Un « net favoritisme » pour le parti au pouvoir au Mozambique lors de la campagne, a été relevé vendredi 11 octobre par la Mission d’observation de l’Union Européenne, deux jours après le scrutin pour élire le Président et le Parlement du pays d’Afrique australe.
« Les observateurs et interlocuteurs de l’Union Européenne ont signalé un net favoritisme (pour le) parti au pouvoir au cours de la campagne, qui a bénéficié d’une utilisation indue des ressources de l’État« , a indiqué la cheffe de mission, Laura Ballarin, lors d’une conférence de presse à Maputo dans l’attente des résultats.
L’opposant montant Venancio Mondlane avait dénoncé dès mercredi à la mi-journée des irrégularités du Frelimo, au pouvoir depuis un demi-siècle dans ce pays bordé par l’Océan indien, miné par de grandes inégalités et la pauvreté. « D’un point de vue politique et pas seulement technique, nous sommes dans une situation qui prouve que nous avons un régime qui fera tout pour ne pas perdre les élections« , a renchéri vendredi 11 octobre Mondlane, à l’occasion d’une conférence lors de laquelle il a réédité ses accusations.
« Dans un tiers des processus de dépouillement observés, les chiffres des protocoles ne concordent pas« , indiquent par ailleurs dans un communiqué les observateurs de l’UE qui ont assisté à 74 opérations de décompte.
Le Président sortant Filipe Nyusi ne pouvant se représenter, le candidat désigné par le Frelimo, Daniel Chapo, 47 ans, paraît programmé pour lui succéder et devenir le premier Chef de cet Etat lusophone né après l’indépendance.
« Il y a un manque notable de crédibilité dans la fiabilité des listes électorales », estime aussi Laura Ballarin, avant d’ajouter que « dans plusieurs provinces, elles reflétaient un nombre d’électeurs supérieur à la population totale en âge de voter, selon le recensement national ». Le nombre d’électeurs inscrits est de 104% comparé à la population adulte estimée, d’après le communiqué de la Mission de l’UE.
Le chiffre officiel de plus de 17 millions d’inscrits, sur une population totale, et jeune, de 33 millions, n’est pas crédible, jugeait en amont de l’élection Domingos Do Rosario, professeur de Sciences politiques à Maputo interrogé par l’AFP. « (Cela) représente une augmentation de 30% par rapport aux élections de 2019, dans un contexte où les projections de l’Institut national de la statistique (INE) indiquaient une croissance de la population adulte de 17%« , le rejoignent les observateurs de l’UE dans leur communiqué.
Journée calme pour les décomptes ce 10 octobre
Le décompte des bulletins de vote pour désigner le Président et renouveler le Parlement au Mozambique s’est poursuivi jeudi 10 octobre 2024, au lendemain d’un scrutin tendu mais sans incident majeur, à l’issue duquel l’opposant Venancio Mondlane a revendiqué la victoire.
« Ce matin, nous devons déclarer notre victoire au niveau national« , a déclaré sur Facebook l’opposant charismatique de 50 ans, qui a volé la vedette pendant la campagne, appelant ses partisans à « descendre dans la rue » pour « revendiquer et défendre cette patrie ». Dans l’après-midi, aucune manifestation n’avait été signalée. M. Mondlane a ensuite posté une nouvelle vidéo où il appelle à un changement de Gouvernement, en proposant des gages de stabilité à l’Armée, au monde des affaires ou encore aux entreprises étrangères dans le pays.
En face, un Observatoire se présentant comme indépendant mais monté par des partisans du Frelimo, parti-Etat au pouvoir depuis l’indépendance il y a 49 ans, faisait circuler de premiers résultats sur de faibles pourcentages de voix, montrant son candidat, Daniel Chapo, en tête. Ces élections interviennent dans un contexte économique difficile, et alors que des attaques jihadistes dans le nord continuent de contrarier les espoirs de manne liée aux gisements de gaz naturel dans l’océan Indien. Le projet mené par le groupe TotalEnergies, pesant vingt milliards de dollars, est paralysé depuis 2021 dans ce pays qui reste l’un des plus pauvres au monde.
La Commission électorale (CNE), jugée trop proche du pouvoir par l’opposition comme par nombre d’observateurs, avait prévenu que le décompte pour élire le prochain Président et renouveler le Parlement pourrait prendre jusqu’à 15 jours.
Mais déjà, des résultats très partiels fuitent et circulent sur les réseaux sociaux, chaque camp mettant en avant des scores prometteurs. Dans plusieurs bureaux de cet immense pays qui compte 2.500 km de côtes sur l’océan Indien, « Venancio », comme l’appelle la rue, est devant. L’ancien animateur de radio et de télévision a fait cavalier seul après avoir quitté la Renamo, premier parti d’opposition, dont il a échoué à prendre la tête.
« Les premières tendances montrent un affrontement entre le Frelimo (Front de libération du Mozambique) et Venancio« , confirme le chercheur Borges Nhamirre. « Mais ce qui compte, c’est ce qu’annoncera la Commission électorale » comme résultats consolidés.
– « Prouver la fraude » –
Dans un pays encore hanté par une guerre civile (1975-1992), qui a fait un million de morts et n’a été soldée qu’en 2019 par un dernier accord de paix, la possibilité de violences politiques inquiète beaucoup de Mozambicains! Mais la rue « ne suivra pas Venancio aveuglément, il devra prouver la fraude« , estime encore M. Nhamirre.
Le jour du vote, des irrégularités ont été signalées: électeurs repérés deux bulletins en main au lieu d’un, interception de bulletins pré-remplis en faveur du Frelimo, assesseurs de l’opposition à la porte de bureaux de vote. Mais aucune violence ni incident grave à signaler, soulignent la CNE et les observateurs.
« C’est surtout maintenant que la fraude va commencer, avec l’affichage progressif des résultats », pronostique un analyste qui tient à garder l’anonymat. « Si Venancio montre une avance solide, la situation va devenir tendue très vite », ajoute-t-il, évoquant « beaucoup de silence et de nervosité du côté du Gouvernement ». Lors des élections de 2019, le Front de libération du Mozambique (Frelimo, marxiste) avait obtenu un score de 73%. Plusieurs experts avancent que la Commission électorale pourrait annoncer cette fois un résultat légèrement plus modeste, pour maintenir le Frelimo au pouvoir, mais éviter des violences.
Lors des municipales l’an dernier, l’opposition avait déjà dénoncé une élection « volée« . Le Président sortant Filipe Nyusi avait demandé mercredi 09 octobre que chacun évite d' »annoncer les résultats à l’avance« .
Son successeur probable, Daniel Chapo, 47 ans, un ancien Gouverneur sans expérience d’Etat, devra freiner le fort ralentissement de l’économie. Il a aussi promis de débarrasser le nord du pays de la guérilla jihadiste qui a fait 5.800 morts et un million de déplacés. A Maputo, le siège et les quartiers généraux du Frelimo dans différents quartiers étaient déserts jeudi 10 octobre 2024. Les écoles ayant servi de bureaux de vote ont retrouvé le vacarme joyeux des cours de récréation. Et les marchés leur activité frénétique, au milieu des embouteillages.
© Afriquinfos & Agence France-Presse
