C’est l’objet d’une visite éclair de 24 heures mardi du commissaire européen au Commerce, l’ex-chef de la diplomatie belge Karel de Gutch, qui s’est employé lors de ses entretiens avec les autorités de Yaoundé au rang desquelles le Premier ministre Philemon Yang et le résident de l’Assemblée nationale (Chambre basse du Parlement) Djibril Cavaye Yéguié, à vanter les avantages de cet accord.
Acculé par son partenaire européen qui a multiplié ces derniers temps des mises en garde au sujet d’une éventuelle volte-face, le pouvoir camerounais recevait là un hôte venu accroître sa surveillance sur la démarche de ratification attendue. « Nous avons discuté comment accompagner ce pas important du Cameroun », a fait savoir l’intéressé lors d’une échange le même jour avec la presse.
Comme elle le rappelle elle-même fort opportunément, l’UE a entrepris avec les 79 pays membres du groupe ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), dont 48 sont situés en Afriques et 10 en zone CEEAC, des négociations par blocs régionaux pour des Accords de partenariat économique (APE) qui butent à des désaccords profonds sur la pertinence des fameux accords et suscitent de vives inquiétudes au sein des populations africaines, en l’occurrence.
DEMANTELEMENT DES BARRIERES DOUANIERES
Pour l’essentiel, ces APE visent l’institution d’une zone de libre-échange entre les deux parties, ce qui signifie l’application du principe de réciprocité dans le démantèlement des barrières douanières pour les pays ACP, qui les redoutent pour une plus grande fragilisation de leurs économies, même s’ils sont destinés à leur offrir un accès quasi-total au marché européen, avec franchise de droits de douane et sans limitation de quotas, sauf pour le riz et le sucre.
Les ACP sont un vaste ensemble qui se caractérise aussi par une forte concentration du plus grand nombre de pays les moins avancés (PMA) au monde : 33 sur un total de 48, dont sept appartenant à la CEEAC.
Contrairement aux autres dont l’accès au marché européen est limité à quelques produits tels que les bananes, le cacao transformé, l’aluminium, les fruits frais et contreplaqués pour le cas du Cameroun par exemple, ces pays ont la latitude de tout vendre en Europe, sauf les armes, en franchise de droits de douane et sans quotas.
Mais, c’est un avantage de peu d’effet, car, mis à part le pétrole pour le cas de l’Angola et de la Guinée équatoriale, les PMA de manière générale sont des économies faiblement structurées, sans grand-chose à offrir au partenaire européen. D’où la difficulté pour les ACP de former une communauté d’intérêts homogène, ce qui n’est pas pour rendre la tâche aisée à l’UE dans les négociations sur les APE.
A ce jour, 35 de ces pays ont conclu avec elle un APE d’étape ou encore intérimaire. C’est le cas du Cameroun depuis 2007. Signé en janvier 2009, l’APE camerounais avec l’UE s’inscrit dans une dynamique d’ensemble avec les autres pays de la CEEAC.
Ainsi, dans ses clauses, il est clairement indiqué que son application sera effective lorsqu’un APE régional aura été conclu et signé, qui reste hypothétique puisque la Guinée équatoriale a choisi de s’écarter de l’initiative, se contentant de participer aux négociations bloquées en qualité d’observateur.
Le Gabon s’est quant à lui refusé à s’affranchir de la démarche de groupe pour contracter un accord commercial avec l’Europe. Il déclare des pertes annuelles de plus de 45 milliards de CFA dans l’exportation de bois contreplaqués sur le marché européen, des pertes jugées trois ou quatre fois plus grandes en cas de signature d’un APE intérimaire.
REGIME COMMERCIAL PREFERENTIEL
Entre-temps, l’UE a pris soin d’adopter un règlement de droit européen (le Règlement 1528/2007) qui permet aux pays ayant conclu un APE intérimaire, le libre accès au marché européen de façon anticipée et provisoire.
Dans le cas du Cameroun, les produits tels que les bananes, l’aluminium, les cacaos et bois transformés, puis d’autres fruits et légumes frais ou transformés ont été admis à ce marché, pour une valeur d’environ 200 milliards de francs CFA, soit 15% des exportations totales vers l’UE, selon une évaluation de celle-ci.
Avec menaces et chantage à l’appui, le Règlement 1528 prévoit le retrait, à compter du 1er octobre 2014, du régime commercial préférentiel aux ceux des pays ACP qui n’auront pas pris les mesures nécessaires en vue de la ratification des APE conclus en 2007. La date du 1er janvier 2014 était le délai initial.
Le Cameroun a longtemps tenté de résister en arguant, par la voie de sa présidente du Comité national de coordination de négociations des APE avec l’UE, Chantal Elombat Mbedey, considérée comme la bête noire des négociateurs européens, que « la Constitution ne reconnaît pas les conventions internationales incomplètes ».
Mais sous la pression du partenaire, le président Paul Biya a annoncé en juillet l’intention de déclencher le processus de ratification. C’est une décision dénoncée par des organisations de la société civile qui déplorent que les populations camerounaises ne soient pas informées au sujet de l’accord.
« Les autres pays de la sous-région n’ont pas signé cet accord, alors que ça devait être un accord régional. Le Cameroun s’est engagé et des interrogations subsistent sur le fait qu’après la ratification que vont devenir les relations du Cameroun avec ses voisins de l’Afrique centrale ? Le volet développement n’a pas été pris en compte, cela a toujours été l’inquiétude de la société civile vis-à-vis du gouvernement », a commenté par exemple à Xinhua l’universitaire Raymond Ebalé.
Responsable d’une association intéressée par la question, cet enseignant précise que « le Cameroun demandait une mise à niveau et ce volet développement allait prendre en compte certaines conséquences de l’APE, notamment la diminution des taxes douanières. Maintenant, toutes ces choses-là n’ont pas reçu une réponse favorable de l’Union européenne, mais le Cameroun s’est néanmoins engagé. C’est en cela que nous nous interrogeons ».
70% DE PERTES DE RECETTES FISCALES
Beaucoup d’observateurs soupçonnent dans l’action de l’UE une manœuvre visant à asseoir définitivement, afin de se trouver une issue à la crise financière dans laquelle est engluée, sa domination sur ses partenaires d’Afrique, un continent qui passe pour sa vache à lait.
Les réticences et inquiétudes entendues sont justifiées par des études qui établissent des pertes de 70% de recettes douanières, soit un total de 1.300 milliards de francs CFA en 2023 et 2.470 milliards en 2030, rapporte Raymond Ebalé qui cite en outre 460 milliards de francs de pertes cumulées de recettes non pétrolières entre 2015 et 2020.
A l’échelle régionale de la CEEAC, une autre étude réalisée en 2008 en Afrique centrale avait évalué à 4 milliards d’euros la compensation pour les pertes fiscales dues à l’APE et à 8 milliards d’euros la dimension développement de l’accord.
Lors de sa visite mardi à Yaoundé, le commissaire européen au Commerce Karel de Gutch s’est plutôt défendu en affirmant que « c’est le grand malentendu dans toute cette entreprise. L’idée est qu’il y ait plus de commerce. Vous aurez plus d’activité économique, des impôts indirects… ».
Pour l’ancien ministre belge des Affaires étrangères, « la réponse consiste dans un programme d’accompagnement, mais surtout pour rendre plus forte l’économie camerounaise. On va s’occuper de la logistique, des infrastructures… On va mettre à niveau les entreprises ». « L’Europe, a-t-il insisté, est un partenaire précieux, fiable, de bonne volonté ».