RABAT (© 2019 AFP) – Évolution politique, priorités, « avancées », « imperfections »… Dans un rare entretien à l’AFP, deux conseillers royaux font un tour d’horizon des vingt ans de règne de Mohammed VI.
« Peu habitué à s’exposer », Abdellatif Menouni, 75 ans, est un universitaire constitutionnaliste appelé au cabinet royal en 2011. Omar Azziman, 72 ans, universitaire nommé par deux fois ministre, « travaille sur beaucoup de choses » – droits de l’Homme, réforme de la justice, organisation territoriale, éducation.
– Quel bilan après vingt ans de règne?
« Les bienfaits du développement réalisé pendant ces 20 années n’ont pas bénéficié à tout le monde. Nous avons un mécontentement, nous n’arrivons pas à trouver des emplois pour nos jeunes, nous avons des régions trop déshéritées…. Les Marocains peuvent être fiers du parcours accompli mais on n’est pas insensible aux imperfections, aux carences et aux dysfonctionnements. Pour continuer à avancer, nous avons besoin de cohésion sociale, c’est crucial » (O. Azziman).
« Un certain nombre de choses a été accompli, l’essentiel en matière démocratique a été fait, il reste à approfondir » (A. Menouni)
– Quelles priorités ?
« Dans une première séquence, la priorité était d’avancer dans le domaine de la démocratie, de construire un état de droit, de consolider les droits humains, de tourner la page du passé, de réussir l’expérience d’une justice transitionnelle.
A partir de 2004-2006 la priorité s’est portée sur les grands chantiers économiques, les grands travaux d’infrastructures -routes, autoroutes, ports, aéroports- et l’économie avec un accent sur l’agriculture, l’industrie, les énergies alternatives. Aujourd’hui, la priorité se déplace sur la réduction des inégalités sociales, spatiales, territoriales, c’est un énorme chantier qui demande un nouveau modèle de développement plus sensible à l’impératif de justice sociale et une nouvelle politique territoriale à laquelle la régionalisation avancée contribuera fortement (O. Azziman).
– Quels changements ?
« Nous sommes un pays qui depuis l’avènement du roi Mohammed VI s’inscrit à la fois dans la continuité et le changement: il n’y pas eu de changement de régime et il n’y a pas eu de rupture, le système est resté le même en prouvant qu’il a une forte capacité d’adaptation à l’évolution du temps et de la société. La principale différence avec le règne d’Hassan II c’est qu’on est passé à la vitesse supérieure dans les choix stratégiques, l’action de l’État, la conduite des politiques publiques, l’exigence de l’efficacité » (O. Azziman)
– Qu’a apporté la nouvelle Constitution de 2011?
« Le monarque occupait une place centrale dans la précédente Constitution, il occupe toujours une place centrale: c’est l’idée de la continuité. Autrefois il occupait une place indéterminée avec des contours mobiles et flottants, aujourd’hui il occupe une place définie avec un périmètre limité: le changement est énorme (O. Azziman).
« La nouvelle Constitution a offert des possibilités aux partis politiques leur permettant de s’imposer plus qu’auparavant mais dans les faits, le changement attendu n’a pas eu lieu, il faut peut-être du temps. Il y a des lenteurs » (A. Menouni).
– Peut-on parler de monarchie parlementaire ?
« Nous ne sommes pas dans une monarchie du type Espagne ou Pays-Bas où le monarque règne mais ne gouverne pas, nous sommes dans un autre type de monarchie mais les attributions du roi sont délimitées » (O. Azziman).
« On est dans le trajet d’une monarchie parlementaire (…) mais bien évidemment, il reste peut-être certaines dispositions à perfectionner » (A. Menouni).