connaissances environnementales dans la région.

Le PREMI a contribué à la diffusion de nouvelles connaissances, à l’adoption de nouveaux outils et processus de décision à diverses échelles, que les acteurs régionaux et nationaux appellent à mettre en application, pour améliorer la gestion des ressources naturelles et la gouvernance environnementale au profit d’un développement mieux partagé entre les acteurs.

En dépit des beaux textes (nationaux et sous-régionaux) en matière de gouvernance environnementale concertée en Afrique occidentale, plusieurs Etats s’accrochent encore à leur souveraineté sur plusieurs sujets. Comment peut-on hâter la fin de cette vision unilatérale de l’avenir environnemental de l’Afrique?

Il est important en effet de noter que notre sous-région détient d’importantes ressources naturelles qui ont besoin d’une vision forte pour leur conservation, leur aménagement et leur développement. Une vision environnementale régionale, où les processus de dégradation des écosystèmes sont compris et maîtrisés, leur intégrité restaurée pour maintenir les fonctions qui génèrent des bénéfices économiques et sociaux pour les sociétés de la sous-région.

On progresse aujourd’hui vers cette démarche environnementale régionale fondée sur le fait que les pays ouest-africains ont déjà appris à travailler ensemble sur des enjeux très fortement liés à l’environnement: lutte contre la sècheresse et la désertification ; conservation et exploitation des ressources en eaux partagées ; connaissances environnementales et conservation d’écosystèmes stratégiques communs ; synergie dans les efforts de création, de gestion des aires protégées et réserves de la biosphère.

La gestion de l’environnement, est aujourd’hui un impératif partagé à l’échelle régionale. Un aspect important dans la sous-région est la convergence progressive qui se bâtit entre les différentes institutions politiques de la région et l’incorporation des questions environnementales dans leurs programmes. Du CILSS à l’UEMOA et à la CEDEAO, la volonté politique de cette convergence est aujourd’hui une réalité. Ces organisations d’intégration régionale ou de coopération technique ont élaboré ou sont en train d’élaborer des politiques environnementales régionales.

Mais si cet effort est louable, force est de constater que les politiques environnementales déjà formulées et adoptées par les instances appropriées connaissent des difficultés de mise en œuvre. Les raisons sont nombreuses, parmi lesquelles la diffusion limitée des documents institutionnels, le faible accès aux informations environnementales et politiques par les leaders d’opinion, les parlementaires et les membres de la Société civile, la faible mise en œuvre des textes juridiques, outils de mise en œuvre des politiques environnementales, etc. En fait, il manque plus particulièrement un dispositif opérationnel facilitant la mobilisation des connaissances sur les politiques régionales et les bonnes pratiques de gestion environnementale et leur traduction en actions sur le terrain, au profit des décideurs, des parlementaires et de la société civile.

L’UICN-PACO œuvre à apporter sa contribution au changement à travers le PREMI, un programme régional qui ambitionne de renforcer le partage des bonnes pratiques et des expériences de gestion durable des ressources naturelles dans la sous-région.

En quoi le PAGE (Partenariat pour la gouvernance environnementale en Afrique de l’ouest) qui va succéder au PREMI sur la période mars 2013-2017 sera-t-il original ?

Le PAGE maintient la logique de promotion des changements en matière de gouvernance des ressources naturelles en vue de lutter contre la pauvreté. Son objectif de développement vise à promouvoir la gouvernance partagée, les solutions naturelles et l’utilisation durable des ressources naturelles et des écosystèmes pour renforcer les capacités d’adaptation aux changements climatiques et accroître la contribution des bassins hydrographiques au bien-être des populations en Afrique de l’Ouest. Le PAGE est bâti sur les acquis du PREMI et s’appuie davantage sur les institutions pérennes de la sous-région (CEDEAO, UEMOA, CILSS, Organismes de bassin) afin de faciliter aussi bien l’appropriation et la durabilité des résultats que la stratégie de désengagement en fin d’intervention.

Il regroupe les aspects ci-après :

 . L’application des législations et des politiques et gouvernance partagée : les politiques et les législations sont d’autant plus susceptibles de porter des fruits que ceux qui doivent les appliquer et bénéficier de leurs résultats ont été impliqués dans leur élaboration. Dans un contexte d’intégration régionale et de décentralisation, de nouvelles institutions doivent voir le jour, des démarches intersectorielles prenant en compte les dimensions sociales et environnementales sont de plus en plus nécessaires pour garantir une cohérence d’ensemble des politiques de développement et des effets positifs à long terme. Ces systèmes de gouvernance doivent permettre à chaque niveau d’intervention, d’articuler les actions de gestion des bassins versants et des ressources naturelles, dans une perspective de long terme alliant la satisfaction des besoins actuels des populations et le renforcement des capacités d’adaptation aux changements climatiques.

. L’adaptation aux changements climatiques et lutte contre la pauvreté :l’UICN développe des outils et des approches valorisant les biens et les services des écosystèmes pour faire face aux changements climatiques, à l’insécurité alimentaire et promouvoir une économie verte. La mise en œuvre de ces solutions naturelles sur le terrain démontre leur pertinence et permet aux acteurs d’adapter les approches à leurs besoins, de se former sur le tas à de nouvelles techniques, et d’adapter leurs constructions sociales et économiques en conséquence. Cette démarche implique, aux différentes échelles d’intervention, la mise en place d’outils d’analyse, de planification et de coordination des actions, partagés entre acteurs de différents secteurs de l’environnement et du développement rural.

. La mobilisation des connaissances environnementales et renforcement des capacités : Des connaissances fiables et disponibles permettent aux acteurs de construire des analyses solides et partagées à partir desquelles on peut développer des stratégies pertinentes et efficaces, et coordonner leurs actions. Les expériences les plus pertinentes doivent être partagées et valorisées auprès des acteurs intervenant à des échelles grandissantes. Leur efficacité sera approfondie au plan scientifique et leurs effets mesurés dans le temps avant de servir de support à l’identification de nouvelles démarches politiques et légales. Leur mise en œuvre nécessite ensuite des compétences et des capacités grandissantes à toutes les échelles. Les processus d’intégration régionale et de décentralisation appellent une redistribution des rôles, un partage des responsabilités et l’accompagnement d’un plus grand nombre d’acteurs impliqués, surtout au niveau local.

L’UICN a tiré les leçons du PREMI et propose ici une démarche adaptée à la situation actuelle pour poursuivre les chantiers ouverts. Le PAGE s’appuie sur les acquis du PREMI comme on l’a évoqué précédemment et d’autres programmes de l’UICN dans la région pour mettre en œuvre les idées nouvelles qui ont fait consensus et changer l’échelle de ses interventions dans les bassins de la Volta et du Niger.

Vous êtes par ailleurs spécialiste des questions des zones humides en Afrique de l’ouest. Quelles sont les principales avancées que l’on peut recenser, au cours de la décennie écoulée, dans la préservation de ces zones, dans le cadre de la lutte contre le changement climatique dans cette partie du continent noir?

La coopération en matière de conservation et développement des zones humides est déjà assez avancée en Afrique de l’Ouest. Elle est essentielle pour des pays qui abritent 35% des bassins fluviaux d’Afrique et dont l’approvisionnement en eau douce dépend pour une grande partie de quatre grands bassins (Sénégal, Niger, Gambie, Volta) largement partagés. Le niveau d'aménagement des zones humides étant très faible, la poursuite de la coopération et de la concertation entre les pays reste plus nécessaire que jamais et doit se poursuivre en s'approfondissant.

Le développement des politiques nationales spécifiques aux zones humides est plus important dans notre sous-région que partout ailleurs en Afrique. Les plans d’action qui les accompagnent permettent à certains pays comme le Mali, le Ghana, le Burkina Faso et bientôt le Niger et Sénégal de disposer à court, moyen et long termes des moyens pour mieux gérer les écosystèmes des zones humides et renforcer en particulier leur résilience.

Le bassin du fleuve Niger est également l’un de vos domaines de spécialisation. Quel bref état des lieux peut-on dresser des dangers qui menacent ce cours d’eau stratégique partagé par plusieurs Etats d’Afrique de l’ouest ?

Si on peut se limiter aux problèmes concernant la gestion et l’utilisation des eaux du bassin du Niger, on peut noter principalement les aspects suivants :

  1. l’indisponibilité et la mauvaise distribution des ressources en eau, dépendant de l'utilisation des sols et de l'état des formations naturelles, de l’approvisionnement en eau des bassins versants, du nombre et de la nature des aménagements tels que les barrages ; une insuffisance qui se fera de plus en plus nette des disponibilités en eau par habitant dans les décennies à venir ;
  2. une altération active des bassins versants en particulier dans le massif du Fouta-Djalon, un maillon central dans le système hydrologique de l’Afrique de l’Ouest ;
  3. une prévalence partout de phénomènes d’érosion (hydrique et éolienne) favorisant l’ensablement du cours principal et de ses affluents ;
  4.  une gestion insuffisante des ressources en eau de surface ; qui plus est, des effluents post utilisation continueront de poser des problèmes importants en même temps que les maladies liées à l’eau ;
  5. l’état de la pollution qui est réel ou préoccupant dans plusieurs biefs dont le Haut Niger (Guinée) et le Delta du Niger (Nigeria), surtout avec le développement des industries extractives.

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