Libye: L’Aïd al-adha 2025 dans la hantise de la reprise des différends entre milices de Tripoli

Afriquinfos Editeur
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Des personnes achètent des produits au marché de Tripoli, en Libye, le 5 juin 2025.

En apparence, la vie a repris son cours à Tripoli après des affrontements meurtriers mi-mai 2025. Mais à la veille de l’Aïd 2025, l’ambiance est morose dans la capitale libyenne et les habitants vivent dans l’appréhension d’une reprise des combats.

Randa al-Mahmoudi, la trentaine, remplit son caddie dans un supermarché à Siyahiya, quartier de l’ouest de Tripoli. « Embouteillages, magasins et écoles ouverts, trafic aérien… Tout est redevenu normal à Tripoli mais on sent que quelque chose ne va pas », confie la jeune femme. A l’approche de l’Aïd al-Adha, importante fête musulmane qui débute ce 06 juin en Libye, « nous essayons, ne serait-ce que pour les enfants, de faire les choses comme d’habitude, sans penser à ce qui pourrait arriver. Sinon on ne vit plus! », dit cette enseignante et mère de trois enfants.

Des personnes achètent des produits au marché de Tripoli, en Libye, le 5 juin 2025.

Noureddine al-Chaouech, 48 ans, raconte que ses enfants « tremblent lorsqu’ils entendent des feux d’artifice lors des mariages », traumatisés par les violences qui ont secoué la capitale au fil des ans. « Il y a un sentiment de crainte », abonde Hamza al-Ahmar, 39 ans, employé d’une société privée. « Que se passera-t-il après l’Aïd? C’est la question qui préoccupe les gens ».

– Equilibre perturbé –

La Libye peine à retrouver la stabilité depuis l’assassinat le 20 octobre 2011 de Mouammar Kadhafi, au pouvoir pendant plus de 40 ans, par une coalition occidentale emmenée par la France. Deux exécutifs s’y disputent actuellement le pouvoir: le Gouvernement d’unité nationale (GNU) installé à Tripoli, reconnu par l’ONU et dirigé par Abdelhamid Dbeibah; l’autre à Benghazi (est), contrôlé par le maréchal Khalifa Haftar et ses fils.

A la mi-mai 2025, M. Dbeibah a décidé le démantèlement de « toutes les milices » qui se partageaient Tripoli, accusées d’être devenues « plus puissantes que l’Etat », déclenchant des combats en plein centre-ville qui ont fait au moins 8 morts selon l’ONU. De premiers affrontements de courte durée ont suivi la mort brutale d’Abdelghani al-Kikli dit Gheniwa, chef du Dispositif de soutien et de stabilité (SSA), un groupe armé basé à Abou Selim (secteur sud de Tripoli) qui s’était imposé dans des secteurs économiques-clés.

Le lendemain, des combats distincts encore plus violents ont opposé des forces rattachées au GNU à Radaa, un autre groupe très influent qui contrôle l’est de la capitale et l’aéroport. Malgré une trêve, la décision de M. Dbeibah de reconfigurer les sphères d’influence des groupes armés a perturbé l’équilibre en vigueur à Tripoli. « En apparence c’est calme mais je ne parlerais pas de retour à la normale. Les gens craignent de nouveaux affrontements, car le problème à l’origine des combats n’est pas résolu », estime Fathi Chibli, enseignant à la retraite de 64 ans.

Le territoire contrôlé par le SSA est passé sous la houlette de la Brigade 444, rattachée à M. Dbeibah, et du ministère de l’Intérieur qui disent avoir découvert une fosse commune contenant des dizaines de corps.

– « Nouvelle donne » –

Mercredi, 4 juin 2025, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), Volker Türk, a évoqué « des violations flagrantes des droits humains dans des centres de détention officiels et non-officiels gérés par le SSA ». Selon le HCDH, au moins « dix corps calcinés » ont été trouvés au siège du SSA ainsi que « 67 cadavres dans les morgues des hôpitaux d’Abou Selim et d’Al Khadra » tandis qu' »un lieu de sépulture aurait été découvert au zoo de Tripoli, géré par le SSA ».

« On attend de voir. Il y a une nouvelle donne à Tripoli après la mort de Gheniwa et les problèmes avec al-Radaa », souligne Mme Mahmoudi. Cela fait trois vendredis de suite que des centaines de Libyens, issus principalement du quartier Souq al-Joumaa, fief du groupe Radaa, viennent jusqu’au centre-ville pour demander la démission du Gouvernement Dbeibah. « Je souhaite son départ mais dans ce contexte de chaos sécuritaire et un Gouvernement parallèle (celui de l’Est) aux aguets, ce serait une erreur de renverser ce Gouvernement », estime Hamza al-Ahmar.

Des personnes achètent des produits au marché de Tripoli, en Libye, le 5 juin 2025.

« Le départ de Dbeibah ne résoudra pas la crise. Il n’est qu’une partie du problème », juge Fathi al-Chibli, en dénonçant l’inefficacité des institutions politiques actuelles. Des élections présidentielle et parlementaires devaient se tenir en décembre 2021 sous le parrainage des Nations Unies, mais elles ont été reportées sine die en raison de profondes divergences entre Ouest et Est.

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