(© 2019 Afriquinfos)-Ibrahim Thiaw est Secrétaire général adjoint des Nations unies et Secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD). La question se pose : Comment nourrir le milliard et demi d’Africains d’ici 2050, tout en préservant les équilibres écologiques, condition sine qua non de stabilité économique, politique et sociale ? L’Afrique doit pouvoir transformer ces défis en opportunités.
Désertification, dégradation des terres, changements climatiques. Pour les jeunes des cités, les commerçantes des marchés, ou encore les coiffeurs de quartiers, il s’agit d’une litanie de termes techniques au contenu abscons, souvent associés aux catastrophes naturelles. Usités lorsque les sécheresses déciment les troupeaux, dévastent les champs, affaissent les courbes de croissance économique. Ou lorsque les jeunes, désœuvrés, incapables de produire sur des terres ancestrales désormais infertiles, n’ont plus d’autres choix que de migrer vers les villes, les pays voisins, ou de plus en plus loin…
Vicieuse et silencieuse tel un cancer, pernicieuse et aussi destructrice qu’un violent tsunami, la dégradation des terres infecte les organes de nos sociétés et ronge la moelle de nos économies. La dégradation des ressources végétales et l’érosion de cette fine couche de sol qui nous nourrit conduisent à des conflits de plus en plus meurtriers entre usagers des terres : éleveurs / agriculteurs ; ruraux / citadins ; jeunes / anciens. L’Afrique de l’Est souffre déjà d’une promiscuité aiguë sur des collines jadis vertes, aujourd’hui largement glabres. L’Afrique du Nord étouffe sous des conflits sous-jacents entre montagnards et habitants des plaines. Le Sahel vit une situation déjà explosive.
La terre nourrit les peuples. Certaines régions du monde, comme c’est largement le cas de l’Afrique, ont une dépendance linéaire à la terre : production / autoconsommation. Peu ou pas de réserve alimentaire. Tout accident, toute pénurie due à des intempéries ou des infestations zoologiques conduisent à des crises aiguës et à une recrudescence des appels humanitaires.
L’équation est aussi simple à poser qu’elle est complexe à résoudre : comment nourrir le milliard et demi d’Africains d’ici 2050 (deux milliards prévus à la fin du siècle), tout en préservant les équilibres écologiques, condition sine qua non de stabilité économique, politique et sociale ? Plus nous détruisons nos forêts, plus nous épuisons nos réserves en eau. Plus nous étendons l’exploitation agricole et/ou pastorale sur des terres fragiles et marginales, plus nous intensifions les risques de conflits liés à l’accès aux terres et à l’eau. Abattre les derniers spécimens d’arbustes dans le Sahara ou le Kalahari revient à intensifier érosion des sols et déstabilisation des dunes de sables, entraînant des maladies hydriques ou des infections respiratoires dues aux aérosols. Une quadrature du cercle.
Toutefois, l’Afrique doit pouvoir transformer ces défis en opportunités. Avec ses 700 millions d’hectares de terres dégradées prêtes à être restaurées et remises en état de production pour nourrir sa population, c’est le continent qui offre le plus grand potentiel de développement. Cette dynamique pourra créer un cercle vertueux avec la création d’entreprises, de millions d’emplois verts fournissant de nouveaux moyens de subsistance, ouvrant ainsi des perspectives heureuses à une jeunesse vibrante et soucieuse de son développement et de son environnement.
Les terres représentent une ressource fondamentale et sont un élément de la solution au défi climatique.