L’acquittement de Simone Gbagbo, prime à la relance de la vraie réconciliation en Côte d’Ivoire

Afriquinfos
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Abidjan (© Afriquinfos 2017)La cour d’Assises d’Abidjan a acquitté ce mardi l’ex-première dame de Côte d’Ivoire, Simone Gbagbo. Elle était jugée (depuis près de 10 mois) pour crimes contre l’humanité lors des évènements postélectoraux de 2010-2011. Un acquittement perçu hors de la Côte d’Ivoire comme un grand geste d’apaisement. A mettre à l’actif de toute la classe politique ivoirienne.

 

Certes, la justice est supposée indépendante vis-à-vis du politique en Côte d’Ivoire. Mais dans le contexte judiciaire dans lequel le second procès de Mme Gbagbo a été instruit, on s’attendait à un verdict lourd, implacable. D’autant plus que le Procureur de la République Aly Yéo avait requis la prison à vie contre l’ancienne «first lady», durant une heure de réquisitoire! Le Collectif des victimes de Côte d’Ivoire a beau déclarer que cet acquittement est une «prime supplémentaire à l’impunité». Mais le verdict final du procès numéro 2 de Mme Gbagbo est une bouffée d’air dans le monde judiciaire ivoirien confronté à des faits et gestes inédits depuis l’ouverture des poursuites judiciaires contre Ehivet Gbagbo (qui ne fut pas non plus une sainte au plus fort de l’enlisement de la crise politico-militaire en Côte d’Ivoire).

Jugement en solo au lieu d’un jugement en groupe dans ce procès qui vient de prendre fin, méthode judiciaire à l’inverse dans le procès numéro un de Mme Gbagbo; plusieurs témoins clés de l’affaire jugée abonnés aux absents lors des audiences, instructions à la va-vite, etc. Bref, tous les ingrédients ont été réunis pour ne pas accorder une grande crédibilité aux verdicts de ces deux procès précités, encore plus le deuxième !

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En attendant les prochains développements judiciaires en Côte d’Ivoire, la décision rendue par les jurés des assises qui viennent de refermer leurs portes à Abidjan ce mardi a le mérite de souligner que des analystes politiques neutres (véritables partisans d’une justice équitable et vrais patriotes) existent encore dans ce pays leader des économies francophones en Afrique de l’ouest. Il fallait nécessairement une conclusion pareille à ce procès pour éviter de souffler à nouveau sur les braises politiques toujours fumantes en Côte d’Ivoire, quelques semaines seulement après des mutineries militaires si peu curieuses et un débrayage général dans l’administration ivoirienne.

Les efforts économiques en Côte d’Ivoire depuis 2011 pour poser les 1ers pas de l’émergence avaient besoin de ce signal judiciaire fort que constitue le verdict de ce 28 mars. Pour conforter cet apaisement, il faudra nécessairement enclencher des procédures judiciaires plus inclusives, qui prennent surtout et dorénavant aussi en compte les infractions commises par les pro-Ouattara durant la sordide crise politique armée du 19 septembre 2002 à avril 2011! Ce sera un puissant moyen de gommer «l’image de la justice des vainqueurs» que renvoient depuis deux ans les procédures judiciaires portant sur la crise ivoirienne, à côté du recours éventuel aux juridictions internationales dans certains dossiers. La véritable réconciliation ivoirienne sera à ce prix.

 

Grosses photographies d’un verdict inattendu

«Le jury à la majorité déclare Simone Gbagbo non coupable des crimes qui lui sont reprochés, prononce son acquittement et ordonne qu’elle soit remise immédiatement en liberté si elle n’est retenue pour d’autres causes», a déclaré le juge Kouadjo Boiqui, président de la Cour d’assises. Simone Gbagbo purge déjà une peine de 20 ans de prison pour «atteinte à la sûreté de l’Etat» prononcée en 2015. Sa dernière apparition au palais de justice remontait à fin novembre. Ce mardi encore, elle était absente lors du verdict. Elle n’a eu de cesse de dénoncer «un procès inéquitable».

Quelques heures plus tôt dans la journée, le procureur général du tribunal d’Abidjan avait requis une peine d’emprisonnement à vie à l’encontre l’épouse de l’ancien chef d’Etat ivoirien Laurent Gbagbo pour sceller «la réconciliation nationale», après la crise de 2010-2011.

Phases clés d’un procès polémique jusqu’au bout

L’année dernière, l’ex-première dame a, plusieurs reprises,  refusé de comparaître devant la cour d’assises d’Abidjan où elle est jugée pour crimes contre l’humanité. Elle protestait contre la non-comparution en tant que témoins de plusieurs personnalités que sa défense estime importantes. Mais le président de la Cour d’assises d’Abidjan, le juge Boiqui Kouadjo, a estimé qu’on pouvait «passer outre» l’absence de l’accusée pour poursuivre les débats. Les audiences se sont ainsi poursuivies  sans elle.

«Je ne veux pas vous recevoir, je ne veux même pas savoir de quoi il s’agit», avait dit Simone Gbagbo à l’huissier chargé de lui transmettre sa convocation dans sa cellule, selon le document lu par le greffier du tribunal. La loi prévoit que le président puisse forcer l’accusé à être présent ou se passer de sa présence lorsqu’il estime qu’il n’est pas nécessaire. Et suivant les recommandations du procureur et des parties civiles, le juge a donc choisi de ne pas faire usage de la force.

«C’est elle qui a décidé de ne pas comparaître. On peut très bien se passer de sa présence. Elle s’est longuement exprimée, ses avocats aussi, depuis le début du procès le 31 mai dernier», avait alors déclaré le procureur Aly Yéo. «C’est du dilatoire. C’est une volonté de décrédibiliser le procès parce que l’accusée est en mauvaise posture», avait-t-il conclu. «Si Mme Gbagbo n’assiste plus à ce procès, ce procès n’est plus crédible», avait estimé Me Ange-Rodrigue Djadje, l’un des avocats de Simone Gbagbo. «Je pense que la cour d’assises et le procureur général devront à un moment redevenir réalistes et permettre que la défense revienne aux assises à la condition que les acteurs des faits viennent se faire entendre. C’est la seule manière pour nous de crédibiliser la justice ivoirienne», avait-t-il souhaité.

L’actuel président de l’Assemblée nationale et ancien chef de la rébellion Guillaume Soro, l’ancien Premier ministre Jeannot Kouadio Ahoussou, l’ex-ministre Charles Koffi Diby, ou encore l’ex-patron de l’armée, le général Philippe Mangou, et le directeur général de la police, Brindou M’Bia, sont entre autres, les témoins que la défense de l’ex-première dame voulait voir dans le prétoire!

 

Komlan Awukudzogbede & Anani GALLEY