Comprendre le coup d’État au Gabon

Afriquinfos Editeur
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Libreville (© 2023 The Conversation)- Le coup d’État survenu au Gabon le 30 août dernier a été largement décrit comme faisant partie de « l’épidémie de putschs » balayant l’Afrique depuis deux ans et qu’Emmanuel Macron avait fustigée lors d’un discours prononcé à l’Élysée le 28 août. Sans être faux, ce raccourci découle d’une analyse surplombante.

Certes, les commentateurs ont vite souligné les différences de contextes politiques entre les coups perpétrés au Sahel et celui du Gabon. Mais pour le grand public, la cause était entendue : le cas gabonais était perçu dans un cadre plus vaste, celui du déclin de l’influence française en Afrique. Dès lors, l’histoire spécifique du Gabon, le comportement des deux principaux acteurs politiques, Ali Bongo et Brice Oligui Nguema, le long étouffement des forces vives du pays par le pouvoir et les aspirations démocratiques qui bouillonnaient sous cette chape restent mal compris.

Un pays sous asphyxie

Dès 1960, les politiciens gabonais au pouvoir, héritiers du système de domination coloniale, dotent l’État de caractères autoritaires et anti-démocratiques. Les méthodes de Léon Mba, le premier président, aliènent une large part de la classe politique et des électeurs, donnant lieu en 1964 à un coup d’État. L’armée française ramène alors Mba au pouvoir. Albert (Omar) Bongo, qui succède à Mba en 1967, continue sur cette lancée, imposant en 1969 le parti unique (Bloc, puis Parti démocratique gabonais, PDG).

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La poussée des oppositions démocratiques le force en 1990-1991 à accepter le multipartisme. Mais appuyé sur la manne des revenus pétroliers, le PDG regagne peu à peu la totalité de ses prérogatives, rétablissant dans les années 2000 un monopartisme de fait. Comme toutes les tentatives de renverser le régime par la rue ou par les urnes échouent, beaucoup de politiques se résignent à intégrer le PDG et se laissent coopter par le clan régnant.

Le PDG et le clan Bongo (au sens politique plutôt que familial) contrôlent la machine électorale, la machine économique, la machine politique et la puissance de l’État. Ils ont également la main sur les médias.

Mais le clan ne se résume pas à une simple dynastie d’autocrates. Il a tissé des liens avec d’autres forces du pays, en particulier régionales, se renouvelant par mariage, alliance et cooptation. La survie du régime passe aussi par la relégation. Chaque fois qu’une ou un de ses membres acquiert une popularité importante et se montre désireux de suivre un destin ou un programme personnel (Jean Ping, Brice Laccruche Alihanga), il ou elle est abattu(e) politiquement.

À la mort d’Omar en 2009, son fils Ali prend le pouvoir lors d’élections contestées. Il s’éloigne du schéma de patronage régional d’Omar, en plaçant autour de lui des gens de confiance plutôt que d’assurer un équilibre entre les différentes forces du pays. Ce faisant, il s’aliène les caciques du pouvoir local, et bloque les réseaux de redistribution politique et économique.

Le phénomène s’amplifie après les émeutes de 2016 (consécutives à la réélection frauduleuse d’Ali), et l’AVC du président en 2018. La première dame Sylvia Bongo, son fils Nourredine, et un groupe de jeunes trentenaires, dits la Young Team, dont le manque d’expérience est inversement proportionnel à la hauteur des ambitions, sont aux manettes, au détriment des cadres du PDG, dont la grogne devient audible dès 2018. Ce sont ces hommes que la foule gabonaise se réjouit de voir arrêtés au lendemain du coup du 30 août, sur une vidéo virale exposant les coffres pleins de billets de banque de leur QG.

L’intimidation politique a une longue histoire au Gabon. Depuis les années 1960, sous des dehors libéraux et bon enfant, le régime a montré sa capacité à frapper. Au moment du coup, plusieurs opposants potentiels croupissaient en prison sans jugement. Jean-Rémy Yama, leader syndical connu pour sa critique du pouvoir, était emprisonné depuis février 2022. Étienne Francky Meba Ondo, vice-président du parti d’opposition Réagir, avait été arrêté deux jours après l’élection.

L’asphyxie politique s’accompagne d’une décomposition économique, palpable partout, même parmi les super-riches, qui ne le sont que grâce à des prédations directes dans les caisses de l’État. Depuis 1998, le PIB par habitant a continuellement baissé en valeur constante (8 900 dollars en 1998, 6 600 en 2022). Les entrepreneurs locaux, dans un système quasi mafieux, ne peuvent prospérer que si le clan Bongo a la main dans la caisse.

Les mouvements de marchandises et de personnes sont bloqués par des infrastructures jamais convenablement développées ni entretenues : les routes goudronnées ne représentent que 20 % du réseau (soit 2 000 km sur 10 300) pour un pays grand comme la moitié du territoire français. Les aéroports régionaux, fierté du Gabon, ont fermé les uns après les autres sous Ali, comme les services de la Poste. Même dans les quartiers aisés de Libreville, l’eau courante a disparu depuis 2016.

Enfin, la vie quotidienne s’est radicalement dégradée depuis 2000. Les statistiques nationales ayant disparu depuis 2009, il est impossible de savoir quels sont les chiffres réels. Seuls les comptages internationaux sont disponibles, mais ils reposent sur des approximations. Selon ces chiffres, donc, le chômage est endémique (16 % mais plus de 30 % chez les jeunes), et 33 % des Gabonais vivent sous le seuil de pauvreté.

Les salaires restent bas, de plus en plus insuffisants à la survie. Fixé par la loi en 2010 à 150 000 XFA (229 euros), le salaire minimum mensuel n’a pas changé depuis treize ans. De plus, les entreprises qui embauchent passent par des intermédiaires dits « prestataires », qui recrutent et payent la main-d’œuvre, empochant une commission au passage. Entre autres exemples, à Foberd, entreprise de production de produits industriels et manufacturés, un journalier ne touche que 5 000 XFA (7,62 euros) pour 8 heures de travail quotidien.

Un coup d’État institutionnel avant le coup d’État militaire

Focalisés sur le coup d’État du 30 août, les commentateurs ont souvent minoré les manœuvres électorales qui l’ont précédé, et que Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’UE, n’a pas hésité à qualifier de « coup d’État institutionnel ».

La préparation du scrutin présidentiel du 26 août 2023 avait en effet déchaîné l’appareil répressif du régime Bongo à un point sans précédent.

Le verrouillage démarre au printemps 2023. Pour reconduire à la présidence un Ali Bongo affaibli par son AVC, au bilan désastreux, la Young Team met en place des moyens exceptionnels. À partir d’avril-mai, le pays est assourdi par la campagne tonitruante du PDG autour d’Ali, assailli par le visage du président dans les médias et sur les affiches géantes des villes.

Le 6 avril, l’Assemblée nationale, composée aux deux tiers de députés du PDG, modifie la Constitution en urgence. Elle harmonise tous les mandats à cinq ans et les rend renouvelables à volonté. L’élection présidentielle passe à un seul tour, ouvrant la possibilité que le vainqueur ne soit élu qu’avec une très faible majorité relative. Le gouvernement refuse d’annoncer la date des élections, empêchant la campagne officielle d’avoir lieu.

Ce n’est que le 9 juillet que les Gabonais apprennent enfin qu’ils devront élire, le 26 août, en un seul vote, à la fois le président de la République, les députés, et les membres des conseils départementaux et municipaux.

Le 4 août, Ali Bongo signe un décret sur le bulletin de vote unique (« inique » selon l’opposition) par parti. Comme on ne peut mettre dans l’urne qu’un seul bulletin pour la présidentielle et les législatives, il faut choisir président et députés sur le seul bulletin d’un seul parti.

The Conversation