Tout le monde vous le dira. Le Cap, iKata en xhosa, a quatre saisons bien marquées. Des printemps fleuris, des étés chauds, mais agréables, les automnes pluvieux et mornes. Les hivers, les températures oscillent, comme en ce moment, entre 7 et 20° C et les vents sont à ce point violents qu’ils peuvent déterminer la posture des arbres bordant Victoria & Albert Waterfront, la splendide corniche ouvrant l’accès sur les mers australes.
Capricieuse, la capitale parlementaire sud-africaine décline, bien souvent, ses quatre saisons au rythme d’une plage horaire. En embarquant ce matin à bord du Sikhululekile, le ferry qui fait route vers Robben Island, gros pulls, blousons fourrés et autres écharpes étaient de rigueur. A mi-parcours des 12 kilomètres séparant l’île prison de la terre ferme, le ciel était à ce point orageux que d’énormes nuages noirs formaient un voile épais autour de la Montagne de la Table dont les deux crêtes, la Tête du Lion et le Pic du Diable, surplombent Le Cap. Lorsque nous accostons Robben Island, au terme d’une quarantaine de minutes de traversée, le soleil nous attendait, comme par miracle.
Le « pèlerinage » à Robben Island, où Nelson Mandela a passé 18 de ses 27 années dans les geôles du régime d’apartheid est devenu, avec la remontée en téléphérique de la Montagne de la Table, l’attraction principale des touristes. Loin devant les safaris au Parc national Krüger. Il suffit pour cela de réserver à l’avance et de débourser 230 rands (14 400 F CFA), une misère certes, mais hors de portée de beaucoup de jeunes Sud-Africains noirs.
Robben Island, une bande de terre de 518 km2 classée Patrimoine de l’Humanité, en décembre 1999, par l’Unesco canalise les angoisses mais aussi les espoirs d’un pays qui n’a pas fini d’exorciser ses vieux démons. En dépit du démantèlement des aspects les plus mesquins de l’apartheid, en dépit de Mandela, adulée par une nation qui se retient d’assumer son rêve arc-en-ciel, en dépit de la Coupe du Monde de football et du fait d’être la première puissance économique et financière d’un continent à la peine…
Robben Island fut, selon les époques, une terre de bannissement pour ceux qui étaient considérés comme des « déviants » par des idéologues eugénistes : esclaves noirs et indiens, criminels de tous acabits, opposants à l’expansion coloniale hollandaise en… Asie orientale, lépreux, malades mentaux, prisonniers de guerre. Et, bien entendu, les opposants politiques des régimes d’apartheid en Afrique du Sud et en Namibie, dont Nelson Mandela et Robert Sobukwe, le leader du Congrès panafricain d’Afrique du Sud.
Confiée à un ancien détenu, la visite guidée de l’île est une expérience bouleversante, même si elle tait volontairement quelques aspects des épreuves imposées aux embastillés de Robben Island. Ainsi, on ne vous dira pas que, tels des forçats, Mandela et ses compagnons passaient leurs journées à casser de la pierre, alors que des criminels de haute volée, des assassins et des violeurs, se la coulaient douce. Fragilisés par un climat pour le moins erratique et par la poussière environnante, les militants nationalistes s’invitaient parfois dans un réduit pour échapper à l’œil de la caméra de surveillance, pour discuter, partager leurs rêves d’une Afrique du Sud démocratique et multiraciale. Aussi – le fait est moins connu – pour enseigner des rudiments de mathématiques, d’histoire et de droit à ceux d’entre eux qui ne savaient ni lire ni écrire.
La section B de la Prison de haute sécurité de triste mémoire, qui servait de cellule à Mandela et certains de ses compagnons d’infortune, est désormais un musée. Tout comme la petite maison, repeinte, où Robert Sobukwe fut assigné à résidence. A l’image du vieux phare datant du XIXe siècle, des fortifications de la seconde guerre mondiale, des deux églises, dont l’une naguère réservée à la garnison, la maison du représentant du gouvernement. A Robben Island, on trouve aussi des pies de mer, des perdrix, des daims, quelques springboks, des autruches, des pingouins, qui doivent certainement regretter d’avoir été oubliés là par les célèbres détenus des années de braise…