Des rémissions autour du VIH en Suisse qui devraient intéresser l’Afrique et encourager la recherche

Afriquinfos Editeur
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Genève (© 2023 Afriquinfos)-Un homme désigné comme « le patient de Genève » est en longue rémission du VIH après avoir reçu une greffe de moelle osseuse ne présentant pas une mutation connue pour bloquer le virus. Pour le continent africain qui abrite encore près de 70% d’adultes et 80% d’enfants vivant avec le VIH, il s’agit d’une note d’espoir pour endiguer cette pandémie.

Le cas de l’homme de Genève a été présenté jeudi, en amont de la Conférence de la société internationale du Sida qui s’ouvrira dimanche à Brisbane en Australie.

Avant lui, cinq personnes ont déjà été considérées comme probablement guéries de l’infection par le VIH après avoir reçu une greffe de moelle.

Les patients guéris étaient atteints de cancers du sang et ont bénéficié d’une greffe de cellules souches qui a renouvelé en profondeur leur système immunitaire.

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À chaque fois, leur donneur présentait une mutation rare d’un gène dit CCR5 delta 32, une mutation génétique connue pour empêcher l’entrée du VIH dans les cellules. Pour le « patient de Genève« , la donne est différente: en 2018, pour traiter une forme particulièrement agressive de leucémie, il a bénéficié d’une greffe de cellules souches.

Mais cette fois, la greffe a été issue d’un donneur non porteur de la fameuse mutation CCR5. Ainsi, contrairement aux cellules des autres personnes considérées guéries, celles de la personne donneuse permettaient théoriquement au VIH de se reproduire.

Et pourtant, le virus reste indétectable 20 mois après l’interruption du traitement antirétroviral chez ce patient suivi aux Hôpitaux universitaires de Genève, en collaboration avec l’Institut Pasteur, l’Institut Cochin et le consortium international IciStem.

Son traitement antirétroviral a été progressivement allégé et définitivement arrêté en novembre de 2021.

‘’Indétectable’’

Les analyses réalisées pendant les 20 mois qui ont suivi l’arrêt du traitement n’ont détecté ni particules virales, ni réservoir viral activable, ni augmentation des réponses immunitaires contre le virus dans l’organisme de cette personne.

Les équipes scientifiques ne peuvent exclure que le virus persiste encore, mais elles considèrent qu’il s’agit-là d’une nouvelle rémission de l’infection par le VIH. D’autres patients ayant le VIH avaient bénéficié avant lui de greffes de moelle sans la fameuse mutation protectrice.

Mais ‘’le virus était réapparu au bout de quelques mois’’, indique à l’AFP Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur.

‘’On considère que quand on dépasse les 12 mois d’indétectabilité du virus, la probabilité qu’il reste indétectable à l’avenir augmente nettement’’, ajoute-t-il. Comment expliquer un tel phénomène chez ce patient? Plusieurs hypothèses sont sur la table.

’Dans ce cas précis, peut-être que la greffe a permis d’éliminer toutes les cellules infectées sans besoin de la fameuse mutation’’, avance M. Sáez-Cirión.  »Ou peut-être que son traitement immunosuppresseur, nécessaire après la greffe, a joué un rôle».

‘’Un miracle’’

Cette longue rémission est ‘’encourageante’’ mais ‘’un seul virion [une particule virale infectieuse] peut entraîner un rebond du virus’’, a mis en garde Sharon Lewin, président de la Conférence de la société internationale du Sida.

Ce patient ‘’devra être surveillé de près au cours des prochains mois, voire des prochaines années. La probabilité d’un rebond est impossible à prédire’’, a-t-il ajouté. Si ces rémissions nourrissent l’espoir de venir un jour à bout du VIH, une greffe de moelle osseuse reste une opération très lourde et risquée: elle n’est pas adaptable à la plupart des porteurs du virus.

Ce cas ‘’exceptionnels’’, selon les chercheurs, ouvre en tout cas de nouvelles pistes de recherche, comme le rôle que pourraient jouer des traitements immunosuppresseurs. ‘’Cela nous incite aussi à continuer d’étudier certaines cellules de l’immunité innée’’ (la première barrière de défense vis-à-vis de divers agents pathogènes), susceptibles d’influer sur le contrôle du virus, ajoute Asier Sáez-Cirión.

’On sait bien qu’on ne va pas greffer tous les patients qui ont le VIH mais cela ouvre des portes pour essayer d’obtenir des rémissions durables en l’absence de greffe avec mutation», a souligné jeudi en conférence de presse le Pr Alexandra Calmy, responsable de l’Unité VIH aux Hôpitaux universitaires de Genève’’. Le patient, qui vivait avec le VIH depuis le début des années 1990, souhaite pour le moment rester anonyme. Il considère cette rémission ‘’comme un miracle qu’il dédie à l’avenir et à la recherche’’, a souligné le Pr Calmy.

Un espoir pour l’Afrique, le continent le plus touché

L’annonce avec ‘’le patient de Genève’’, vient renforcer l’espoir d’un continent sans VIH, où la recherche africaine a connu une augmentation significative de sa contribution à la recherche mondiale sur le VIH au cours des dernières décennies, comme le montre une étude publiée dans PLOS Global Public Health.

L’étude a révélé une augmentation substantielle de la part de la recherche mondiale sur le VIH attribuée à l’Afrique. D’un modeste 5,1 % en 1986, la contribution africaine est passée à un niveau record de 31,3 % en 2020. Les états les plus peuplés, tels que l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, le Kenya, le Nigeria, l’Ouganda et la Tanzanie, affichent les résultats de recherche les plus élevés par rapport à leur PIB.

« Nos résultats mettent en évidence un pic notable dans la production de résultats scientifiques coïncidant avec le début du financement émanant des du Fonds Mondial et du Plan Présidentiel d’Urgence d’Aide à la Lutte contre le SIDA (PEPFAR) en Afrique« , déclare Mukhtar Ijaiya, auteur principal de l’étude, et membre du Programme Johns Hopkins d’Education Internationale en Gynécologie et Obstétrique, à Abuja, au Nigéria.

L’étude a mesuré les résultats par pays de la recherche sur le VIH en Afrique, en utilisant 83 527 articles scientifiques liés au VIH publiés entre 1986 (date à laquelle ‘’VIH’’ a été utilisé pour la première fois comme terme officiel pour désigner le virus qui cause le sida) et 2020. Par ailleurs, un rapport de l’Onusida présenté ce jeudi 20 juillet, indique que le sida peut cesser d’être une menace pour la santé publique. Le document souligne que les pays de différentes régions du monde ont fait des progrès considérables pour mettre fin au sida d’ici à 2030.

Le Botswana, l’Eswatini, le Rwanda, la Tanzanie et le Zimbabwe ont ainsi déjà atteint les objectifs dits « 95-95-95 » : 95% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur état sérologique, 95% de ces personnes suivent un traitement antirétroviral vital et 95% des personnes sous traitement ont une charge virale supprimée (et ne transmettent donc plus le virus).

Huit  pays en Afrique subsaharienne — la région où vivent 65% des personnes séropositives — sont sur le point d’atteindre cet objectif. Malgré ces avancées considérables dans l’endiguement de la pandémie, L’ONUSIDA averti que mettre fin à la pandémie du SIDA est avant tout un choix politique et financier qui nécessite un investissement massif des dirigeants dans ce domaine.

Le financement destiné à la lutte contre le VIH est en baisse en 2022, passant à 20,8 milliards de dollars, soit à peu près le même niveau qu’en 2013, et bien en deçà des 29,3 milliards de dollars nécessaires d’ici à 2025.

L’Afrique a enterré les trois quarts des 20 millions et plus de personnes qui, dans le monde, sont mortes du SIDA depuis le début de la pandémie.

Afriquinfos