Soudan : comment peut-on mettre fin à la guerre civile et gagner la paix ?

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Guerre au Soudan (DR-Rfi)

(© 2024 The Conversation)-Un conflit ouvert entre deux hauts gradés militaires plonge la population soudanaise dans un contexte instable et violent marqué par une grave crise humanitaire. Cette situation dramatique passe pourtant sous les radars médiatiques. Les scénarios de paix durable et les voies pour y accéder ne sont pas méconnus mais leur mise en œuvre rencontre des obstacles que seule une solidarité internationale peut lever.

Si certains conflits armés font fréquemment la une des journaux du monde entier, tous ne bénéficient pas d’une importante couverture médiatique. Or plus de 50 pays, parmi lesquels le Soudan, la Somalie, la République démocratique du Congo, le Myanmar, la République centrafricaine ou encore le Yémen sont actuellement le théâtre de violences armées à grande échelle.

Ces « guerres oubliées » se déroulent presque toutes dans des pays caractérisés par un taux de pauvreté très élevé, de profondes inégalités inter-ethniques et des gouvernements particulièrement fragiles. En outre, ces régions ne sont généralement pas au cœur de rivalités entre grandes puissances, ce qui peut expliquer l’« oubli » dont elles font l’objet de la part des médias et des décideurs politiques de par le monde.

Cependant, ces conflits ne sont pas oubliés par le monde universitaire : des centaines d’études récentes sont consacrées à la recherche des politiques qui seraient susceptibles de faire taire les armes sur tous ces terrains. Dans mon dernier livre, The Peace Formula : Voice, Work and Warranties, je souligne l’importance de trois facteurs particulièrement cruciaux pour la mise en œuvre et le maintien d’une paix durable.

Tout d’abord, une société doit pouvoir garantir les libertés civiles et la représentation politique pour tous, indépendamment de l’appartenance communautaire, du sexe, de la religion ou de l’orientation sexuelle des individus. Les groupes exclus ou victimes de discriminations sont plus susceptibles de former des mouvements insurrectionnels défiant l’État. Tandis que les institutions inclusives pour l’ensemble des citoyens et reposant sur le partage des pouvoirs donnent lieu à une stabilité à long terme.

De plus, il est également essentiel que l’économie soit productive et que la population ait accès à un bon niveau d’éducation et de bons services de santé, et qu’elle puisse décemment gagner sa vie. Mais lorsque les opportunités sont rares et que de larges pans de la société sont appauvris, ces derniers deviennent des cibles faciles pour les seigneurs de guerre ou les dirigeants autoritaires qui cherchent à recruter des combattants. Par conséquent, les politiques renforçant l’éducation, les soins de santé et l’accès au marché du travail sont donc fondamentales pour prévenir l’émergence d’un contexte favorable aux conflits armés.

Enfin, des garanties de sécurité et un État solide sont essentiels pour mettre en œuvre des politiques publiques efficaces et pour réduire le risque de putschs ou d’essor de la criminalité organisée, laquelle profite partout de la faiblesse du pouvoir pour gagner en influence. Lorsque les citoyens se sentent en sécurité, la légitimité de l’État est renforcée, ce qui rend possibles les progrès politiques et économiques.

Une fois que l’on reconnaît ces facteurs de paix, une question demeure : comment la communauté internationale peut-elle susciter dans les pays où sévissent ces « guerres oubliées » un changement positif ? Imposer, de l’extérieur, un changement de régime ne va généralement pas sans répercussions négatives. Cependant, lorsqu’un gouvernement bien intentionné déterminé à mettre en œuvre des réformes positives pour la population parvient au pouvoir, la communauté internationale doit se saisir de cette fenêtre d’opportunité pour lui apporter un soutien ferme et constant. Un investissement financier substantiel inspiré du modèle du plan Marshall mis en œuvre en Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale, accompagné d’un soutien aux capacités naissantes de ces États, peut avoir un effet majeur. Il a été démontré, par exemple, que la présence des forces de maintien de la paix de l’ONU améliore considérablement la sécurité, en particulier pour les civils.

Ces éléments peuvent faire une différence cruciale sur le terrain. Prenons l’exemple de la guerre en cours au Soudan. Après la chute du régime autocratique d’Omar Al-Bachir en 2019, l’opportunité d’un changement positif a brièvement émergé, conduisant au lancement d’une série de réformes sous la direction du premier ministre Abdallah Hamdok, qui a démissionné depuis. Ces mesures, qui comprenaient l’obtention d’un financement du FMI, des réformes macroéconomiques et la suppression des subventions aux carburants, visaient à stabiliser la situation fiscale du pays, mais elles n’ont pas permis de répondre dans l’immédiat aux difficultés économiques subies par une grande partie de la population. De sorte que le gouvernement n’a pas réussi à obtenir un soutien durable. D’autant plus qu’il n’est pas parvenu à garantir la sécurité du pays, et est demeuré, de fait, à la merci de l’armée.

La période de transition vers une gouvernance civile a été interrompue à l’automne 2021 par une série de coups d’État qui ont ouvert une nouvelle ère de tension et de violence. La situation s’est encore détériorée en avril 2023, lorsqu’une guerre à grande échelle a éclaté entre les Forces armées soudanaises du général Abdel Fattah al-Burhane, chef de la junte au pouvoir après la dissolution des autorités de transition, et les Forces de soutien rapide, anciens alliés paramilitaires de l’armée dirigés par le général Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti ».

Depuis son déclenchement, cette lutte pour le pouvoir aurait causé la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes. On dénombre aujourd’hui plus de 14 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays et au-delà de ses frontières. La guerre se poursuit avec une intensité dévastatrice ; tout récemment encore, des rapports ont fait état de massacres et de violences sexuelles commis dans des villages de l’État d’Al Jazira dans le sud-est du Soudan.

Les pistes d’une paix durable

L’arrêt des combats et la recherche d’une solution politique post-conflit doivent être une priorité absolue. Pour éviter que la catastrophe humanitaire actuelle ne se reproduise, une feuille de route à long terme pour le maintien d’une paix durable après la fin du conflit est essentielle. Garantir une démocratie inclusive vaut pour tous les pays, particulièrement pour le Soudan où la population est divisée sur le plan ethnique et a connu par le passé des violences ethniques. Entre autres, le peuple Masalit et d’autres communautés non arabes qui ont été la cible de violences dans la région du Darfour. L’État, qui a le devoir de protéger la vie et les droits de tous ses habitants, doit pouvoir empêcher ces formes de nettoyage ethnique.

Le pays doit aussi disposer d’une situation économique générant suffisamment d’emplois pour sa population. La pauvreté reste particulièrement élevée au Soudan où les retombées économiques dues à l’exploitation des ressources naturelles sont réparties inégalement. L’extraction d’énergies fossiles accroît le risque de conflits et celui d’une course au profit ; il est d’autant plus essentiel de mettre en place une économie solide qui offre d’autres possibilités d’emploi et ne repose pas sur le seul secteur des énergies fossiles – aux multiples effets secondaires négatifs.

La communauté internationale pourra fournir une aide financière à grande échelle, une fois qu’une future gouvernance civile aura vu le jour. Un rapport du centre de recherche International Growth Centre met en évidence le fait que le Soudan dispose d’un important potentiel en matière de production, sur son territoire, de nombreux produits qui sont actuellement importés – y compris les denrées alimentaires et le textile. Le pays pourrait ainsi augmenter nettement ses exportations.

En termes d’exportations, en effet, la position géographique du Soudan, proche de l’Égypte, de l’Éthiopie et des États du Golfe, constitue un atout majeur. La diversification des exportations, notamment en ce qui concerne les produits agricoles et le bétail, représente un marché potentiel important, et les secteurs à forte valeur ajoutée pourraient être développés. Le Soudan est notamment le premier producteur mondial de gomme arabique, mais il n’obtient qu’une part dérisoire de sa chaîne de valeur. Le développement des activités de traitement du produit permettrait, par exemple, d’obtenir une plus grande part de ce marché.

Il faut également des garanties de sécurité solides qui permettent à une gouvernance civile de mettre en œuvre des réformes et de renforcer la capacité étatique sans la menace de putschs militaires. Les Casques bleus de l’ONU pourraient protéger un gouvernement contre les putschs militaires, tout en contribuant à protéger les civils quelle que soit leur appartenance ethnique. Bien entendu, l’un des principaux défis pour les Nations unies est d’obtenir suffisamment de contingents de la part de leurs États membres pour servir sous le drapeau des troupes de maintien de la paix. La solidarité internationale revêt dès lors une importance primordiale dans la résolution de ce conflit.

Inscrire la paix dans les priorités des dirigeants de par le monde

Si une feuille de route permettant de pacifier les « guerres oubliées » existe bel et bien, pourquoi n’est-elle pas systématiquement suivie ? L’un des principaux problèmes est que de nombreux hommes politiques privilégient les objectifs à court terme. Conclure un accord difficile avec un despote ou gagner les faveurs d’un régime influent mais peu recommandable peut sembler attrayant pour les dirigeants, en particulier avant une campagne électorale. Certains spécialistes estiment ainsi qu’Al-Bachir, à la tête du Soudan pendant des décennies, est resté au pouvoir grâce au soutien de divers pays étrangers dont il bénéficiait.

En revanche, investir des ressources substantielles pour poser les bases d’une paix à long terme dans un pays en marge de l’attention médiatique peut être considéré comme moins avantageux sur le plan politique. La construction d’écoles ou l’amélioration du système de santé, par exemple, ne produit ses effets qu’au bout d’un certain temps.

Pour changer cette dynamique, il faut que la société civile et l’opinion publique, à un niveau local et mondial, s’emparent de ces sujets. Pour ce faire, il est essentiel de faire comprendre à nos dirigeants que leur attention doit se porter non pas sur des gains à court terme mais sur la mise en place de fondations durables pour la paix. Des médias indépendants et de qualité, ainsi que des citoyens engagés peuvent servir de catalyseurs à ce changement positif.

The Conversation