Le « dialogue national » décrété mardi par le président Paul Biya pour mettre fin au conflit meurtrier dans les deux régions anglophones du Cameroun est perçu comme un signe d’ouverture mais a peu de chances d’aboutir si les leaders séparatistes en prison ou en exil en restent exclus.
Dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, peuplées majoritairement par la minorité anglophone, l’armée affronte depuis deux ans des groupes armés militant pour la création d’un Etat indépendant. Les exactions de part et d’autre et les combats ont fait plus de 2.000 morts depuis fin 2017, selon le groupe de réflexion International Crisis Group (ICG), et forcé plus de 530.000 personnes à fuir leur domicile, selon l’ONU. L’inquiétante dégradation de la situation humanitaire a poussé une partie de la communauté internationale à faire pression sur Yaoundé et en mai le pouvoir s’était dit prêt au dialogue. La crise avait débuté en 2016 par des mouvements de protestation mais a pris un tour meurtrier fin 2017, quand des groupes sécessionnistes ont pris les armes et radicalisé le mouvement.
Paul Biya, 86 ans et au pouvoir depuis 36 ans, a convoqué mardi dernier soir un « grand dialogue national » pour fin septembre, qui devrait rassembler des membres des mouvements politiques, de la société civile, des groupes religieux mais aussi des représentants des forces de sécurité et des groupes armés rebelles. « L’appel pour un dialogue inclusif est très apprécié », explique à l’AFP le célèbre avocat anglophone et défenseur des droits de l’Homme Felix Agbor Nkongho. « Le gouvernement doit maintenant autoriser les anglophones des différents bords à prendre part à ce dialogue sans craindre d’être arrêtés ou inquiétés pour leurs idées. »
L’annonce du président Biya intervient trois semaines après la condamnation à la prison à vie d’un des principaux chefs séparatistes, Julius Ayuk Tabe, pourtant pas perçu comme un fervent partisan de la lutte armée, et celle de neuf proches militants par un tribunal militaire. Et il n’a annoncé aucune libération. A Buea, le chef-lieu de la région du Sud-ouest, l’organisation d’un dialogue « que les gens demandent depuis longtemps » est perçu comme un signe d’apaisement, estime Blaise Chamango, acteur local de la société civile. Mais « les séparatistes sont devenus radicaux et tout ce qui est proposé par Yaoundé est perçu comme un cadeau empoisonné », ajoute-t-il estimant également que le retour à la paix sera impossible sans leur participation aux pourparlers.
– Premier refus –
A peine annoncé, le « grand dialogue national » a été rejeté par plusieurs organisations séparatistes regroupées au sein d’un Mouvement de libération du Sud-Cameroun. « Nous ne lui permettrons pas d’utiliser un tel cirque pour attirer la communauté internationale », a réagi ce mouvement, demandant, notamment à M. Biya de retirer son armée et son administration des régions anglophones. Mercredi, les journaux réputés proches de l’opposition s’interrogeaient sur le sens à donner à cette démarche. « Biya annonce un dialogue avec des fantômes ! », « Un dialogue national biaisé d’office », « Dialogue sous fond de menace », pouvait-on lire sur leurs Unes. Si le président a invité les groupes armés au dialogue, il a, dans le même temps, demandé aux pays étrangers de prendre des sanctions contre les leaders indépendantistes installés chez eux. « S’ils se soucient réellement de la situation des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qu’ils agissent contre ces criminels », leur a-t-il lancé.
– Libération comme préalable –
« Nous ne ferons partie d’aucun dialogue national, la période du dialogue est finie depuis bien longtemps, nous voulons des négociations sur les termes d’une séparation », martèle l’un des chefs de groupe armé, Ebenezer Akwanga, dans un entretien par téléphone avec l’AFP depuis son exil aux Etats-Unis. Les séparatistes ont généralement posé comme préalables à l’ouverture de toute discussion avec le pouvoir central la libération de tous les détenus de la crise anglophone et le retrait de l’armée. Côté francophone, l’annonce du président n’a pas convaincu tout le monde non plus dans la rue.
« Tel que je connais nos frères anglophones, le dialogue risque de ne pas aboutir si les leaders ne sont pas libérés », réagit auprès de l’AFP Etienne Bouya, frigoriste à Douala, la capitale économique où de nombreux anglophones se sont réfugiés. « Si les acteurs sont en prison, il va dialoguer avec qui ? », s’interroge Séraphin Temgwa, un commerçant. Dans son discours, Paul Biya a réitéré son offre de « pardon » aux séparatistes qui « déposent volontairement les armes », mais il a promis à ceux qui s’y refuseraient de subir « toute la rigueur de la loi ».