Controverse autour de la recrudescence de la criminalité

Afriquinfos Editeur
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Philippe Nzobonariba, secrétaire général et porte-parole du gouvernement burundais, pointe du doigt "des politiciens en mal d’arguments" qui n'acceptent pas les résultats des élections de 2010. Pour lui, il s'agit de "l'utilisation des criminels pour manifester un mécontentement politique".

Nzobonariba attribue aussi la recrudescence de la criminalité au banditisme sans qu'il y ait derrière une quelconque "manipulation". La confusion entretenue par les discours de certains politiciens de l'opposition crée un "environnement favorable aux malfaiteurs".

A la question de savoir si les antagonismes politiques entre la mouvance gouvernementale et les partis d'opposition seraient à la base de la recrudescence de la criminalité, le secrétaire général du gouvernement s'inscrit en faux contre une telle lecture.

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Des actes criminels tels celui de Gatumba du 18 septembre 2011, qui a fait une quarantaine de morts, ne peuvent revêtir aucune connotation politique, indique-t-il, précisant qu'"un acte criminel posé sans motivation est du pur terrorisme" et qu'il n'y a aucune divergence politique pouvant justifier une telle criminalité.

M. Nzobonariba a écarté tout lien entre les rumeurs faisant état d'une rébellion et la recrudescence de la criminalité, en faisant remarquer qu'on n'a jamais trouvé nulle part, sur la trace de ces criminels, une revendication politique.

Il note cependant que la rumeur d'une rébellion en gestion serait entretenue par "certains hommes politiques" qui souhaiteraient l'émergence d'une "rébellion classique ou formelle" avec des revendications claires pouvant justifier la prise des armes.

De son côté, le président en exercice de l'Alliance des Démocrates pour le Changement (ADC, coalition regroupant une dizaine de partis d'opposition) et président du Front pour la démocratie au Burundi(FRODEBU), M. Léonce Ngendakumana, estime que la "mauvaise" conception du pouvoir, le manque d'un bon leadership, les violations "répétitives" de la Constitution et la diabolisation de l'adversaire politique sont les causes de l' intensification des violences au Burundi.

"C'est très clair, aujourd'hui au Burundi, la coalition ADC- IKIBIRI est non seulement diabolisée, mais aussi pourchassée", martèle M. Ngendakumana.

D'après lui, la plupart des militants des partis politiques formant cette coalition, sont régulièrement malmenés, assassinés, emprisonnés et forcés à s'exiler.

Il cite aussi comme sources d'insécurité grandissante l' impunité des crimes politico-économiques et l'insatisfaction des besoins de base des citoyens.

"Si on regarde de près notre économie aujourd'hui, le sous- développement est criant car le Burundi est classé parmi les premiers pays les plus pauvres et les plus corrompus de la planète ", affirme M. Ngendakumana.

"Ce qui est certain, la recrudescence de la violence à laquelle on assiste aujourd'hui revêt un caractère politique", souligne M. Ngendakumana.

Il insiste sur la nécessité d'engager des négociations entre le gouvernement et l'opposition, avec notamment à l'agenda l' évaluation de l'état de mise en oeuvre des réformes négociées dans le cadre de l'Accord d'Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi (AAPRB).

M. Ngendakumana rejette comme mensonge les accusations du gouvernement selon lesquelles l'ADC est à l'origine de la recrudescence de la criminalité dans le pays, déclarant que les partis de l'ADC s'en tiennent à une lutte politique "pacifique".

Quand l'on assiste à "une rébellion en train de naître" au Burundi et que l'on se refuse à engager des négociations "pour freiner son développement", le pays risque de la voir "grandir dans le temps et l'espace".

"Nous apprenons de la part des services policiers et militaires que le gouvernement commence à reconnaître l'existence des groupes armés" qui s'affrontent régulièrement avec les forces gouvernementales, a-t-il prétendu.

S'il emboîte le pas au secrétaire général du gouvernement en écartant d'emblée un lien direct entre les antagonismes politiques et la recrudescence de la criminalité, M. Ngendakumana estime en revanche qu'une telle température politique pourrait être un élément constitutif.

"Je ne me fais d'illusion, les tensions politiques visibles entre les partis membres de l'ADC-IKIBIRI et le gouvernement pourraient justifier qu'il y ait des violences", affirme M. Ngendakumana.

Pour l'ADC, poursuit-il, les négociations devraient intégrer un débat sur les conséquences du "contentieux électoral" de 2010 et sur d'autres problématiques comme les pratiques de corruption, le détournement des deniers publics et les garanties offertes à la population sur la paix et la sécurité.

Pour lui, le retour "sécurisé et protégé" au pays des dirigeants de l'opposition, partis en exil depuis juin 2010 de crainte pour leur sécurité, fait partie des préalables aux négociations.

Jean-Salathiel Muntunutwiwe, politologue enseignant les sciences politiques à l'Université du Burundi(UB), indique que l' on ne saurait comprendre les méandres du phénomène de la criminalité au Burundi qu'en la situant dans le contexte historique de "15 ans de crise violente".

Pour ce politologue, le Burundi fait face aujourd'hui à deux situations de violence, à savoir les violences "résiduelles" et les violences politiques. La première catégorie est incarnée par des comportements de certains citoyens convaincus que le meilleur moyen de résoudre n'importe quel conflit social tels que "les litiges fonciers", est l'usage de la violence.

La criminalité ascendante est d'abord le fruit de ces violences résiduelles qui libèrent les émotions et les intérêts particuliers, précise-t-il.

Quant aux violences politiques exercées par les acteurs politiques pour "onserver ou conquérir" le pouvoir, poursuit M. Muntunutwiwe, elles sont, pour le cas du Burundi, l'émanation de " la contestation" des résultats des élections de 2010 par les partis d'opposition.

D'après Muntunutwiwe, si le système politique "se ferme" vis-à- vis des dénonciations de l'opposition extra-parlementaire, la voie du dialogue politique serait bloquée avec comme effets pervers l’amplification des violences politiques.