MOGADISCIO (© 2019 AFP) – Chaque fois que la styliste somalienne Hawa Adan Hassan met la dernière main à une nouvelle robe commandée par une cliente, elle réalise un peu plus son rêve d’adolescente.
« Toute ma vie, la mode a été un rêve », explique la jeune femme de 23 ans installée à Hamarweyne, le cœur historique de la capitale somalienne, Mogadiscio. Dans un pays plongé depuis près de trois décennies dans la guerre civile puis une insurrection islamiste radicale armée, la manière de s’habiller figure très loin au rang des préoccupations de la grande majorité de la population, qui se bat pour survivre. Mais depuis que les islamistes shebab ont été chassés de Mogadiscio en 2011 et en dépit de leurs fréquents attentats, la capitale renoue progressivement avec une activité qui faisait sa réputation dans la région avant le début de la descente aux enfers en 1991. La population a ainsi reconquis ses plages et les cafés font le plein le jeudi soir d’une jeunesse parfaitement connectée au reste du monde grâce aux téléphones portables et à un solide réseau internet.
Quand il s’agit de s’habiller toutefois, le choix est plutôt sommaire: d’un côté, de coûteux vêtements importés pour les nantis, de l’autre, des vêtements confectionnés localement. Un équilibre que Hawa et d’autres jeunes stylistes somaliens souhaiteraient bousculer, en proposant une mode « made in Somalia ». Pour Hawa, tout a commencé en classe de dessin à l’école où son inspiration la portait moins vers les paysages et les animaux de ses camarades que vers des esquisses de vêtements. Puis elle s’est mise à apprendre la couture, afin de transformer ses dessins en objets réels. « J’ai réalisé que ça pouvait devenir mon domaine de compétence », résume cette jeune fille mince, souriante et spontanée, qui aime regarder des séries à l’eau de rose sur des chaînes arabes ou turques.
– Génération autodidacte –
Pour les pionniers de cette industrie naissante, pas d’autre choix que de se former tout seul: « Je regardais les programmes de mode à la télé, et à chaque fois que j’en voyais, j’essayais de saisir les idées (des couturiers) en dessinant ce que j’avais vu », se remémore Hawa. Son programme favori s’appelait « Project Runway », une émission américaine de téléréalité présentée par la mannequin allemande Heidi Klum. Dans son studio à la maison, Hawa dessine de nouveaux modèles d’abaya, une longue robe islamique, et de hijab, voile islamique, qu’elle revisite en multipliant les coupes plus ou moins ajustées et les coloris. Son père, tailleur de profession, et sa sœur aînée l’aident à découper et à coudre ses créations, et son frère aîné a investi dans le projet en l’aidant à acheter des machines à coudre. Hawa explique fièrement qu’elle « gagne à présent sa vie avec cette activité » et balaie d’un revers de main les attentats et fusillades réguliers dans sa ville pour, tout au plus, les décrire comme « une gêne » susceptible de retarder ses livraisons. Abdishakur Abdirahman Adam est lui aussi à la poursuite de ses rêves, mais le jeune homme de 19 ans doit faire face au poids des traditions.
« En Somalie, c’est très difficile pour un garçon de devenir un créateur de mode parce que les gens considèrent que c’est un travail de femme », explique le filiforme styliste, venu à la mode en regardant des défilés à la télévision. Qu’importe, Abdishakur est déterminé à poursuivre et à créer des vêtements pour les hommes et pour les femmes.
– Coupe morale ou ajustée? –
Muna Mohamed Abdulahi est une autre créatrice de mode somalienne qui s’est fixé pour mission de faire aimer aux Somaliens les produits somaliens. « Il y a des gens qui viennent dans mon magasin et quand il réalisent que les vêtements ont été créés et produits sur place, ils repartent parce qu’il ont une image négative des habits fabriqués localement », déplore la jeune femme de 24 ans. A l’instar de sa collègue Hawa, Muna s’est formée toute seule – « je suis mon propre modèle » – et elle insiste sur ce qui la différencie d’un simple tailleur. « Un créateur de mode invente des vêtements qui ont une histoire tandis qu’un tailleur les fabrique sans réfléchir, ils ne font que reproduire » ce qui existe déjà, assène-t-elle.
La plupart des clientes d’Hawa et Muna – elles ne créent que des vêtements pour femmes – sont jeunes, comme elles, et plutôt aisées. « J’aime bien les vêtements dessinés par des Somaliennes parce qu’ils vous vont bien et vous rendent séduisante », explique Farhiyo Hassan Abdi, une étudiante de 22 ans. « Les habits importés sont le plus souvent sans formes et ils ne vous vont pas ». « Du coup, je n’achète plus de vêtements importés », ajoute l’étudiante. Les prix des habits de Hawa ou Muna sont souvent plus avantageux et les retouches faciles à demander, détaille la jeune fille. Mais tout le monde ne partage pas forcément l’enthousiasme de la jeune génération pour cette industrie naissante. Dahir Yusuf, père de famille de 49 ans, désespère de voir sa fille adolescente à ce point obnubilée par la mode locale. « Ces jeunes filles sont complètement folles de ces vêtements de mode, qui pour la plupart sont ajustés et révèlent les lignes de leur corps », déplore le père de famille. « Moralement, ce n’est pas bon de porter ce genre de choses ».