Loin des blablablas d’Afrique francophone…

Afriquinfos Editeur
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Je suis depuis quelques jours au Cap, invité à prendre part à un Forum dont le thème, pour le moins provocateur, suffisait amplement à justifier le déplacement : Money, Power & Sex, The paradox of unequal growth (Monnaie, pouvoir et sexe. Le paradoxe d’une  croissance inégale) Vaste programme qui ferait fuir le plus audacieux des économistes, mais qui ne semble pas pour autant décourager la belle brochette d’activistes, d’universitaires, d’artistes (notamment, Fela Kuti), d’hommes d’affaires et de décideurs politiques d’Afrique et de la diaspora ayant fait le voyage.  

Ce melting-pot social et humain n’aurait aucun sens ailleurs, surtout dans la sphère dite francophone où les atavismes et les mauvaises habitudes perdurent. Dans une Afrique australe où le futur, c’est déjà demain, il est source de cohésion, de réflexion et de projection. La devise générale, ici, étant : se creuser les méninges, maîtriser son propre destin pour ne pas disparaître de la carte…

Dans ma petite vie, j’ai participé à quelques dizaines de conférences internationales. Je dois à la vérité de reconnaître que c’est la première fois que j’assiste à un colloque aussi structuré, aussi dense, notamment par la profusion, la qualité et la concision des interventions, la variété et le sérieux des suggestions faites par des femmes et des hommes venus d’horizons aussi différents que la Tanzanie, le Soudan du Sud, le Kenya, le Malawi, les Etats-Unis, la Grande Bretagne et… l’Afrique du Sud.

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Le forum a démarré à l’heure. Installée dans le grand auditorium du Centre international de conférence du Cap, l’assistance attendait les intervenants et non pas l’inverse, comme c’est bien souvent le cas ailleurs. Les micros fonctionnaient comme il se doit, les cordons et autres câbles électriques ne traînaient pas par terre. La sonorisation était harmonieuse, pour le plus grand bien de nos tympans. Le système vidéo assurait, sans fioriture, et sans qu’il soit nécessaire de recourir de façon intempestive à un technicien. La climatisation, polaire au début des travaux, a été vite régulée. Les fauteuils et les accoudoirs étaient nickel, les traducteurs-interprètes trilingues au mieux de leur forme.

Les orateurs étaient brefs, précis, articulés, courtois sans verser dans la forfanterie, ouverts à la discussion et à la critique. Ils prenaient le soin d’étayer leurs propos d’exemples précis et identifiables, bien souvent puisés dans le terroir, empruntés à la région ou tirés du patrimoine continental. Formés dans les meilleures universités du monde, creusets de l’universalisme et du cosmopolitisme comme Harvard, Yale, Princeton, London School of Economics ou McGill, ils pensaient « local », insensibles, pour ne pas dire hermétiques, aux analyses produites ailleurs, aux feuilles de route et autres clameurs et humeurs en provenance de la Maison Blanche, du 10 Downing Street ou de l’Elysée. « Pourquoi diable voulez-vous que je prête une attention particulière aux articles de The Economist sur mon pays, lancera même à la tribune un universitaire de renom. Le plus important, c’est ce que nous pensions de nous mêmes. L’opinion d’un éditorialiste africain m’importe plus que ce qui s’écrit dans le New York Times ou The Guardian… » 

Bienvenu dans l’Autre Afrique, celle qui s’assume, racle les fonds de caisse pour assurer les fins de mois difficiles, refuse de larmoyer et de tendre la sébile, parce que persuadée que la main qui donne est obligatoirement au-dessus de la main qui reçoit. Le temps compte peu en Afrique de l’Ouest et du Centre. Il est capital pour ceux des Africains se trouvant dans la frange australe et orientale du continent. Avec le temps, ces derniers compris et digéré le diagnostic lucide de feu le Mwalimu Julius Nyerere, premier président de la Tanzanie indépendante, sur ce drôle de « continent où l’on mange ce qu’on ne produit pas, tout en produisant ce que l’on ne mange pas. Une terre où l’on laisse partir à l’étranger ses propres richesses naturelles tout en demandant l’aumône censée conduire à la richesse… »