Paris (© 2024 Afriquinfos)- Ce dimanche 28 juillet 2024, six des dizaines de tirailleurs africains, exécutés sur ordre d’officiers de l’Armée française en 1944 à Thiaroye (au Sénégal), ont été reconnus «morts pour la France» à titre posthume, une décision mémorielle inédite dans ce dossier douloureux entre la France et ses anciennes colonies. Cependant, beaucoup reste à faire pour comprendre les circonstances de ce drame.
«Ce geste s’inscrit dans le cadre des commémorations des 80 ans de la libération de la France comme dans la perspective du 80e anniversaire des évènements de Thiaroye, dans la droite ligne mémorielle du Président de la République (Emmanuel Macron) qui souhaite que nous regardions notre histoire “en face”», a indiqué dimanche 28 juillet le Secrétariat d’État français chargé des Anciens Combattants et de la Mémoire. Cette mention de «morts pour la France» a été attribuée par une décision datée du 18 juin 2024 à ces six tirailleurs par l’Office national français des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG).
Elle concerne «quatre tirailleurs originaires du Sénégal, un de Côte d’Ivoire et un de Haute-Volta» (devenu le Burkina Faso). Cette première décision «pourra être complétée dès lors que l’identité exacte d’autres victimes aura pu être établie», a précisé le Secrétariat d’Etat.
Une décision «vraiment salutaire», estime l’historien sénégalais Samba Diop qui travaille sur le massacre de Thiaroye depuis 30 ans, «d’abord pour la mémoire de ces six tirailleurs identifiés», mais aussi «pour les familles de ces six tirailleurs reconnus». Cela va permettre à ces familles, ajoute-t-il, «de pouvoir finalement faire leur deuil après 79 ans». Et d’espérer que l’on pourra identifier leurs tombes, «mettre quelque chose sur leurs épitaphes encore vierges».
‘’C’est une décision salutaire pour toute la communauté ouest-africaine, et je dirais même africaine. Parce c’est un combat qui avait été lancé depuis très longtemps, et je crois que c’est le pas le plus important à ma connaissance. C’est un acquis dans l’étude de l’histoire de 40-44. Nous nous sommes posé suffisamment de questions par rapport au nombre de tués, par rapport à leurs lieux d’enterrement’’.
Le nombre exact de tirailleurs tués par des officiers français le 1er décembre 1944 au camp militaire de Thiaroye fait encore débat parmi les historiens. Une fois identifiées, d’autres victimes pourraient à leur tour être reconnues «mortes pour la France».
Au matin du 1er décembre 1944, au camp militaire de Thiaroye (ville située non loin de la capitale sénégalaise Dakar), des troupes coloniales et des gendarmes français avaient tiré, sur ordre d’officiers de l’Armée française, sur des tirailleurs rapatriés!
Selon le bilan dressé par les autorités françaises de l’époque, au moins 35 tirailleurs avaient trouvé la mort, sur place ou des suites de leurs blessures. Un chiffre qui reste encore sujet à de vives controverses, des historiens l’estimant beaucoup plus élevé! Le lieu d’inhumation des soldats tués, dans des tombes individuelles ou des fosses communes, à Thiaroye ou ailleurs, fait également débat. Le traumatisme et le souvenir de ce massacre sont toujours vifs au Sénégal et sur le continent africain.
Une nouvelle étape
Rompant avec une pratique du déni, l’ancien Président français François Hollande avait rendu officiellement hommage, lors de son mandat, à ces tirailleurs massacrés par l’Armée coloniale à Thiaroye. «Après la déclaration du Président François Hollande il y a dix ans, c’est une nouvelle étape. C’était essentiel, il est désormais temps de regarder cette histoire, notre histoire, comme elle fut», a davantage ajouté dimanche 28 juillet le Secrétariat d’Etat français.
Le corps français des «Tirailleurs sénégalais» – créé sous le Second Empire (1852-1870) et dissout dans les années 1960 – rassemblait des militaires des anciennes colonies françaises d’Afrique, notamment des Sénégalais, des Soudanais (actuels Maliens), des Voltaïques (aujourd’hui Burkinabè), des Ivoiriens. Le terme de «tirailleur sénégalais» a fini par désigner l’ensemble des soldats d’Afrique qui se battaient sous le drapeau français. Ils ont participé aux deux Guerres mondiales et aux guerres de décolonisation.
«Etape vers l’apaisement»
Cette décision du Secrétariat d’Etat est «un choix cohérent qui permet de regarder l’histoire en face d’une page très douloureuse de l’histoire franco sénégalaise», a réagi la présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais, Aïssata Seck.
«Ces soldats viennent d’avoir la reconnaissance qui leur était due», a-t-elle poursuivi, ajoutant: «Cette reconnaissance française est une grande étape vers l’apaisement d’une mémoire qui ne peut qu’être partagée entre nos deux pays». Aïssata Seck juge également «important de travailler à ce qu’on l’on permette les fouilles archéologiques des fosses communes qui permettront d’avoir le chiffre réel du nombre de victimes».
V. A.