Tchad: le malaise perdure à l’Université de N’Djaména

Afriquinfos Editeur
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"Les décrets 1516 et 1517 ont créé une situation de malaise sans précédent au sein de l'Université de N'Djaména. C'est une crise qui provoque un certain laxisme et, à la limite, une démoralisation et une démobilisation du corps professoral", a confié à Xinhua Vincent de Paul Allambademal, enseignant à l'université de la capitale tchadienne. L'Université de N'Djaména est la plus ancien et grand des cinq universités et sept instituts techniques universitaires que compte le pays. Elle englobe quatre facultés éclatées à travers la capitale: Droit et sciences économiques, Lettres et sciences humaines, Sciences de la santé, Sciences exactes et appliquées.

Par les décrets 1516 et 1517 précités, promulgués en décembre 2011, le président Idriss Déby Itno a décidé de transférer trois facultés (Sciences juridiques et politiques, Sciences humaines et sociales, et Arts et communication) dans trois villes de provinces: Abéché à l'est, Ati au centre, et Sarh au sud. Or, ces trois facultés n'existent pas encore en réalité, font remarquer enseignants et étudiants. Le conseil rectoral de l'Université de N'Djaména a été le premier à réagir à la décision présidentielle " prise sans concerter les syndicats des enseignants". "Il est pratiquement improbable qu'il y ait à Sarh, Abéché ou Ati, des structures académiques et sociales suffisantes pour accueillir au même moment tous ces effectifs", note-t-il dans une fiche détaillée adressée au ministre de l'Enseignement supérieur, fin décembre 2011.

"La décision de transfert est prise de façon hâtive et sans concertation. Et les dispositions n'étant pas prises pour un transfert convenable, le redéploiement ne pourrait qu'occasionner des conséquences plus négatives que positives", ajoute la fiche. "Il n'y a ni nécessité, ni urgence, ni péril en la demeure justifiant ce transfert", soutient Vincent de Paul Allambademal. Pour contester la délocalisation des trois facultés, les enseignants évoquent plusieurs raisons. Les trois villes provinciales Abéché, Ati et Sarh ne renferment pas de structures d'enseignement et de recherche (laboratoires, bibliothèques, salles de classe, etc.). Ils estiment qu'ils ne peuvent pas se déplacer avec leurs familles, notamment avec leurs enfants qui sont inscrits dans des écoles de la capitale. Ensuite, le déplacement massif des étudiants ne serait guère facile. Enfin, les conditions de vie et d'hébergement dans les trois villes provinciales ne sont pas encore réunies.

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"D'après les enquêtes que nous avons menées, il n'y a pas de maison en location à Ati et l'eau y est également rare. A Abéché, une seule chambre coûte déjà entre 30.000 et 60.000 francs CFA. Et un déplacement massif des étudiants devrait y augmenter les loyers ", déclare Khamis Taroum, porte-parole de l'Union nationale des étudiants tchadiens (UNET). La bourse d'études au Tchad, qui s'élève à 25.000 francs CFA par mois, devrait être revalorisée cette année, avait promis le chef de l'Etat début décembre 2011. Le transfert devrait toucher 185 enseignants. Beaucoup d'entre eux ayant signé des contrats avec l'Université de N'Djaména, leur transfert en province entraînerait de facto la rupture de ces contrats. Le transfert concerne également 4.261 étudiants dont certains, travaillant dans la fonction publique ou dans le secteur privé, se sont inscrits en régime spécial. Il serait très difficile pour cette catégorie d'étudiants d'aller continuer leurs études en provinces et de de travailler dans la capitale.

Samedi, au cours d'une énième assemblée générale, les étudiants ont réaffirmé leur refus d'être "déportés en provinces".

Depuis une décennie, les années académiques se ressemblent à l'Université de N'Djaména: très longues et ponctuées de grèves à répétition. L'année 2010-2011 n'y est donc pas encore achevée, ayant été récemment interrompue par une grève de plus de trois mois.

Le président Déby Itno a inauguré, il y a deux mois, un complexe universitaire ultramoderne, à Toukra, à une dizaine de kilomètres de la capitale. Le complexe de Toukra, qui devrait abriter l'Université de N'Djaména, comprend huit facultés, un rectorat, une bibliothèque multimédia, des logements pour étudiants et enseignants, etc. Il est capable d'accueillir entre 15.000 et 20.000 étudiants.

"Pour qui l'Université de Toukra a-t-elle été construite?", s'interroge le porte-parole des étudiants, Khamis Taroum. "Si besoin il y a, le gouvernement devrait maintenir les facultés de l'Université de N'Djaména, les transférer à Toukra et construire d'autres similaires dans les provinces", dit-il.