Paris (© 2024 Afriquinfos)- Dans une lettre adressée au roi Mohammed VI, mardi 30 juillet 2024, Emmanuel Macron a apporté son plein soutien au plan d’autonomie du Sahara occidental défendu par le Maroc. Pour le Président de la République française, ce plan d’autonomie est la «seule base pour aboutir à une solution politique juste, durable et négociée». Une décision qui suscite des réactions de divers spécialistes.
Pour Jamaï Aboubakr, spécialiste du Maghreb et professeur de Relations internationales à Aix-en-Provence, ce geste est un grand pas, mais pas encore suffisant. ‘C’est certainement une victoire, mais là, à l’appeler une grande victoire, je serai plus circonspect. D’abord, pour moi ce, n’est pas un changement extrêmement important, la position française, parce que la France a toujours été le bouclier du Maroc, au Conseil de sécurité, à Genève à chaque fois que le Maroc voulait faire évoluer une situation, en sa faveur, le premier pays qui le défendait, c’était la France, à commencer par le plan d’autonomie‘, a-t-il souligné.
Le 2ème point qui est très important dans les propos du Président Macron est qu’il parle du fait que le cadre de résolution du conflit reste le projet onusien et il parle d’une solution négociée. ‘Pour moi, ça aurait été un véritable changement si demain la France présente un projet de résolution au Conseil de sécurité onusien, on demandant le rejet de l’autodétermination. Là, je dirai qu’il y a une vraie évolution’, a encore ajouté Jamaï Aboubakr.
Aux yeux de ce spécialiste, si la France a fait ce revirement de position, alors que pendant longtemps elle avait refusé de franchir ce pas, c’est parce que la pression marocaine a joué, et que le fait que la diplomatie marocaine est devenue beaucoup plus dure dans sa défense du plan d’autonomie et la souveraineté marocaine sur le Sahara a joué. ‘Je pense que la France est en recul diplomatique en Afrique, la France a connu un certain nombre de revers en Afrique sub-saharienne, notamment par rapport aux pays du Sahel, que le Maroc a toujours été un allié indéfectible de la France (…)’, a-t-il fait observer.
Et de poursuivre: ‘’Il était important pour la France de maintenir des relations solides avec le Maroc, également pour des raisons économiques. Par exemple, le Maroc est très fier de parler de l’évolution de son pays vers plus d’industrialisation et cela porte un seul nom et c’est l’industrie automobile, or qui sont les deux industries qui permettent au Maroc d’avoir un tel développement de son industrie automobile : c’est Renauld et stanlantiss qui sont des entreprises très françaises. L’interpénétration entre le capitalisme très français et le capitalisme marocain sont très fort à commencer par le roi lui-même’’.
Aussi, a-t-il fait savoir que le Roi en tant que personnage privé est en affaire avec l’Etat français dans des usines de production d’énergie en France. ‘Donc, si vous voulez, il y a une telle interpénétration d’intérêts au bénéfice des Français au point où la France avait besoin de maintenir cette relation’, a également précisé, Jamaï Aboubakr.
’C’est un cadeau que fait la France au régime marocain parce que les accords d’Abraham vus sous l’angle marocain sont des accords qui sont vraiment du donnant-donnant’, a encore expliqué ce spécialiste. Il justifie entre autres la démarche de Paris par les des intérêts d’ordre économiques qui se situent au niveau de l’organisation de la Coupe du monde 2030. ‘Très probablement, les entreprises françaises feront partie de ceux qui chercheront à obtenir des marchés et les Français sont très très intéressés par le chantier de TGV. C’est un marché que les Français ne veulent pas voir leur échapper’, a-t-il fait observer.
Au-delà du soutien politique, la France s’engage à accompagner le Maroc dans le développement économique et social du ‘Sahara marocain’. Cette coopération renforcée témoigne également de la profondeur des relations bilatérales entre les deux pays. Et de leur volonté de construire un partenariat stratégique à long terme.
Relations entre Rabat et Paris vues par Pierre Vermeren
Selon l’historien français Pierre Vermeren (professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), ‘les relations entre Rabat et Paris ont traversé leur plus grosse crise depuis l’affaire Ben Barka à partir des cinq ans de François Hollande, notamment à cause de la tentative d’inculpation du principal haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, qui est l’actuel patron de la Direction de la surveillance du territoire au Maroc – donc un personnage très important dans l’appareil d’État marocain. S’ensuivirent deux ans de crise majeure qui ont altéré durablement et profondément la relation avec la France. Notamment sur la question très sensible, très importante, des attentats, du jihadisme, de la surveillance, du contrôle, du partage d’information’, a-t-il défendu.
‘Les choses aujourd’hui s’arrangent un peu. Justement, la crise du Moyen-Orient oblige à revenir à la raison. La politique française est plus proche de celle du Maroc que de celle de l’Algérie. Il y a beaucoup de facteurs aussi qui interviennent parce que Paris a voulu restaurer cette relation. Et on envisage actuellement la visite d’État du souverain du Maroc en France qui, évidemment, permettrait d’arranger les choses. Mais on n’en est pas encore là. Des médiateurs circulent, des projets de voyage ont lieu, on a baissé les tensions, baissé l’agressivité. Les campagnes de presse ont cessé’, met en évidence Pierre Vermeren
‘On a eu des crises très fortes avec l’Allemagne, avec l’Espagne, mais celle avec la France est probablement celle qui est la plus durable et qui a l’intensité la plus forte, alors même que le Roi du Maroc est francophile. Il séjourne beaucoup à Paris, la principale communauté marocaine d’ailleurs à l’étranger se trouve en France. Il n’y a pas de d’hostilité manifeste vis-à-vis de la France, mais il y a eu un problème entre le Roi et le Président et tout leur entourage’, décrypte un peu plus cet historien.
Et de souligner que le Roi, manifestement, aime les relations bilatérales, et n’est pas à l’aise dans les relations multilatérales. ’D’ailleurs, on l’a souvent vu ne pas se rendre à des Sommets internationaux. On l’a tous souvent vu déléguer ses ministres ou ses Conseillers, ses représentants voire parfois ses sœurs ou les membres de sa famille. Il n’est pas à l’aise dans les enceintes internationales ou alors, il n’aime pas tellement cela’.
Mais ‘son père était à l’aise, par exemple dans les Sommets arabes qu’il méprisait d’ailleurs copieusement. Le Roi du Maroc actuel parle peu d’une manière générale. D’ailleurs, il ne parle pas à la presse, par exemple, ni nationale ni internationale. Et ce qu’il affectionne, ce sont les relations bilatérales avec ses amis’, a-t-il davantage expliqué.
Explication du rappel de l’ambassadeur d’Alger à Paris
Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de la France en Algérie (2008-2012 et 2017-2020) et auteur de ‘L’Énigme algérienne: chronique d’une ambassade à Alger’, publié aux éditions ‘L’Observatoire’ s’est quant à lui prononcé sur le rappel immédiat de l’ambassadeur d’Alger à Paris, suite à la reconnaissance de la ‘souveraineté marocaine sur le Sahara’ par la France le 30 juillet dernier.
‘On a bien vu la réaction immédiate voire anticipée d’Alger puisqu’elle avait commencé la semaine dernière, avant même la lettre du Président Emmanuel Macron au Roi du Maroc, à publier un communiqué algérien mettant en garde la France contre un rapprochement avec le Maroc, une reconnaissance marocaine du Sahara occidental. Il y a eu un autre communiqué virulent qui annule la visite du Président algérien à Paris. Elle était prévue pour le mois d’octobre 2024 et qui prévoit le rappel immédiat de l’ambassadeur d’Algérie à Paris’’, a expliqué le diplomate. Tout en précisant que ce rappel sera suivi d’annulations de certains contrats entre Paris et Alger.
D’après Xavier Driencourt, si le rapprochement de Paris et de Rabat est le corollaire d’une énième tension entre Paris et Alger, ‘c’est d’abord parce que Paris était beaucoup plus froid avec le Maroc depuis plusieurs années, depuis 2017. Au point où le Roi du Maroc ne prenait pas les appels téléphoniques du Président Macron, et puis, on avait du côté français beaucoup de gestes mémoriaux vis-à-vis d’Alger.
Le Président français a pesé les avantages et les inconvénients des deux situations, et il a vu que du côté algérien, ça ne va pas, ça ne bougeait pas, que tous les gestes qu’il a posés n’étaient pas payés de retour, et qu’on ne pouvait pas par ailleurs laisser la situation polaire, glaciale avec Alger et le Maroc’.
’Donc, le statut quo était intenable et on a décidé à la suite, du reste, de l’Espagne, de l’Allemagne, des Etats-Unis de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental’, analyse-t-il.
La France, aux yeux de ce diplomate, a changé son fusil d’épaule en soutenant le Maroc car Emmanuel Macron en attendait beaucoup plus de la part du Président Tebboune. ’Macron attendait un retour du côté algérien, que ce soit un retour sur le plan économique, et bien d’autres. Il attendait un grand nombre de gestes mais au lieu de cela, il n’y’a pas eu grand geste puisque la visite de Tebboune a été annulée déjà trois fois. Il y a eu des provocations algériennes dans les émeutes l’année dernière, il y a eu un certain nombre de déclarations pas très favorables envers la France, il y a eu l’interdiction du français en Algérie. Il y a eu des gestes inamicaux et le Président Macron a finalement estimé que ça ne sert à rien de faire des efforts avec l’Algérie’, a également décortiqué ce diplomate-auteur.
Le perdant de l’histoire, selon Driencourt, sera Algérie, ‘parce que nous dépendons très peu de bases algériennes (7 à 8% de nos approvisionnements, contrairement à l’Espagne). Sur le plan économique, l’Algérie a fait le choix de la Chine et de la Turquie. Et donc, les entreprises françaises n’ont pas beaucoup d’intérêts en Algérie, alors qu’elles en ont énormément au Maroc. Enfin, si l’Algérie décidait, comme elle l’a fait avec l’Espagne, de suspendre les liaisons aériennes vers la France, ça veut dire que 300 liaisons aériennes hebdomadaires avec la France, ceux qui seront pénalisés, ce sont les Algériens’, a-t-il projeté. Tout en affirmant que la France ne pourrait toutefois pas réunir Alger et Rabat autour de la table.
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