Les coups de force au Mali et en Guinée-Bissau démontrent le difficile enracinement de la démocratie en Afrique de l’ouest ? (Analyse)

Afriquinfos Editeur
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Au Mali, on était presque à un mois des présidentielles dont le premier tour était prévu le 29 avril prochain. En Guinée Bissau, le second tour était prévu à la même date. Et le Premier ministre sortant, Carlos Gomes Junior, était candidat au second tour de la présidentielle.

Au Mali comme en Guinée Bissau, les putschistes ont justifié leurs entorses au processus démocratique par une crise politique et militaire. Même si à Bamako, rien ne s'opposait techniquement à la tenue du premier tour des présidentielles, les militaires et leurs alliés politiques pensaient que le processus était mal engagé et que le président Amadou Toumani Touré, en fin de mandat, voulait mettre des hommes de son choix à la tête de l'exécutif. Dans pareil cas, il fallait craindre des affrontements au moment des élections et même des violences postélectorales dont les conséquences pouvaient être socialement et politiquement tragiques pour le pays.

Visiblement, ce que la junte militaire reproche au président déchu du Mali, c'est sa « mollesse » et son « incompétence » à gérer la rébellion touareg et islamiste. Pour elle, il a livré des soldats désarmés à la boucherie des rebelles et des organisations terroristes. Malheureusement, le coup d'Etat n'a rien arrangé sur le plan militaire car les assaillants (rebelles touaregs et Jihadistes) ont occupé toutes les régions du septentrion du malien en trois jours, et presque sans aucune résistance.

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A Bissau, les putschistes, conduits par le général Mamadu Turé Kuruma et les patrons des différents corps de l'armée (Terre, Air et la Marine) ont justifié le coup en dénonçant « un accord secret » qui aurait été passé entre l'exécutif et l'Angola pour « faire éliminer l'armée par les soldats angolais présents en Guinée- Bissau ». La junte a d'ailleurs indiqué qu'elle allait faciliter le départ imminent des quelque 200 soldats de cette mission. Leur retrait avait été décidé par l'Angola juste avant le putsch.

Selon de nombreux observateurs, le contexte politique a aussi favorisé ce coup d'Etat intervenu à deux semaines du second tour de la présidentielle qui devait opposer Carlos Gomes Junior au principal leader d'opposition, Kumba Yala, arrivé deuxième au premier tour du 18 mars. Mais, en prétextant que ce scrutin ne bénéficiait d'aucune garantie de transparence, donc de crédibilité, l'opposant historique avait décidé de boycotter ce second tour qu’il n'avait aucune chance de remporter. Cela a fait monter la tension socio-politique.

Et même si Kumba Yala a condamné le putsch, il n'est un secret pour personne que les militaires ont pris le pouvoir pour s'opposer à l'élection du favori de la présidentielle. « L'inimitié entre les officiers et Carlos Gomes était de notoriété publique. Cadogo (Carlos Gomes Junior), qui a l'oreille des milieux d'affaires et de la communauté internationale, ne cachait pas son intention de réformer l'armée et de lui enlever son pouvoir. S'il était arrivé à la présidence, plus rien n'aurait pu l'arrêter. Les putschistes ont saisi la dernière opportunité pour le faire, assure un homme d'affaires implanté dans plusieurs capitales ouest africaines, notamment à Bissau et à Bamako.

« L'armée malienne a-t-elle montré la voie aux autres institutions militaires en Afrique pour renverser le pouvoir par la force ?», se sont interrogés de nombreux observateurs politiques au lendemain du putsch de Bissau. Et pourtant, le « putsch » de Bamako a reçu un carton rouge de la part de la Communauté internationale et la junte a rapidement rectifié le tir par le « rétablissement » de l'ordre institutionnel au pays. Cet échec n'a pas empêché les militaires de la Guinée-Bissau de prendre les commandes du pays par la force. Même si, ils assurent eux aussi n'avoir aucune ambition politique.

« Au Mali aujourd'hui, personne n'est dupe. De jour en jour, on découvre que le président par intérim ne contrôle rien. C'est la junte militaire qui exerce réellement le pouvoir dans un bicéphalisme qui n'est pas prévu par la constitution du 25 février 1992. Tant le CNRDRE demeure, il ne faut espérer un vrai retour à l'ordre constitutionnel. C'est le même scénario en Guinée-Bissau. Toutes les promesses de la junte de ce pays ne visent qu'à amadouer la CEDEAO et la communauté internationale afin d'éviter les sanctions et de s'éterniser au pouvoir », analyse un chroniqueur politique malien.

« J'ai rarement vu des militaires prendre le pouvoir et le rendre d'eux-mêmes ! Même s'ils le rendent d'eux-mêmes, c'est de longues années après l'avoir pris. Dans le cas du Mali, le médiateur de la CEDEAO, Blaise Compaoré, est arrivé au pouvoir par un coup d'Etat et il est toujours là. C'est un constat et non un jugement que je fais. Je constate aussi que Jerry John Rawlings est resté un bon moment au pouvoir avant de passer la main: il a effectivement sorti le Ghana du marasme mais ça se compte, le nombre d'années qui lui a fallu pour estimer qu'il devait partir. », Souligne Pr. Ali Nouhoum Diallo, ancien président de l'Assemblée nationale du Mali et du Parlement de la CEDEAO.

Comment expliquer la persistance de ces coups d'Etat en Afrique, notamment à l'ouest du continent ? Pour le politologue Pierre Franklin Tavares, « l'Afrique subit avec une acuité particulière les déstabilisations politiques et sociales dues à la mondialisation. En effet, déjà fragiles, les jeunes Etats indépendants ont hérité d'une souveraineté chancelante que la domination des multinationales et la dislocation des sociétés sous l'effet des politiques d'ajustement structurel ont achevé de réduire à néant. Ainsi, la puissance publique devient une fiction dont on cherche à tirer profit et le coup d'Etat un mode naturel de conquête du pouvoir ».

Un avis largement partagé par de nombreux politologues et chroniqueurs politiques qui se sont prononcés sur la question. Pour la majorité d'entre eux, les coups de force au Mali et en Guinée-Bissau démontrent le difficile enracinement de la démocratie en Afrique de l'ouest.

« Avec des gouvernants mal inspirés dans leurs politiques de développement et des oppositions qui contestent systématiquement tout ce qui ne les arrangent pas, les militaires seront toujours pour s'improviser dans le rôle d'arbitre. Ce qui se passe aujourd’hui au Mali et en Guinée-Bissau, peut se produire dans presque tous les pays de cette sous-région, à l'exception peut-être du Sénégal qui est un pays à tradition démocratique et dont l'armée ne s'est jamais réellement intéressée à la conquête du pays. Elle (armée sénégalaise) est la seule armée républicaine de l'Afrique de l'ouest », défend l'un d'eux. Ce qui est encourageant, c'est que la CEDEAO est aujourd'hui déterminée à ne plus fermer les yeux sur les entorses aux processus démocratiques dans la sous-région. Comme au Mali, l'organisation régionale campe sur une position très dure, réclamant le départ pur et simple des militaires Bissau- guinéens.

Pour nos interlocuteurs, seule la fermeté de la CEDEAO et de la communauté internationale peut permettre de tourner la page des coups de force militaires dans cette sous-région. Ils sont nombreux aussi à appeler les politiciens à plus de responsabilité et à plus de clairvoyance afin de ne pas exposer leurs pays à « l’instabilité sociopolitique et économique offrant ainsi des brèches aux militaires qui sont toujours aux aguets pour s'accaparer du pouvoir ». Et cela au nom du « redressement de la démocratie » et de la « restauration de l'Eta » comme le prétextent le capitaine Amadou Haya Sanogo et ses compagnons d'armes au Mali.