Russie-Afrique: Le retour de l’influence de Moscou sape-t-il le fonctionnement normal de certains États africains?

Afriquinfos Editeur
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Des officiels russes et centrafricains posant en Centrafrique (photo, DR).

Brazzaville (© 2021 Afriquinfos)- Bangui (© 2021 Afriquinfos) – Depuis quelques années, la Russie fait un retour en force sur le continent africain. Que ce soit au Maghreb, en Afrique subsaharienne, en Afrique australe et Centrale, l’ancienne puissance soviétique étend de nouveau, subrepticement, son influence à coups d’accords de coopération militaire, de contrats miniers et gaziers. Et n’hésite plus, dans certains cas, à peser de tout son poids dans la vie politique de ses ‘nouveaux amis’. L’exemple le plus illustratif de ce positionnement de la Russie sur le continent est la République centrafricaine où Moscou a tissé sa toile et n’est pas près de se faire bouger.

Sollicitée en 2017 par le Président Faustin Archange Touadéra dont le pouvoir subissait de fortes perturbations dues aux incursions d’une kyrielle de groupes militaires rebelles diversifiés, la Russie vient à sa rescousse par le biais de ses sociétés privées de sécurité. C’est le début d’une collaboration qui va aller crescendo au fil des ans. Elle s’étend désormais de la formation militaire à la protection de la Présidence en passant par la fourniture de matériels militaires. Les accords entre Moscou et des capitales africaines pour l’envoi de «conseillers militaires» sont légions sur le continent. Au Maghreb, c’est via l’Algérie, son plus gros client en équipements militaires, que la Russie s’est implantée. Un partenariat stratégique est aussi en vigueur avec le Maroc depuis 2016 et en Egypte. Dans la même région, Moscou y a également noué des partenariats avec une vue sur le pétrole et le gaz.

Globalement, dans le vaste mouvement mondial du changement des pôles d’influence des puissances sur la planète depuis le début des années 2000 et la ruée vers l’Afrique (continent d’avenir au regard de la jeunesse de ses populations et de ses immenses ressources naturelles encore très peu exploitées), la Russie qui avait ‘pris pied’ sur le continent noir à la fin des années 50 jusqu’à la chute du ‘Mur de Berlin’ en octobre 1990, y opère un retour. Avec de nouveaux centres d’intérêt, en capitalisant sur un certain nombre d’acquis qu’elle n’avait en réalité jamais délaissé. Comme les acquis de son ‘soft power’ durant de longues décennies en Afrique. Cette volonté de ‘reconquête’ russe a été confortée par les grandes ambitions que nourrit Vladimir Poutine pour son pays dans la géopolitique mondiale contemporaine, depuis son arrivée aux affaires au début des années 2000. Que ce soit dans la peau de Chef de l’Etat ou de celle du Chef du Gouvernement.

 Russia is back in Africa

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En Afrique subsaharienne, dans le Sahel, la Russie étend de plus en plus sa sphère d’influence en apportant sa contribution dans la lutte contre le terrorisme. Des accords de formation et de coopération militaire ont été signés avec le Burkina Faso, le Mali ou encore le Niger tandis qu’un accord nucléaire a été scellé avec le Nigeria. Au Mali, le coup d’Etat contre IBK en août 2020 a accéléré le recours grandissant à l’expertise russe pour diversifier les efforts de reconquête des parties du vaste territoire malien menacé par des visées jihadistes.

En Afrique Centrale et Australe, les Russes ont de solides liens depuis des décennies au Zimbabwe, en Afrique du Sud et au Mozambique, avec à la clé des accords dans les mines, le gaz, la défense, le pétrole entre autres. Mais, ces dernières années, c’est bien la présence russe en Centrafrique qui a beaucoup fait couler encre et salive. En début d’année 2021, le fort soutien de la Russie a permis à Faustin Archange Touadera de conserver son pouvoir menacé par la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), un mouvement rebelle sous la coordination de l’ancien Président François Bozizé.

Les mercenaires russes et les Forces armées centrafricaines (FACA) ont enregistré une série de succès contre les rebelles et ont récupéré les territoires qui étaient jusque-là sous contrôle des groupes rebelles pendant une dizaine d’années. Il n’en fallait pas plus pour que Moscou cherche à faire de Bangui sa ‘chasse-gardée’, alors que le pays (riche en de multiples minerais, doté de sols fertiles pour l’agriculture, peu peuplé) est une ancienne colonie française, longtemps restée proche de Paris sur les questions régionales. D’ailleurs, entre le 5 décembre 2013 et le 31 octobre 2016, la France a mené en Centrafrique l’opération baptisée ‘Sangaris’. Il s’agissait de la 7è intervention militaire française dans ce pays instable en Afrique centrale, depuis son accession à la souveraineté internationale en 1960.

‘Sangaris’ a eu la particularité d’être intervenue en pleine 3è guerre civile centrafricaine, et avait pour vocation première de désarmer les combattants de la Seleka et les anti-Balaka, sur fond de risque génocidaire. Sous couvert onusien (Résolution 2127 du 05 décembre 2013), ‘Sangaris’ a eu à compter jusqu’à 2000 hommes de rang de la France. Une opération venue en appui à la MISCA (Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine), et qui avait permis d’atténuer les graves violences civiles et de stabiliser un tant soit peu le pays.

La MISCA et ‘Sangaris’ ont ainsi préparé le terrain à l’actuelle MINUSCA (opération de maintien de la paix multidimensionnelle des Nations Unies dont la priorité première est la protection des civils) forte aujourd’hui de 10 mille hommes. Entre-temps, depuis 2014, la Centrafrique a connu des élections, de nouveaux dirigeants qui ont une nouvelle lecture de la géopolitique internationale et régionale. Les enjeux changent, au gré des projections sur le court et moyen termes des puissances internationales et dans cette zone du continent africain.

Sous influence russe en RCA

En plus d’une base militaire établie dans le pays et d’un contingent de paramilitaires fort de près de 2.000 hommes pour faire grandir son influence déjà croissante en Centrafrique, Moscou a annoncé en septembre 2020 l’ouverture d’une représentation du département russe de la Défense à Bangui auprès du ministère centrafricain de la Défense. Un autre symbole de l’influence russe, depuis avril 2018: des «instructeurs» russes résident dans l’ancienne propriété de Jean-Bedel Bokassa à Berengo où un camp d’entraînement a été créé. L’accès de la zone est aujourd’hui totalement interdit, notamment à la famille du défunt Empereur.

Une présence russe mal vue en Europe, aux USA et ailleurs, d’autant plus que la permanence de l’appui de Moscou en Centrafrique s’accompagne de corollaires. Et d’accusations de violation des droits humains corroborées par les Nations Unies. Notamment dans le communiqué du ‘Groupe de travail de l’ONU’ du 31 mars 2021 sur l’action des mercenaires en Centrafrique. Un communiqué qui mêle à la fois des accusations directes étayées de recueil de témoignages et de mises en garde diplomatiques.

En riposte à ces critiques diplomatiques, Moscou continue de faire un certain nombre de mises au point. Aussi bien via des canaux diplomatiques que médiatiques. Elle dispose d’une solide armada en la matière avec des réseaux de médias de plus en plus influents en Afrique. Une réplique dans la guerre d’influence de puissances étrangères (anciennes comme émergentes) en Afrique. Un exercice qui s’inscrit dans la durée.

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