Les recettes de l’écrivain Mia Couto pour éviter le chaos en Mozambique après les résultats des élections 2024

Afriquinfos Editeur
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L'écrivain mozambicain Mia Couto à Maputo le 7 octobre 2024.

Le Mozambique mérite « des dirigeants exemplaires », soucieux « de partager, de redistribuer ». A la veille des élections générales du 09 octobre 2024 dans le pays d’Afrique australe, Mia Couto, son écrivain le plus connu, a estimé que la jeune démocratie n’est pas prête au changement.

L’opposition « dit que c’est son tour », ils voudraient prendre le pouvoir mais « que tout reste pareil », dit l’ancien partisan du Front de libération du Mozambique (Frelimo, marxiste), aujourd’hui au pouvoir depuis 49 ans. « Il n’existe pas beaucoup d’options ».

L’écrivain mozambicain Mia Couto à Maputo le 7 octobre 2024.

« J’ai du mal à dire +eux+ quand je parle du Frelimo« , sourit tendrement le biologiste marin de 69 ans, ancien journaliste affilié à aucun parti « depuis longtemps maintenant« , dont les romans poétiques sont aujourd’hui publiés dans de multiples langues dans le monde.

Ce Mozambicain blanc, fils de Portugais, rappelle qu’il est aujourd’hui « plus vieux que (son) propre pays« . L’indépendance en 1975 a donné « l’illusion, le rêve qu’on pouvait partir de zéro ». Mais la guerre civile (1975-1992), dont les violences se sont prolongées jusqu’à l’accord de paix définitif de 2019, « a éclaté presque immédiatement » et empêché « toute reconstruction ».

Jusqu’à aujourd’hui, « nous continuons à apprendre », « nous luttons encore pour commencer » à appréhender la modernité, la démocratie, dit-il. « Les libérateurs ont pensé que le pays leur appartenait » et les élections du 09 octobre 2024 pour élire le Président et le Parlement « nous rendent anxieux », confie-t-il dans la fondation artistique qui porte le nom de son père Fernando, poète reconnu, dans la capitale Maputo.

« Le Frelimo peut encore gagner cette fois, mais il existe de moins en moins d’espace pour qu’ils règnent tout seuls », estime-t-il. Il y a cinq ans, le candidat Frelimo s’était imposé avec 73% des voix, score contesté par l’opposition.

Aussi, ne faut-il pas penser le Frelimo, parti-Etat qui détient toutes les clés du pouvoir, comme « une entité monolithique ». Il existe de « fortes contradictions en son sein, plus de frictions à l’intérieur » qu’avec l’opposition, souligne cet homme à l’allure simple, barbichette blanche et regard perçant derrière de fines lunettes.

– Vivants et morts – 

L’écrivain met en garde contre les dangers à plaquer des notions occidentales, notamment d’individualité et de responsabilité, à ce pays multiforme, aux 2.500 km de côtes et où 28 langues différentes sont parlées. « Beaucoup de gens ici vont à la messe le matin, à la mosquée dans l’après-midi et le soir, ils parlent à leurs ancêtres », illustre-t-il.

Ses concitoyens sont une source infinie d’inspiration. « Les gens racontent tant d’histoires ». Ils « partagent des proverbes, des histoires sérieuses, solennelles » qui disent leur lien à la Nature et à leur spiritualité.

Comme cette rivière dont une villageoise lui explique que le nom signifie « là où l’eau tombe enceinte ». Ou la perception qu’il n’y a aucune frontière entre les vivants et les morts. Mia Couto n’est ni complètement européen, ni complètement africain mais « un mélange des deux ». Le vrai test s’est présenté à la mort de son père en 2013. « J’ai réussi haut la main », sourit-il. « Il n’est pas mort, il est à l’intérieur de moi. Mes mains ne sont pas mes mains, ce sont les siennes », affirme-t-il.

« Je préfère croire à cela » qu’être résigné à une vision européenne, toute en « absence et manque ». Revenant à la politique, Mia Couto insiste sur le poids de la guerre civile qui a fait un million de morts et autant d’histoires d’épouvante. La réconciliation, après, est passée par l’oubli, dit-il. Un oubli remarquable, salvateur. Pour lequel le pays entier semble avoir opté, comme « un consensus silencieux ».

Mais « l’oubli n’est jamais une solution, c’est toujours un mensonge. Nous le payons encore aujourd’hui ». Les résultats de ces élections, « nous les accueillerons paisiblement. Parce que nous sommes si fatigués de la violence et du conflit. Nous votons pour la paix », dit-il. 

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