Gedaref, dans l’est du pays, grenier à maïs du Soudan, se meurt, la famine se précise à l’échelle nationale

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Une femme travaille dans un champ à la périphérie de Gedaref, le 18 juillet 2024 au Soudan.

Ahmed Othmane a dû se résoudre à vendre deux de ses véhicules pour financer la récolte de sésame sur sa grande exploitation, dans l’Etat de Gedaref, épargné par les combats qui ravagent le Soudan mais confronté à des pénuries de liquidités et de main-d’oeuvre.

Gedaref, dans l’est du pays, est le grenier à maïs du Soudan, une denrée essentielle pour une population au bord de la famine. Sur sa vaste exploitation, Ahmed Othmane déplore que la guerre entre l’Armée soudanaise et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), qui fait rage depuis un an et demi, ait restreint les déplacements des travailleurs entre régions, et par là la main-d’oeuvre disponible. ‘Notre premier problème a été l’accès aux liquidités en raison de la pénurie causée par la guerre’, raconte ce cultivateur à l’AFP.

Des agriculteurs labourent un champ à la périphérie de Gedaref, le 18 juillet 2024 au Soudan.

Sur ses trois véhicules, il a cédé une camionnette et une voiture pour acheter du carburant destiné à ses machines agricoles et payer ses travailleurs. Les banques soudanaises ont été la cible de pillages à Khartoum après la prise de contrôle de la capitale par les FSR, entraînant une grave pénurie de liquidités partout dans le pays, à laquelle s’ajoute ‘une pénurie de main-d’oeuvre agricole’, explique M. Othmane.

La plupart des travailleurs provenaient de régions désormais en proie à la guerre, ou accessibles par des routes traversant des zones de combat. La guerre oppose depuis avril 2023 les FSR, dirigées par le général Mohamed Hamdane Daglo, à l’Armée, conduite par le général Abdel Fattah al-Burhane, le dirigeant de facto du pays. Elle a fait des dizaines de milliers de morts, les estimations allant de 20.000 à 150.000, la plupart des victimes n’étant pas recensées, selon des médecins. Elle a aussi déplacé des millions de personnes et entraîné l’une des pires crises humanitaires au monde, selon l’ONU, qui a mis en garde contre une famine imminente.

Pour parer au manque de main-d’oeuvre, M. Othmane a fait appel à des réfugiés éthiopiens. C’est aussi le cas de Souleimane Mohamed, une autre cultivateur de la région. ‘Le manque de travailleurs a entraîné une hausse des salaires, ce qui nous pousse à faire appel aux travailleurs présents dans la région, principalement éthiopiens’, soupire-t-il.

– Une récolte compromise –  

Plus de 25 millions de personnes au Soudan, soit plus de la moitié de la population, ont besoin d’aide alimentaire, selon l’ONU. Trois grandes organisations humanitaires ont mis en garde récemment contre une crise de la faim d’une ampleur « historique », de nombreuses familles étant obligées de se nourrir de feuilles d’arbres et d’insectes. La mauvaise récolte cette saison risque d’aggraver la crise, vu les difficultés à acheminer l’aide alimentaire. Othmane Abdelkarim, agriculteur à Gedaref, explique que certains de ses confrères ont déjà dû abandonner la saison.

‘La plupart des agriculteurs ont dû s’autofinancer, et certains n’ont même pas pu semer’, souffle-t-il en montrant des champs laissés en jachère. ‘Cette crise retardera la récolte et altérera la qualité’.

Selon le ministère de l’Agriculture de l’Etat, neuf millions d’acres y ont été cultivées cette année, dont cinq millions en maïs, le reste étant consacré aux cultures de sésame, de tournesol, d’arachide et de coton. L’Etat de Gedaref cultivait avant la guerre environ 20 millions d’acres par an, assez pour produire plus de six millions de tonnes de maïs et nourrir la population. Souleimane Mohamed anticipe d’importantes pertes et prévoit ‘qu’une partie de la récolte sera perdue’.

Des habitants ayant fui le district de Jazirah arrivent dans un camp pour personnes déplacées à Gedaref, le 31 octobre 2024 au Soudan.

© Afriquinfos & Agence France-Presse