Abidjan (© 2024 Afriquinfos)- Depuis des décennies, les relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso oscillent entre proximité fraternelle et tensions dévastatrices. Ce qui aurait pu être une relation mutuellement bénéfique entre deux nations voisines, historiquement liées par la géographie, le mariage et les échanges culturels, s’est transformé en un jeu dangereux de méfiance et de rivalité politique. À travers les décennies, les dirigeants successifs des deux pays se sont affrontés, exacerbant des tensions qui auraient pu être évitées.
Tout a commencé avec le contraste idéologique entre les présidents Félix Houphouët-Boigny et Thomas Sankara. D’un côté, un président ivoirien prônant une approche diplomatique modérée et un libéralisme économique, de l’autre, un leader burkinabé révolutionnaire et panafricaniste, symbolisant une rupture avec les élites traditionnelles. Ce schisme, loin de se refermer avec la chute de Sankara, s’est perpétué avec leurs successeurs, notamment Laurent Gbagbo et Blaise Compaoré, alimentant une méfiance réciproque que les populations n’ont jamais souhaitée.
Aujourd’hui, la rivalité prend une tournure encore plus sombre avec les récents événements entre Alassane Ouattara et Ibrahim Traoré, deux figures qui s’accusent mutuellement de déstabilisation. Alors que la Côte d’Ivoire prétend que le Burkina Faso tente de s’ingérer dans ses affaires internes, le Burkina Faso riposte en accusant Abidjan de manœuvres secrètes visant à affaiblir son régime. Le climat devient chaque jour plus lourd, et les accusations entre les deux nations s’intensifient.
Mais derrière ce jeu de pouvoir, ce sont les peuples, liés par des siècles d’histoire commune, qui en paient le prix. Des familles siamoises, des communautés ethniquement et historiquement entrelacées, sont divisées par des conflits qui leur sont étrangers. Les dirigeants semblent ignorer que ces deux populations partagent bien plus que ce qui les sépare. Les frontières politiques n’ont jamais pu effacer les liens de sang, d’alliance et d’amitié.

L’enjeu, en apparence, pourrait paraître économique ou sécuritaire, notamment avec des divergences sur la gestion des ressources et les intérêts au sein des organisations comme l’UEMOA ou la CEDEAO. Cependant, au-delà de ces désaccords institutionnels, l’idéologie sous-jacente est également un facteur clé. Le Burkina Faso, sous la houlette de Traoré, tente de s’affranchir des influences extérieures et adopte une position plus autarcique et révolutionnaire, tandis que la Côte d’Ivoire s’affirme comme un allié des puissances internationales et défend une économie libérale intégrée aux échanges mondiaux.
Malheureusement, ce bras de fer ne profite à aucun des deux pays. Il exacerbe les fractures internes, alourdit les tensions régionales, et ouvre la porte à des puissances extérieures prêtes à exploiter la division pour leur propre intérêt. Si cette hostilité persiste, c’est l’Afrique, dans son ensemble, qui risque de s’enliser dans des conflits fratricides, alimentés par des calculs politiques à court terme. Il est urgent que ces deux pays comprennent que leur avenir dépend d’une coopération authentique et non d’une rivalité destructrice.
Les peuples burkinabé et ivoirien ne se détestent pas. Ils ont partagé l’histoire, la souffrance et les victoires. Ce sont leurs dirigeants qui, pour des raisons politiques et économiques, continuent de nourrir une animosité artificielle. Et tant que cette impasse se poursuivra, c’est l’Afrique qui s’affaiblira, encore et toujours, sous le poids de ces rivalités inutiles.
ALEX KIPRE