Le métier d’écrivain change de définition

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Le metier d’ecrivain change de definition
Le métier d’écrivain change de définition.

À une époque où la communication semble dominer tous les aspects de la vie culturelle, la question se pose de savoir si les écrivains, tout comme d’autres artistes, sont encore jugés sur la base de leur véritable talent littéraire. Aujourd’hui, un écrivain qui sait se mettre en avant, ou qui bénéficie d’une promotion efficace, est souvent perçu comme un bon écrivain, indépendamment de la qualité réelle de ses écrits. Cette situation, alimentée par le marché du livre et les médias, semble transformer radicalement la définition même de l’écrivain, faisant évoluer son rôle de créateur de mondes imaginaires à celui de figure publique et de marque personnelle.

La place de la communication dans la réputation littéraire

Il est indéniable que l’art de communiquer est devenu crucial pour les écrivains contemporains. Les réseaux sociaux, les médias et les stratégies de marketing ont pris une place si importante qu’ils influencent directement la perception du public. Un auteur comme Samy Tchak, écrivain togolais reconnu, pourrait voir son talent littéraire éclipsé s’il ne maîtrise pas cet art de la communication moderne. En revanche, un écrivain capable de susciter l’intérêt médiatique par ses prises de position ou par la promotion active de ses œuvres pourrait facilement obtenir une visibilité et un statut d’auteur à succès, même si ses œuvres ne sont pas lues de manière critique par une large audience.

Ce phénomène n’est pas propre aux écrivains africains. Des auteurs tels que Marc Levy ou Guillaume Musso en France, atteignant systématiquement près du million de ventes, sont davantage reconnus pour leur succès commercial que pour l’innovation littéraire. Leur réputation est fondée sur leur capacité à captiver un large public, à créer des œuvres qui résonnent avec les attentes du marché, et à maintenir une présence constante dans les médias et les librairies. L’imaginaire populaire reconnaît également des figures comme Anzata Ouattara en Côte d’Ivoire moins pour ses talents d’écrivaine, que pour son habileté à transformer ses récits populaires en best-sellers.

Ecrivains et talents véritables : une évaluation complexe

Il est cependant essentiel de nuancer cette réflexion. Les écrivains qui parviennent à captiver l’attention médiatique et à obtenir des ventes importantes ne sont pas nécessairement dénués de talent. La critique littéraire traditionnelle pourrait considérer leurs œuvres comme moins innovantes ou moins profondes que celles de leurs homologues moins médiatisés, mais il serait réducteur de les disqualifier sur cette seule base. Par exemple, Kangni Alem, un autre écrivain togolais, est apprécié pour son talent à tisser des récits qui interrogent les réalités sociales et politiques. Son travail, bien que moins commercial, trouve sa valeur dans l’originalité de sa langue et la profondeur de ses thèmes.

D’autre part, l’idée que « les chiffres de librairie décident » n’est pas sans poser de problèmes. Cela suggère que la valeur d’un livre se mesure principalement à ses ventes, ce qui pourrait éclipser des œuvres littéraires qui n’atteignent pas de tels succès commerciaux mais qui sont tout aussi, sinon plus, significatives sur le plan artistique.

La nouvelle définition de l’écrivain

La définition du métier d’écrivain a sans doute évolué. Autrefois, l’écrivain était celui qui proposait une « langue dans la langue », qui se distinguait par un style unique ou une capacité à façonner un univers littéraire. Aujourd’hui, il semble que l’écrivain soit aussi celui qui sait se vendre, qui sait maintenir une présence médiatique, et qui sait mobiliser un public large et diversifié. La qualité du texte, l’innovation linguistique et la profondeur thématique passent parfois au second plan derrière la capacité de l’auteur à se transformer en marque et à gérer son image de débatteur sur les plateaux télé, loin des thèmes réels de sa création.

En conséquence, être un « bon » écrivain aujourd’hui ne se limite plus à la création littéraire pure. Il implique aussi de naviguer dans un monde saturé de médias, où les réseaux sociaux, les campagnes de promotion et les apparitions publiques jouent un rôle essentiel. Les écrivains doivent, en quelque sorte, devenir des gestionnaires de leur propre célébrité.

ALEX KIPRE, Ecrivain, éditeur, journaliste