Sida : Maurice hésite toujours entre transparence et tabou

Afriquinfos Editeur
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"Comme si cela n’arrivait qu’aux autres", déplore Nicolas Ritter, président de l’Association PILS (Prévention, Information et Lutte contre le Sida), et premier Mauricien à déclarer ouvertement sa séropositivité.

Cette peur ou cette honte de parler du sida fait que plus de la moitié des personnes séropositives ne sont pas répertoriées.

"Selon Onusida, toutes les études démontrent qu’un pour cent de la population de chaque pays est porteur du virus. Ce qui implique qu’environ 12.000 personnes à Maurice serait touchées. Or, seulement 5.000 porteurs du virus sont répertoriés. En d’autre mots, 7 000 Mauriciens sont ignorants de leur séropositivité", s' alarme Guffran Rostom, chargé de la campagne de prévention chez Pils.

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Pourtant à Maurice, le dépistage est gratuit et anonyme, de même que les soins. Il n’empêche que le Mauricien est plutôt réticent de se faire dépister.

"On croit toujours à Maurice qu’on sera rejeté, ostracisé, pointé du doigt, accusé d' avoir attrapé une maladie honteuse si on est dépisté comme porteur du virus du sida", déclare Nicolas Ritter. Comme souvent dans le monde, le sida a été associé à Maurice lors des premières années aux homosexuels, aux prostitués et drogués.

Effectivement entre 2000 et 2004, 90% des nouvelles infections étaient liées à la consommation par intraveineuse. Aujourd' hui cette proportion a été réduite à 70%. Ce qui laisse comprendre que les modes de transmissions ont évolué.

Dans le même temps, on note que de plus en plus que le nombre de personnes infectées lors de rapports hétérosexuels a fortement augmenté.

"En 2004, elles représentaient 12% des nouvelles infections dépistées. En 2010, cette proportion est passé à 24%", affirme M. Rostom.

Avec les années, le sida est devenue petit à petit une maladie susceptible d’être attrapé par

n'importe qui soit par des rapports sexuels non-protégés ou des seringues échangées ou lors de contacts avec du sang contaminé, lors d' un accident ou d' un traitement mal réalisé. Ce qui fait que les personnes touchées sont maintenant susceptibles d’appartenir à toutes les strates de la population.

Pour autant, il est toujours vécu comme une tare, un stigmate difficile à enlever. Ce qui complique la lutte pour la prévention et le dépistage, déplore Nicolas Ritter.

"Cela reste politiquement incorrect. Je dois dire, et c’est désolant que la lutte contre le SIDA connaisse un manque criant de fonds. En 2010, les fonds du CSR pour la lutte contre le Sida a connu une baisse drastique. En plus, après le dernier Budget, il faudra s' attendre à une autre réduction dans le financement des ONG en général. Il semble que le VIH/SIDA demeure encore un sujet tabou".

Certes, la stratégie de lutte de l’État s' est considérablement améliorée ces deux dernières années. Il y a eu de meilleures pratiques appliquées ou des études prises en compte.

"Bien sûr, il reste des domaines où il subsiste encore des lacunes. Il y a des améliorations à faire au niveau de la prise en charge des patients et aussi en ce qui concerne le dépistage. Le ministère de l’Éducation demeure encore à la traîne en ce qu’il s’agit de l’information", se désole Nicolas Ritter.

En fait, ce n' est pas seulement le sida qui est tabou à Maurice mais le sexe lui-même reste toujours un sujet que l' on évite de parler en société ou sur la place publique. L’éducation sexuelle n' est toujours pas inscrite dans le curriculum des lycéens et les tentatives pour le faire mettre programme se heurtent à des résistances de la part de groupes religieux conservateurs.

Il faut dire qu' à Maurice même si la pratique religieuse tend à diminuer, les groupes sociaux culturels se sont multipliés ces dernières années, tous à la recherche de leurs avantages propres qui passent par un statu quo voire un recul des valeurs culturelles. Ces groupes mêmes s’ils regroupent peu de membres font entendre leurs voix haut et fort jusqu’aux politiciens qui hésitent à s’en démarquer.

D' autre part, la société mauricienne reste également très conservatrice. Avec plus de 50% de la population se réclamant directement de descendance indienne et environ 20% d' origine mixte, les mœurs restent très traditionnels et les mariages sont encore "arrangés" par les parents dans de nombreux cas. Ce qui explique un peu le tabou autour des relations sexuels.

Mais les jeunes sont néanmoins plus ouverts et les rencontres entre personnes de différentes cultures se multiplient tant à l’école que sur le lieu de travail ce qui ouvre la voie à des partages fructueux.

Par ailleurs, le niveau de la santé à Maurice n’a cessé de s’améliorer et qui donne aux dirigeants de PILS des raisons d' être optimistes.

"Il faut bien l’admettre, la situation est plus que correcte, bien entendu par rapport à celle des autres pays de l'océan Indien. A Maurice, ne l' oublions pas, il y a toujours le Welfare State (Etat providence) qui offre un service de santé gratuit. A ce propos, les patients mauriciens sont parfois mieux lotis que les Américains, vu que l'accès aux soins est payant aux USA", fait remarquer Nicolas Ritter.