Sarah Ysha, afro-brésilienne, à la quête de ses racines africaines: «La tradition est relative à la culture, mais l’ancestralité, c’est dans le sang» 

Afriquinfos Editeur
14 Min de Lecture
Sarah Ysha, artiste afro-brésilienne installée au Bénin depuis 2022.

COTONOU (© 2025 Afriquinfos)- Installée au Bénin depuis 2022, l’artiste afro-brésilienne Sarah Ysha crée des ponts culturels entre le Bénin et le Brésil. À travers un laboratoire innovant de performances audiovisuelles et musicales, elle explore la mémoire du corps et des sons, tissant des liens entre ses racines africaines et brésiliennes pour façonner une œuvre contemporaine ancrée dans les visions afro-futuristes. ‘Afriquinfos’ a rencontré Sarah Ysha dans les coulisses du FInAB (Festival International des arts du Bénin), édition 3 en 2025.

Sarah Ysha, artiste afro-brésilienne installée au Bénin depuis 2022.

Votre parcours artistique est marqué par une grande diversité d’influences culturelles et musicales. Comment votre identité brésilienne, héritière d’un fort métissage afro-descendant, nourrit-elle votre création artistique ?

Je suis née dans une base gospel. Alors, l’identité africaine était toujours refusée dans ma famille, même si mon gène est à 48% africain et de l’Afrique du Nord. Je viens d’avoir contact avec mon identité africaine à 27 ans, à travers l’anthropologie théâtrale dans le mouvement des Orixás (ou Orishas) [NDLR : divinités originaires de l’Afrique de l’Ouest, et plus précisément des traditions religieuses yorubas].

Quand j’ai écouté le rythme «Avamunha» de la tradition de Candomblé [NDLR: une religion afro-brésilienne] qui vient du Yoruba, je suis entrée en transe. Je me suis alors demandé pourquoi cela est arrivé avec moi ! Ainsi, j’ai commencé à rechercher ce que ça voulait dire, ce rythme, les chants Yoruba, basés sur la tradition religieuse du Candomblé et de l’Umbanda. Cela a commencé à transformer ma vie, parce que je vivais avec 50% de mon identité comme être humain. Et après, j’ai commencé à aborder 50% sur l’identité africaine !

C’est comme cela que la rythmique, la Culture africaine de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique du Nord ont commencé à façonner mon art, à entrer dans mon parcours.

Vous évoquez souvent la quête de vos racines. En quoi votre présence au Bénin, berceau d’une partie de la diaspora afro-brésilienne, résonne-t-elle avec votre image artistique et personnelle ?

Comme j’ai commencé à vous le dire, je suis en train d’entrer en contact avec mon identité familière, parce que le Brésil est un pays colonisé. Cela veut dire que les colons essaient de couper tout contact avec les racines primordiales. Alors, j’ai grandi juste avec mon côté européen, ma connaissance européenne dans mon sang. A partir du moment où je suis entrée en contact, à travers la musique, avec mon ancestralité, cela a tout changé, avec une sensation de complétude. C’est mon corps en fait, c’est le symbole de mon corps, c’est le symbole sonore, c’est la musicalité qui m’ont amenée jusqu’à la recherche sur la culture du Nigeria, Bénin, Togo et Ghana. En effet, au Brésil, on a plusieurs ethnies africaines. Les Yorubas, les Fons, les Ewes, les Ashantis, des Peuls, des Malés. Je suis personnellement des origines Ashanti, Fon, Yoruba et Berbère.

Il s’agit là de la combinaison de plusieurs origines à la fois…

Oui, je suis métisse. Le Brésil, c’est un pays vraiment métissé. Je dis que c’est un croisement. Alors, les concepts de création humaine et d’éléments, des mythes ici de l’Afrique de l’Ouest, cela me fait plus de sens, me parle davantage parce que j’ai cela dans mon sang. Cette donne m’a aussi aidée à développer, pas juste mon côté humain, et a résonné dans mon côté artistique.

Le Brésil et l’Afrique partagent une histoire commune marquée par la traite négrière qui a profondément influencé la culture brésilienne, notamment à travers les rythmes, les chants, les danses. Comment cette mémoire transparaît-elle dans votre travail artistique ?

La Porte du non-retour, c’était une blessure. Mais il y a maintenant la «Porte du retour», c’est la possibilité de guérir. Alors, parfois je me demande si les ancêtres avaient un plan plus grand que notre connaissance, parce que justement, la traite négrière était une vraie blessure, mais aussi une opportunité pour développer une culture très riche qu’est la culture brésilienne.

Avec les Maracatus [NDLR: au Brésil, tradition musicale et de danse combinant des éléments africains, indigènes et européens], les sambas [NDLR: genre musical parmi les plus populaires au Brésil], les frevo [NDLR: genre musical et danse associés au carnaval brésilien], avec toute cette culture qui nous nourrit, pas juste le Brésil, mais le monde !

J’estime qu’avec tous ces mouvements contemporains de retour de la diaspora, on a la volonté de la terre, ici en Afrique de l’Ouest, de revoir les enfants perdus. Avec le process de la modernité, on perd quelques connaissances, mais au-delà, on maintient encore ces connaissances. Ce type de rencontres va nous permettre de réunir ces connaissances perdues et les refaçonner, les faire revivre d’une nouvelle façon parce qu’on devient de nouvelles personnes.

La «Porte du retour» symbolise-t-elle pour vous une thérapie des blessures historiques précitées?

La «Porte du non-retour», c’était la blessure. La «Porte du retour», c’est l’opportunité de guérir et de regarder aussi nos erreurs comme Africains !

Je parle de mon côté africain. Je me suis toujours demandée comment des Royaumes comme celui de Dahomey, le Royaume Yoruba, Ashanti pouvaient tomber. Je crois que ce n’est pas juste une question des Européens et de l’invasion. Je crois qu’il y avait aussi la corruption de quelques Rois et Reines africains avec cette boulimie énorme de pouvoir qui fait sacrifier quelques frères et sœurs.

Dorénavant, on a l’opportunité de faire différemment les choses, de faire nos échanges d’une autre façon plus riche, et via une nouvelle construction humaine. Je pense que le pouvoir et l’argent avaient une certaine prise à l’époque. Mais ce n’est pas cela qui va nous faire survivre dans un monde en changement. C’est le développement d’une nouvelle humanité.

Je pense que l’Afrique, c’est le continent du futur, dans le sens que c’est le regroupage des frères et sœurs de la diaspora qui viennent, qui retournent à la terre pour reconstruire cette humanité, ce Royaume de l’Afrique de l’Ouest.

Vous explorez les danses et les chants des Orixás (Vodoun en Yoruba). Ces arts puisent leurs sources dans les traditions afro-religieuses. Comment utilisez-vous les éléments ancestraux pour raconter les histoires contemporaines et engager le public dans une réflexion sur l’identité et l’héritage africains ?

L’héritage d’ancestralité, c’est dans notre corps, c’est dans notre sang, c’est dans notre inconscient. On peut oublier, avec notre logique, les histoires, mais notre corps n’oublie rien. Imaginez que notre cellule, notre ADN porte des histoires depuis très longtemps. Si on revient à l’écoute de ce corps, si on revient à l’écoute de cet intérieur, on peut écouter l’ancestralité.

La tradition et l’ancestralité sont deux choses différentes. La tradition est relative à la culture, mais l’ancestralité, c’est dans le sang ! Donc, notre ancestralité, c’est dans notre corps. On est nos ancêtres, mais on sera aussi des ancêtres. Pour que cette ancestralité continue, il faut qu’on la fasse pousser. C’est comme un arbre.

On a la racine, mais pas les fruits. Peut-être que nous sommes les fruits, les branches. Mais, on n’a jamais perdu le contact avec la racine. Tout mon projet artistique est basé justement sur cette recherche de cette mémoire ancestrale dans notre corps pour gommer les fausses histoires racontées, les mensonges, parce que le corps ne ment jamais ! C’est pour ça que je respecte beaucoup le rythme des Orishas. C’est quand j’ai écouté le rythme des Orishas que je me suis rappelé qui je suis. Même mes familles qui s’étaient basées sur un système colonial ont oublié leur origine africaine, mais mon corps n’a pas oublié mon origine, il a répondu. A partir du moment où mon corps a répondu, je me suis demandé pourquoi ! C’est de là que jaillit la logique pour éclairer cette question.

Vous avez beaucoup voyagé en Asie pour vos quêtes spirituelles. Comment ces voyages ont-ils participé à vous reconnecter à votre corps et à la terre ?

Je ne suis pas religieuse, je suis spiritualiste. Je crois en la vie, et la vie m’a poussée, parce que je n’avais jamais peur de la vie, de voyager pour me chercher. A partir du moment où mon corps est entré en transe, je me dis: pourquoi ? Donc je suis passée pour le yoga en Inde, je suis passée en Thaïlande au temple bouddhiste, j’étais au Japon au temple shintoïste.

Toutes ces traditions ont une grosse connexion avec la Nature. Comme ici, comme au Brésil avec des religions de matrices africaines. Au Brésil, les religions de matrices africaines font la manutention de ces savoirs, des connexions avec la Nature. Je suis donc partie en Asie pour apprendre des choses pour revenir à la terre.

Comment ces voyages-là ont pu façonner votre vision de l’africanité, et surtout de l’afro-futurisme ?

L’afro-futurisme, c’est un mouvement philosophique et esthétique basé sur ce développement du futur, mais sans perdre la connexion avec l’ancestralité. L’Afrique est la source, le berceau de l’Humanité, c’est presque un cliché, mais c’est la vérité. Les savoirs d’ici, ils ont beaucoup voyagé avec la diaspora. Ils ont aussi voyagé en Asie par exemple. L’étude de la nature humaine – et la nature humaine n’est pas dissociée de la Nature de cette planète -, on va rencontrer cette étude partout dans le monde, dans des langues différentes, mais c’est la même chose.

J’ai pratiqué beaucoup de méditation en Asie et j’ai une grande connexion avec ce monde intérieur. Et quand on va dans le monde intérieur, on se pose des questions: «D’où je viens»? Quand je me demande d’où je viens, naturellement je demande ce qu’est ma racine, ce que sont mes ancêtres.

Ma mélanine est diluée, mais elle est là. Mon africanité, elle est dans mon corps, dans mes gênes, c’est dans mon arrière-arrière-grand-mère, arrière-arrière-grand-père, qui répondent dans le tambour, qui répondent dans la musique, qui répondent aux transes, qui répondent dans la spiritualité d’ici. C’est la connaissance qui m’a fait revenir à la source, pour prendre la force, pour ne pas mourir. 

Vous avez participé au FInAB (Festival International des Arts du Bénin). Selon vous, comment l’art pourrait contribuer à renforcer la fierté des Africains et créer un pont entre les cultures ?

L’Art, c’est une forme de connexion avec la vérité des choses. Et je crois qu’avoir un espace pour cultiver cette connexion et où on peut parler, dialoguer et penser ensemble cette nouvelle identité, sans oublier nos traditions, c’est magnifique, parce que ce sont justement les pensées qui nous font comprendre les choses.

Tu ne peux comprendre que ce que tu sens. Le FInAB, c’est donc un lien, un lien d’accueil de cette réflexion, de cette modernité, parce que c’est un mouvement avant-gardiste ! C’est un festival neuf, mais qui vient avec beaucoup de puissance et beaucoup d’innovations, comme discuter autour de thèmes intéressants. C’est un lieu où on peut développer les pensées, écouter la bonne musique, danser ensemble, partager, discuter.

Un mot pour conclure cet entretien…

Merci à l’Afrique de m’accueillir, de n’avoir jamais oublié ses enfants ! Quel que soit l’endroit où ils sont, elle sait comment bien les traiter. C’est le sang qui appelle, et quand le sang appelle, on ne refuse pas. Je remercie cette terre du Bénin de ne pas me laisser me perdre dans ce monde de fous (sourire).

Interview réalisée par Emmanuel M. LOCONON