Double attaque contre Bamako: Des interrogations subsistent côté JNIM et Armée

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Des armes qui auraient été saisies par l'Armée malienne mardi 17 septembre à Bamako, où des jihadistes ont revendiqué une attaque d'ampleur. Photo tirée d'une capture vidéo de la télévision d'Etat ORTM.

Un calme apparent règne depuis ce mercredi 18 septembre 2024 à Bamako où les habitants sont partagés entre inquiétude et résilience, au lendemain d’attaques jihadistes inédites depuis longtemps et sur lesquelles persistent de nombreuses interrogations.

Rokia Sanogo est venue comme à l’habitude vendre des bananes dans la rue au carrefour de la Tour d’Afrique proche de l’Ecole de gendarmerie, l’une des cibles des jihadistes mardi 17 septembre avec l’aéroport militaire, pas très éloigné. « On n’a juste pas le choix, nous sommes obligés de sortir chercher le repas du jour », explique-t-elle. Mais « nous sommes vraiment inquiets, on n’a pas l’esprit tranquille », dit-elle.

Le chef d’état-major de l’Armée malienne, le général Oumar Diarra (au centre) mardi à Bamako, où des jihadistes ont revendiqué une attaque d’ampleur le 17 septembre 2024, photo tirée d’une capture vidéo de la télévision d’Etat ORTM.

Bamako a été le théâtre mardi d’une opération revendiquée par des jihadistes affiliés à Al-Qaïda (JNIM) et inédite depuis des années dans la capitale, alors que d’autres régions sont en butte à des attaques quasi quotidiennes. L’attaque a été repoussée, les assaillants « neutralisés » et la situation « rapidement maîtrisée », a assuré l’état-major mardi soir. « Nous sommes fiers du travail accompli par les forces de l’ordre », dit dans le même quartier Bourama Sidibé, chauffeur de moto-taxi.

-Suspicions-

Soumaïla Tembely, restaurateur, se demande lui s’il n’y a pas eu « une part de négligence » du côté des autorités, tandis que Seydou Keïta, chauffeur, soupçonne comme d’autres que le marché aux bestiaux local ait servi à dissimuler l’infiltration des jihadistes à Bamako. Un camp de déplacés suscite également la suspicion. Comment les jihadistes sont parvenus à frapper aussi fort, de quels soutiens pourraient-ils avoir bénéficié ou combien ont-ils fait de morts figurent parmi les questions en suspens après ces actes de guerre savamment préparés. Et qui ont vu les jihadistes porter un rude coup à l’argumentaire de la junte au pouvoir, selon des analystes.

L’état-major a reconnu mardi soir « quelques pertes en vies humaines », notamment des élèves gendarmes. D’autres sources font état de morts beaucoup plus nombreuses. Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) qui a revendiqué l’opération a diffusé des vidéos de ses combattants dans le pavillon présidentiel de l’aéroport, et incendiant un appareil de la flotte officielle. Les autorités n’ont pas infirmé ou confirmé que l’avion du chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, a été touché. Le GSIM (JNIM suivant son acronyme arabe) a rapporté via ses canaux de communication que quelques dizaines de ses hommes avaient fait pendant neuf heures des centaines de morts et de blessés dans le camp adverse, dont des membres du groupe russe Wagner, allié du régime militaire de Bamako.

Selon le groupe jihadiste, ses combattants ont détruit complètement six aéronefs militaires, dont un drone, en ont endommagé quatre autres, et ont mis hors d’état de nombreux véhicules, avant d’être tués. Les affirmations de part et d’autre restent difficilement vérifiables, dans un contexte de regain de tension et d’accès à l’information sévèrement restreint sous le régime militaire. La junte s’est contentée de communiqués pauvres en détails sur les attaques et les suites qu’elle leur donnait.

– « Représailles » –

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, avec laquelle le Mali a rompu en janvier 2024 en même temps que ses voisins burkinabè et nigérien, a exprimé dans un communiqué sa « ferme condamnation » des attaques. Les Etats-Unis ont exprimé « leur profonde tristesse », via leur ambassade. Le Mali, le Burkina et le Niger, confrontés à des problématiques communes et dirigés par des militaires à la suite de putschs successifs depuis 2020, accusent la Cedeao de ne pas les avoir soutenus face au jihadisme et d’être inféodée à l’ancienne puissance coloniale française.

Les attaques de mardi ont eu lieu le lendemain du premier anniversaire de l’AES (Alliance des Etats du Sahel) qu’ils ont fondée. Dimanche 15 septembre dernier, le chef de la junte malienne assurait que cette alliance avait affaibli « considérablement les groupes armés terroristes ». Avec les attaques de mardi, le JNIM entend faire au contraire la démonstration qu’il frappe où il veut, disent les analystes.

Les dégâts infligés mettent à mal les assurances du régime qui affirme avoir, après des années de descente aux enfers, inversé la tendance grâce de multiples actes de rupture et la préférence accordée à de nouveaux partenaires, dont la Russie. Le JNIM essaie aussi de se distancer des accusations d’exactions contre les civils dont il fait l’objet, et de se poser à l’inverse en protecteur de la population, en soulignant celles imputées aux soldats maliens et aux hommes de Wagner, ajoutent les analystes.

Il affirme ainsi avoir mené les attaques de mardi « en représailles aux centaines de massacres commis par la junte au pouvoir et ses alliés russes contre notre peuple musulman ».

© Afriquinfos & Agence France-Presse