Le procès Taylor était-il pipé ?

Afriquinfos Editeur
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L’ancien homme fort du Liberia, Charles Taylor, aurait dû sortir libre du prétoire, et non pas être condamné pour « crimes de guerre », assure, sans autre forme de procès, le juge sénégalais Malick Sow dans une interview à paraître en décembre dans New African, un magazine panafricain publié à Londres. « Il n’y avait pas assez de preuves pour établir sa culpabilité dans les dramatiques événements intervenus en Sierra Leone. Logiquement, il aurait donc dû être libéré au terme du procès », assure l’intéressé.

Aujourd’hui âgé de 64 ans, Charles Taylor a été condamné, non pas pour les crimes commis dans son pays, le Liberia, mais dans l’Etat voisin, la Sierra Leone, où il est accusé d’avoir activement soutenu une rébellion armée qui s’est rendue coupable, à l’instar des Khmers rouges, d’abominables exactions contre la population civile : viols, amputations du bras (dénommées manche longue) ou de l’avant-bras (manche courte), enrôlements forcés d’enfants, exécutions sommaires, sur fond de trafic de diamant.

Le magistrat Malick Sow critique la manière dont le procès a été conduit. Il fait état de « contradictions », de « mensonges », voire de « manipulations ». Il était lui-même juge suppléant lors du procès et aurait pu, à ce titre, remplacer l’un des trois juges titulaires en cas d’une éventuelle défaillance de l’un d’entre eux. Lorsque Taylor a été déclaré « coupable », en avril 2012, il a bien tenté de faire état de sa « position dissidente », comme c’est souvent le cas devant les juridictions internationales, mais en a été empêché par ses collègues.

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« Je ne pouvais garder le silence devant autant de contradictions, de mensonges et de manipulations, explique-t-il au magazine londonien. La justice internationale ne peut fonder sa décision et condamner un prévenu sur la base de simples rumeurs. Après tout, il s’agit de crimes de guerre, de crimes de masse. Sur des sujets aussi graves, on attendait de nous la plus grande rigueur. Franchement, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone n’a pas été à la hauteur. »  

Le magistrat sénégalais brocarde par ailleurs la perversion du système de rétribution des témoins, transportés de la Sierra Leone vers la Hollande, hébergés sur place, avec per diem, ce qui a, à ses yeux, faussé le jeu et, de facto, jeté la suspicion sur certaines de leurs dépositions. Il révèle aussi des désaccords profonds entre les trois juges au cours des délibérations ayant précédé l’énoncé du verdict.

Les avocats de Charles Taylor, qui ont fait appel de la condamnation à 50 ans de prison, ont saisi la balle au bond. L’un d’eux, maître Morris Anyah, a aussitôt annoncé qu’il entendait citer le juge sénégalais comme témoin à la barre, lors de l’examen du dossier en appel.