Comprendre l’étendue des accusations portées contre Atul, Rajesh et Ajay Gupta en Afrique du Sud dans plusieurs scandales

Afriquinfos Editeur
10 Min de Lecture
L'entrée de la propriété de la famille Gupta à Johannesburg, perquisitionnée par la police financière sud-africaine le 14 février 2018.

L’Afrique du Sud s’est dite consternée vendredi 7 avril après avoir appris que les Emirats arabes unis avaient rejeté en février 2023 sa demande d’extradition pour les frères Atul et Rajesh Gupta, au cœur d’un vaste scandale de corruption d’Etat impliquant l’ex-président Jacob Zuma.

Des manifestants défilent pour demander la démission du président Jacob Zuma, le 7 avril 2017 à Pretoria, en Afrique du Sud.

Le ministre sud-africain de la Justice Ronald Lamola a précisé que le gouvernement avait été informé au soir du 6 avril de la décision d’un tribunal de Dubaï de ne pas autoriser l’extradition des deux hommes d’affaires, arrêtés dans la même ville en juin 2022. « Nous avons appris avec stupeur et consternation que l’audience d’extradition a eu lieu au tribunal à Dubaï le 13 février 2023 et que notre demande d’extradition a été rejetée« , a dit M. Lamola. Les médias d’Etat aux Emirats ont assuré que la procédure de demande d’extradition n’avait pas été respectée, mais qu’une nouvelle demande pouvait être présentée.

Les deux Gupta, et un troisième frère Ajay, d’origine indienne et redoutable trio d’hommes d’affaires, sont accusés d’avoir pillé les caisses de l’Etat, avec la complicité de M. Zuma, pendant ses neuf ans au pouvoir. L’Afrique du Sud tente de mettre la main sur la richissime et influente famille depuis des années. Un rapport explosif avait dévoilé fin 2016 l’ampleur de ce qui a été baptisé dans le pays de « capture d’Etat ».

Le trio est accusé d’avoir infiltré le sommet de l’Etat, profitant d’une longue amitié avec Zuma qu’ils ont acheté à coups de pots-de-vin tout au long de ses deux mandats (2009-2018). Ils auraient méthodiquement siphonné les caisses du pays, pillé les entreprises publiques et étendu leur emprise jusqu’à influencer le choix des ministres.

- Advertisement -

Ils ont ont fui l’Afrique du Sud après la création, en 2018, d’une Commission chargée d’enquêter sur la corruption d’Etat. L’Afrique du Sud avait formulé une demande d’extradition en juillet 2022, peu après l’arrestation des deux frères à Dubaï. Les arrestations avaient suivi la signature d’un traité d’extradition entre Pretoria et les Emirats.

– Accumulation d’accusations –

Au centre de la demande d’extradition figure un contrat public douteux de l’équivalent de 1,5 million d’euros. Une infime partie dans l’accumulation des accusations contre les frères Gupta. Selon M. Lamola, le tribunal émirati a estimé être compétent sur les faits de blanchiment reprochés aux deux frères, les faits ayant été commis aussi bien dans le pays qu’en Afrique du Sud. Sur les accusations de fraude et de corruption, le tribunal a estimé que le mandat d’arrêt avait été annulé, selon le ministre.

« Les raisons invoquées pour le rejet de notre requête sont inexplicables et vont à l’encontre des assurances données par les autorités des Emirats selon lesquelles notre requête était compatible avec leurs exigences« , a-t-il estimé.

Le ministre a accusé les Emirats de ne pas avoir suffisamment consulté le Gouvernement sud-africain avant le rejet de l’extradition, ajoutant qu’un tel « niveau de non-coopération » était « largement sans précédent« . Il a précisé avoir reçu un résumé du jugement en langue arabe seule et avoir dû travailler toute la nuit pour analyser ce document. « Nous avons toujours l’intention de nous tourner vers nos partenaires (…) afin de nous assurer que la décision du tribunal fasse rapidement l’objet d’un appel« , a-t-il toutefois ajouté lors d’une conférence de presse.

Cette « extradition ratée » constitue un motif « d’embarras national« , a jugé le principal parti d’opposition sud-africain, l’Alliance démocratique. Les Emirats arabes unis ont réfuté ces accusations, affirmant que les autorités judiciaires avaient informé leurs homologues sud-africains « à chaque étape » de la procédure. « La décision de rejeter cette demande d’extradition a suivi un processus d’examen exhaustif et légal« , a indiqué WAM, l’agence de presse officielle des Emirats. Selon cette source, la demande d’extradition ne comportait pas de copie du mandat d’arrêt, ou incluait une version non conforme. Selon l’agence, l’Afrique du Sud a toujours la possibilité d’adresser une nouvelle demande « avec de nouveaux documents« .

Toutefois, selon des informations de presse récentes, les deux frères auraient été aperçus en Suisse fin mars 2023.

Les Gupta, un patronyme suscitant des critiques anti-corruption en Afrique du Sud

En Afrique du Sud, le nom de Gupta rime avec corruption. Si l’extradition des frères Atul et Rajesh Gupta vers Pretoria a été rejetée par les Emirats arabes unis, leurs noms ainsi que celui d’un troisième frère, Ajay, apparaît dans la plupart des scandales qui ont forcé l’ancien Président sud-africain Jacob Zuma à la démission en 2018.

– « Capture d’Etat »

Les Sud-Africains ont inventé un terme pour qualifier cette corruption massive, ils appellent cela de la « capture d’Etat ». Un scandale qui rythme la vie politique et médiatique du pays depuis plusieurs années. L’histoire commence en 2013 avec l’atterrissage d’un avion transportant 200 convives sur une base militaire près de la capitale Pretoria, réservée aux chefs d’Etat et aux manœuvres militaires, pour un mariage de la famille Gupta.

Les invités échappent à tous les contrôles d’immigration et profitent même d’une escorte policière jusqu’au lieu du mariage. Au fil des révélations de presse, qui se succèdent à la manière d’un feuilleton sidérant, la proximité du trio d’hommes d’affaires d’origine indienne avec le Président est petit à petit mise au jour.

Pressions pour l’attribution de contrats publics, influence sur le choix des ministres: fin 2016, un rapport accablant de la médiatrice de la République dévoile l’ampleur de leur emprise, précipitant la fin du mandat de Jacob Zuma, poussé à la démission par l’ANC en 2018.

– L’origine des frères

Ajay, Atul et Rajesh, aujourd’hui quinquagénaires, ont grandi dans une famille de classe moyenne à Saharanpur, dans le nord de l’Inde (Uttar Pradesh).

En 1993, un an avant l’élection à la présidence de Nelson Mandela, Atul s’envole vers Johannesburg, poussé par son père alors convaincu que l’Afrique du Sud allait devenir « la nouvelle Amérique« , avait expliqué un porte-parole de la famille. Il y sera rejoint par ses frères quelques années plus tard, notamment Ajay qui a suivi des études d’expert-comptable à New Delhi.

Si l’Afrique du Sud n’est pas forcément devenue l’eldorado imaginée par le patriarche Gupta, les frères ont réussi en moins de 20 ans à y bâtir un puissant conglomérat d’entreprises qui en a fait une des familles les plus riches du pays.

En 1994, ils créent « Sahara Computers« , entreprise informatique qui a employé jusqu’à 10.000 personnes, avant sa liquidation en 2018. Ils possédaient aussi des parts dans plusieurs mines, notamment d’uranium, et des médias progouvernementaux qui ont depuis disparu. Leur luxueuse propriété de Johannesburg a été le théâtre de nombreuses fêtes et conciliabules avec des hommes politiques, révélées par la presse et lors des auditions de la Commission d’enquête sur la corruption présidée depuis 2018 par le juge Raymond Zondo.

– Le lien avec Zuma

Jacob Zuma ne s’est jamais caché de son amitié avec la famille, qu’il a rencontrée au début des années 2000 avant son accession à la magistrature suprême, en 2009. Dans un rapport publié en juin 2022, M. Zuma est décrit comme le « pantin » de la fratrie, prêt « à faire tout ce que les Gupta voulaient« .

Un des fils du Président, Duduzane Zuma, a dirigé « Sahara Computers » et siégeait au Conseil d’administration de plusieurs mines du groupe. En 2016, le vice-ministre des Finances Mcebisi Jonas a affirmé que les Gupta lui avaient proposé le portefeuille du Trésor.

Et le ministre des Finances de l’époque, Pravin Gordhan, a dévoilé plus de 70 transactions considérées comme « suspectes » d’entreprises détenues par les Gupta, pour un montant de 461 millions d’euros. Il sera limogé en mars 2017.

Un ancien haut responsable du géant public de l’électricité Eskom, Zola Tsotsi, a décrit devant une commission d’enquête parlementaire le pouvoir de la fratrie. « Tony (surnom de Rajesh Gupta) m’a dit un jour (…): +Nous sommes ceux qui vous ont mis en place, nous pouvons vous en faire partir+« .