Défis économiques dans la reconstruction des deux «Grands marchés du Togo» (Reportage photo)

Afriquinfos Editeur
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Une dizaine de marchés togolais de différentes tailles ont été frappés par des incendies en janvier 2013. Parmi eux, les deux principaux du pays ; celui de Lomé (sud-Togo, qui a perdu son principal bâtiment) et celui de Kara (nord) qui ont tous deux une vocation sous-régionale. A cause du poids de l’informel dans les transactions qui meublaient le quotidien de ces marchés, personne ne se hasarde à quantifier précisément l’ampleur de ces sinistres. « Dans la mesure où au moins 80% de l'activité de ces marchés sont dans l'informel, difficile de chiffrer leur part dans l'économie. Mais il n'est pas absurde de l'estimer à hauteur de 10 à 15 points du PIB», analysait Kofi Yamgnane, ex-candidat manqué à la présidentielle de 2010 au Togo. Un défaut de fiabilité de chiffres que partageait volontiers Atadegnon-Nougblega, présidente de l’Act (Association des commerçants du Togo qui comprend aussi des étrangers). Du côté des autorités, règne jusqu’à présent une omerta autour de l’interprétation de ces chiffres.

Cependant, beaucoup de spécialistes des questions économiques au Togo tablent sur des centaines de milliards de fcfa de pertes sèches. Aussi, presque tous s’attendent-ils sur le moyen et long termes à des corollaires fâcheux induits par ces incendies. Une appréhension qui avait poussé les uns et les autres à qualifier ces drames avec des superlatifs imagés. Le Grad (Groupe de Réflexion et d’Action pour le Dialogue, la Démocratie et le Développement, dans la société civile) a assimilé ces dégâts générés à une « catastrophe nationale » ; l’opposant Yamgnane les a qualifiés de « crime économique », alors que Dr Charles Birregah (expert comptable) les a comparés « au 11 septembre 2001 aux Usa». «L’immeuble parti en fumée à Lomé constituait une synthèse de l’économie nationale. Bâti sur 8.000m² et comportant trois niveaux, il connaissait six jours/sept une concentration quotidienne de 10.000 personnes. Le marché de Kara de son côté était le poumon commercial du nord-Togo et était approvisionné à 80% par Lomé», décrit Mockar Sow, Secrétaire général du patronat togolais.

Les flammes vont ruiner les Togolaises

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Dans les rues, on avait aussi conjecturé sur l’apparition des répercussions des incendies, en soulignant qu’elles sont imminentes. «Ces malheureux événements ravivent les plaies douloureuses entretenues par le faible pouvoir d’achat des consommateurs», s’alarmait le Grad. «Ce sont toutes les très petites affaires des secteurs formel comme informel qui risquent de ne pas se relever rapidement», a estimé dans la même logique Dr Ekoué Amaïzo, économiste, consultant international en Management de projets. « Ces sinistres vont produire un impact négatif sur la croissance nationale et engendrer une variation erratique des prix des articles, avec l’augmentation de l’indice de pauvreté», renforcera Dr Birregah qui a réalisé en 2008 l’audit d’une trentaine de marchés à Lomé. «La suspension des activités économiques à Lomé et Kara va rendre oisives des centaines de milliers de femmes et mettre au chômage forcé des centaines de jeunes car la population qui occupe ces carrefours de transactions est à plus de 80% féminine», a renforcé C. Birregah. Et Nadim Kalife (expert en politique économique africaine) de préciser : « La moitié des chiffres d’affaires de l’économie togolaise passe par le marché qui en représente un organe vital».

La gent féminine est donc au cœur des appréhensions économiques découlant des drames vécus au sud et nord-Togo, à travers les flammes. Ces craintes d’affronter un avenir douloureux sont d’autant plus justifiées par le fait que les femmes représentent près de 52% de la population de ce pays, selon le dernier recensement général. « Les Togolaises sont le socle financier exclusif de toutes nos familles. Si elles sont ruinées, c’est notre société toute entière qui sombre», précisait encore K. Yamgnane. « Selon la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (Rapport de 2012), plus de 32,6 % du PIB togolais se réalisent dans les services», détaille dans la même optique Dr Amaïzo. Avec à l’appui des statistiques parlantes : « On peut estimer la contribution de l’ensemble des marchés togolais à l’économie togolaise (secteurs formel et informel confondus) à environ 25% du secteur des services, les deux marchés brûlés portent sur environ 12,5 %. Au-delà des statistiques, il s’agit du poumon économique des classes pauvres et moyennes. C’est aussi le principal point d’écoulement des biens produits en zones rurales ou péri-urbaines ». « Plus de 70 % des activités sur ces marchés se faisaient dans l’informel avec peu de recettes directes pour l’Etat. Le transport, les crédits et autres garanties risquent par contre de subir un sérieux ralentissement », tempérait toutefois M. Amaïzo.

Mocktar Sow, n’a pas partagé à l’époque cette description du pire, après ces évènements : «Les dégâts découlant des marchés brûlés vont produire un impact économique certain mais il est à relativiser car s’est développé autour de l’immeuble consumé à Lomé un second type de marché qui pourrait concurrencer les locaux détruits (…) Il faut en outre prendre en compte que beaucoup de commerçantes avaient des stocks à l’extérieur du bâtiment sus-décrit. En gros, ce sont les petits commerçants qui souffriront le plus de ces drames».

Ce qui n’a pas empêché banques et institutions de micro-finance de prendre également l’ampleur de ces incendies. Sur demande de l’Etat et du patronat, elles ont collégialement décidé que les victimes des sinistres puissent bénéficier non seulement d’un moratoire sur le remboursement de leurs dettes mais aussi l’octroi de nouveaux crédits de relance. «Nous redoutons des tensions de trésorerie marquées par des pressions sur les dépôts car les marchés sont des zones de fortes concentrations de crédit et d’épargne », a conjecturé Ange Ketor (directeur de l’Association professionnelle des systèmes financiers décentralisés du Togo).

Dans cette symphonie de projections sur ces corollaires des incendies, d’autres analystes ont évoqué des répercussions sur les investissements étatiques en matière de développement et la frilosité qui devrait gagner de potentiels investisseurs qui auraient envie de faire fructifier leurs capitaux au Togo. « Le danger à craindre est l’inflation sur le court terme, mais sur le long terme, je ne le crois pas », opinait Gerry Taama, président du parti d’opposition Nouvel engagement togolais.

                                                     Perte de prestige commercial

Cette somme d’analyses sus-développées a fait craindre le pire non seulement pour la réputation des marchés ravagés, mais aussi celle des «Nana Benz» (prospères Togolaises, importatrices de tissus imprimés, réputées à l’international). A elles seules, elles représentent toute une école du savoir-faire commercial au Togo. Il y a donc péril en la demeure. Tous les regards sont tournés vers l’Etat qui a pris sur lui d’offrir de l’accompagnement sanitaire aux sinistrés, à travers surtout un soutien psychologique d’une part. Et d’autre part de faire un plaidoyer auprès des banques et des microfinances autour de la rallonge du paiement des divers prêts d’avant-drames.

Des efforts étatiques qui ont été loin de rasséréner les victimes des flammes. Encore sous le choc du sinistre qui a emporté ses marchandises, la présidente de l’Act se faisait le porte-voix de ses camarades d’infortune, en dénonçant le manque de cohésion et d’organisation dans les rangs des siens : «Mésentente et méfiance règnent entre les commerçants sinistrés (…) Nous sommes incapables de former des Commissions paritaires et sectorielles devant nous permettre d’avoir un seul interlocuteur crédible devant l’Etat et toutes les bonnes volontés qui veulent voler à notre secours » ! « (…) Nous risquons d’assister à des travaux de Sisyphe parce que les garanties données sur la solvabilité de nos dettes d’avant-sinistre ne rassurent pas la majorité des membres de notre association. De plus, de grandes interrogations trottinent quotidiennement dans nos têtes: comment vont s’opérer d’éventuelles réparations des sinistrés, pendant combien de temps va durer la reconstruction des bâtiments détruits et à quel rythme ?», détaillait Mme Nougblega, en parlant des difficultés pointant à l’horizon.

«Le déclin des "Nana Benz" a commencé depuis plus d’une quinzaine d’années. Les incendies vont certainement accélérer le mouvement», réajustait E. Amaïzo.

Les incendies, une chance pour le commerce togolais

Le vœu le plus ardent des analystes togolais après le passage des flammes à Lomé et à Kara est de voir les marchés du pays formaliser très rapidement les multiples activités qui les animent. Cette dynamique suppose par exemple l’instauration obligatoire de l’étiquetage des articles et de l’assurance sur les baux commerciaux qui serait gage d’une sécurisation certaine des produits commercialisés et de crédibilité des commerçants auprès de leurs multiples interlocuteurs. Les douloureux évènements de janvier 2013 offrent en outre au Togo l’occasion de se doter de nouveaux marchés répondant aux standards architecturaux en matière de protection des bâtiments contre les incendies. Enfin, cette catastrophe commerciale est l’occasion inespérée, de l’avis de divers experts, pour les « Nana-Benz » d’aller vers l’industrialisation de leurs activités. En hâtant la création d’unités de production leur permettant de contrôler le prix de vente des produits finis qu’elles injectent sur le marché du pagne, et surtout en se formant aux techniques modernes de vente.

 

Afriquinfos

(Par Edem Gadegbeku)