Sahel: Insécurité sur plusieurs axes routiers, entre anomie étatique et djihadisme

Afriquinfos Editeur
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Vue aérienne de la Route nationale 15 (RN15), l'une des plus dangereuses du Mali, qui va de la ville de Sévaré, dans le centre du pays, au Burkina Faso, le 5 novembre 2021.

Au Sahel miné par les violences jihadistes, il y a des routes qu’on évite et d’autres qu’on traverse la peur au ventre, comme la Nationale 15 au centre du Mali. Elle quitte Sévaré, serpente à travers Bandiagara, Koro et Bankass, dans le Pays dogon, pour enfin rejoindre la Nationale 2, de l’autre côté de la frontière au Burkina Faso.

Carte de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale montrant les cas de violence politique attribués aux groupes de l’État islamique et au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaïda, selon les données de l’ONG Acled sur un an, jusqu’au 6 juin 2025.

Surnommée la « route du poisson », pour son rôle dans l’acheminement du poisson au Burkina, elle a vu des véhicules civils et militaires frappés par des mines artisanales, des embuscades contre l’Armée et des civils enlevés. En mars 2025, Moussa (prénom modifié pour raison de sécurité), qui ramenait le corps de sa mère décédée au village à bord de son véhicule, a été témoin d’une scène effrayante sur ce tronçon de tous les dangers: des jihadistes en train d’enlever des passagers d’un bus.

« Ils nous ont arrêtés, mais au vu du corps de ma mère, ils nous ont dit de continuer », affirme-t-il, précisant avoir vu les assaillants sur des motos avec des armes de guerre, les têtes enturbannées.

– Survie –

Au Sahel, les populations jouent leur vie à chaque fois qu’elles empruntent certaines routes de la région, « épicentre du terrorisme » mondial selon le dernier Index mondial du terrorisme, minée par les violences de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda ou à l’État islamique. « Environ 70% des événements violents et 65% des décès » en Afrique de l’Ouest et du Nord « se produisent à moins d’un kilomètre d’une route », indique une récente étude de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique).

« Les conséquences sont les plus graves dans le Sahel central (Mali, Niger, Burkina), le bassin du lac Tchad et l’ouest du Cameroun », selon la même source. Pour un des coauteurs de l’étude, Olivier Walther, professeur associé à l’Université de Floride (États-Unis), « la dangerosité des routes est directement liée à l’expansion des insurrections jihadistes ».

« Les axes de transport sont devenus une cible privilégiée des attaques contre les forces gouvernementales, notamment les convois militaires, et un moyen de pression sur les communautés rurales », notamment via les blocus contre les villes, explique-t-il à l’AFP. Dans le Sahel central, la Nationale 16 au Mali, qui relie Mopti (centre) à Gao (nord), « est de loin » l’axe de transport le plus dangereux, « totalisant 433 incidents » depuis 2012, précise M. Walther.

– « L’axe de la mort » –

Au sud de la frontière malienne, « toutes les routes menant à Djibo », au Burkina Faso, sont périlleuses « en raison des blocus imposés à la ville » par le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), affilié à Al-Qaïda, dit M. Walther. La Nationale 22, la route Bourzanga-Djibo-Ouagadougou, est surnommée « l’axe de la mort », en raison des attaques jihadistes régulièrement meurtrières.

En septembre 2022, des jihadistes avaient incendié plus de 200 camions de ravitaillement sur le tronçon, tuant 11 soldats et supplétifs de l’Armée, et de nombreux civils avaient disparu. Lors d’un voyage sur cet axe routier en décembre 2022, Abdoul Fhatave Tiemtoré, rédacteur en chef de la radio burkinabè ‘Oméga FM’, a décrit dans un article des sentiments de « tristesse, d’anxiété, de peur et de stress », expliquant avoir « vu des choses vraiment atroces ».

Vue aérienne de la Route nationale 15 (RN15), l’une des plus dangereuses du Mali, qui va de la ville de Sévaré, dans le centre du pays, au Burkina Faso, le 5 novembre 2021.

« On a vu des corps encore frais, en putréfaction, des véhicules abandonnés, des cratères de mines sur la voie », a-t-il écrit.

– « Interdit de circuler » –

Au Niger, les deux corridors à hauts risques sont dans le sud-ouest et mènent tous au Burkina. Depuis 2022, il est très difficile de relier Niamey et Ouagadougou par la route, en raison des risques d’attaques jihadistes le long des 600 km de frontière entre les deux pays. En mai 2025, l’Association nationale des exploitants de bois du Niger déclarait à l’AFP la mort de 24 de ses chauffeurs et apprentis depuis 2015, ainsi que 52 camions brûlés sur des routes dans le sud-ouest.

« Nous sommes fatigués de compter nos morts », s’alarmait en mai 2025 un autre syndicat nigérien de conducteurs routiers, dont plusieurs membres, chauffeurs et apprentis, ont été tués dans des attaques.

« Les terroristes nous ont interdit de circuler dans les foires locales, ils ont même séquestré certains chauffeurs en brousse pendant des jours », raconte Zakaria Seyni, un chauffeur nigérien basé dans la « zone des trois frontières », zone d’influence de l’État islamique au Sahel située aux confins du Niger, du Burkina Faso et du Mali.

Selon l’OCDE, les mesures de sécurité au Sahel doivent aller de pair avec le développement des infrastructures de transport, la coopération transfrontalière et l’intégration économique pour favoriser la stabilité. La rareté des routes et leur mauvais état ont contraint les Armées sahéliennes à circuler en convois, laissant des zones rurales aux jihadistes, affirme M. Walther. Le chercheur propose une stratégie alternative pour sécuriser les axes de transport: repenser la mobilité des Armées sahéliennes avec des « véhicules aussi légers et versatiles que ceux des jihadistes », comme les motos.

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