Jean Noyoma Kovounsouna a le regard fier et déterminé. Il ne lâchera pas. Emprisonné, torturé, victime du régime sanguinaire du dictateur tchadien Hissène Habré, il attend toujours des réparations.
L’ancien chef d’Etat de 1982 à 1990, bourreau de milliers de Tchadiens, est mort mardi à 79 ans du Covid-19 à Dakar, où il avait été condamné en 2017 à la prison à vie pour crimes contre l’humanité.
« C’était une période de terreur avec une police extrêmement dure. Dès qu’il y avait un doute sur votre opinion, on venait vous prendre, de jour comme de nuit. Et personne n’était au courant de rien. Ni votre famille, ni vos amis, ni personne d’autre », se souvient M. Noyoma.
« En 1989, on est venu me chercher sur mon lieu de travail et on m’a emmené dans l’une des pires prisons de N’Djamena. Nous étions six dans une cellule de deux mètres sur deux. J’ai été plusieurs fois torturé », raconte-t-il à l’AFP. « L’Union africaine, le Tchad et le Sénégal doivent tout faire pour nous indemniser. M. Habré est mort, mais la lutte continue et nous ne lâcherons pas », lâche aujourd’hui l’homme de 60 ans.
Plus de trente ans après la fin du régime Habré, les victimes de cette sombre période continuent de souffrir et de vivre dans un passé empreint de douleurs et de questions.
– Terrible répression –
Arrivé au pouvoir par les armes en 1982, Hissène Habré a dirigé le Tchad jusqu’en 1990. Huit années marquées par une terrible répression: des milliers d’opposants – réels ou supposés – sont arrêtés par la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS, police politique), torturés, souvent exécutés. Une commission d’enquête estimera à plus de 40.000 le nombre de personnes mortes en détention ou exécutées.
Renversé en 1990, Habré trouve refuge à Dakar pour un exil paisible pendant plus de vingt ans.
En mars 2015, la justice tchadienne condamne 24 anciens agents de la DDS à des peines de prison, ainsi qu’au versement de 114 millions d’euros de dommages et intérêts aux quelque 7.000 victimes recensées; l’État tchadien devant prendre en charge la moitié de cette somme.
Ce n’est finalement qu’en 2017, que l’implacable bourreau Habré est définitivement condamné à la perpétuité pour crimes contre l’humanité par un tribunal spécial africain à Dakar. Le tribunal ordonne aussi le versement de plus de 125 millions d’euros aux victimes.
« Ca fait six ans que nous attendons d’être indemnisés », confie à l’AFP Ousmane Abakar Tehir, 57 ans et coordinateur national de l’association des victimes du régime de Hissène Habré. « Ce n’est pas parce qu’il est mort que nous allons cesser notre lutte pour obtenir nos droits », prévient-il.
Fait prisonnier de guerre, lui aussi se souvient du « calvaire » passé dans les geôles de la prison centrale de la capitale tchadienne. Pendant ses nuits blanches, il voyait certains de ses camarades enlevés pendant la nuit. Ils ne revenaient jamais.
– Lutte pour l’indemnisation –
Fatimé Oumar a perdu son mari un jour de 1988. Fonctionnaire, il avait passé la journée au bureau, comme d’habitude. Il est parti du travail. Plus personne ne l’a jamais revu.
« J’ai appris à la chute d’Hissène Habré que mon mari était mort. Je n’ai jamais vu son corps pour faire le deuil », dit-elle. « Même si M. Habré est décédé, nous allons nous battre jusqu’à notre dernier souffle pour que réparation soit faite. C’est une décision de justice ».
« La lutte pour l’indemnisation va continuer parce qu’au niveau de l’Union africaine (UA), les chefs d’États africains ont créé un Fonds fiduciaire au profit des victimes », a indiqué Me Jacqueline Moudeina, avocate des victimes de Hissène Habré. « Il manque simplement la volonté politique d’installer réellement et effectivement ce fonds », a-t-elle ajouté.
L’UA a adopté le statut du Fonds fiduciaire en 2017, auquel elle a contribué à hauteur de cinq millions de dollars, a rappelé l’ONG Human Rights Watch dans un communiqué publié après la mort du dictateur. Mais « celui-ci n’est toujours pas devenu opérationnel et pas un centime n’a été versé aux victimes jusqu’à présent », a-t-elle souligné, appelant l’UA et le gouvernement tchadien à agir.