Le masque Zaouli, patrimoine mondial de l’Unesco, au centre des polémiques en Côte d’Ivoire

Les nouveaux pas de danse du masque Zaouli créent la polémique chez la communauté Gouro en Côte d'Ivoire. Dans ce reportage exclusif, Afriquinfos.com s'est rendu à Zrabisséifla, village d'où a été inventée cette danse emblématique pour recueillir les propos de la population.

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Le masque Zaouli esquissant des pas de dans à Gohitafla

ABIDJAN (©️ 2025 Afriquinfos) – Le masque Zaouli inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2017 est à l’épreuve de la modernité. Doit-il rester figé dans sa forme traditionnelle, ou peut-il évoluer avec le temps?  La question divise la communauté Gouro, peuple initiateur du Zaouli. Afriquinfos.com s’est rendu à Zrabisséifla, village où est né le Zaouli, à plus de 350 kilomètres d’Abidjan dans la région de la Marahoué, pour entendre la population.

Des tamtams, (tambour de bois) servant à l'accompagnement de la danse Zaouli à Zrabisséifla.
Des tamtams, (tambour de bois) servant à l’accompagnement de la danse Zaouli à Zrabisséifla.

Un phénomène nouveau anime les pistes de danse désormais lors des apparitions du masque Zaouli en pays Gouro. Les porteurs de ce masque jadis ancrés dans une gestuelle codifiée, puisée dans la pure tradition spirituelle et culturelle du peuple Gouro, esquissent désormais des pas inspirés du coupé-décalé, du zouglou ou même du biamâ, des styles de danses urbaines abidjanais. Ce virage stylistique, qui pourrait sembler anodin pour certains, suscite une vive polémique parmi les gardiens de la culture Gouro. Plusieurs personnalités de la communauté dénoncent ce qu’elles considèrent comme une « dénaturalisation » du masque Zaouli, symbole sacré de cohésion sociale, de fertilité et de mémoire ancestrale.

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« Le masque Zaouli, qu’on le veuille ou pas est devenu une identité culturelle des Gouro. Ce qu’on remarque ces derniers temps est que les danseurs esquissent des pas de « coup de marteau », « Ziguehi », « Gnakpa Gnakpa » pour ne citer que ceux là. Je suis un peu perdu sincèrement quand je vois tout ça lors des activités culturelles. Aidez-moi à comprendre l’avenir de Zaouli. » s’indigne Toh Bi Tra Betrand, un haut cadre de la région de la Marahoué avant de poursuivre qu’ « en fait, j’ai peur que d’ici 10 ans, notre Zaouli ne s’apparente à la danse « Bobraba » tellement qu’il y’a eu une denaturition profonde.»

 « Cette dénaturation prend de l’ampleur. L’origine découle du fait que le Zaouli de Manfla, (à l’époque porté par Nestor qui vit maintenant en France NDLR) à esquissé pour la première fois des pas de danses qu’on a appelé « glissement »  à une cérémonie. Les gens, ayant apparemment apprécié cette nouveauté, cela a poussé les autres groupes de danse à l’imiter. Malheureusement cette  « nouveauté » à complètement dénaturé la danse. Les danseurs ont oublié les fondamentaux des six pas essentiels qui font le Zaouli. », dénonce Youan Bi, Professeur des Lettres à l’Université Félix Houphouet Boigny de Cocody.  Il termine en disant qu’: « au carrefour du donner et du recevoir chacun vient avec ses  spécificités.  Qu’est-ce que le Gouro va offrir si notre identité culturelle, le Zaouli, devient un Zaouli accessible à tous, imité de manière grossière par les Chinois avec beaucoup de dedain ? Modernité oui mais pas partout. ».

Le groupe de danse Zaouli de Manfla
Le groupe de danse Zaouli de Manfla

Le Professeur Tououi Bi Irié Ernest, enseignant à l’Université de Cocody, s’est quant à lui offusqué de ces nouveaux pas du Zaouli. Il a lancé un appel aux danseurs et leurs staffs afin qu’ils reviennent aux fondamentaux qui ont fait du Zaouli, patrimoine mondial de l’UNESCO. « Auquel cas, les innovations en feront une danse vulgaire et banale», prévient-il.

Plus modéré, l’écrivain Oreb Voli Bi, fils de la Marahoué, lui pense plutôt que « c’est de l’interculturalité. Il faut faire ce brassage pour montrer qu’en plus de ta propre culture tu es capable de t’approprier une autre. Nous sommes également lancés dans l’ère de la modernité, de la globalisation », pense t-il.

Afriquinfos.com s’est rendu dans le village de Zrabisséifla, berceau de la danse Zaouli, au centre-ouest de la Côte d’Ivoire, à 381 km d’Abidjan. Ce village, lieu de naissance de la célèbre danse Zaouli, se veut conservateur et appelle à la préservation de l’authenticité de sa création. Malgré la renommée internationale du Zaouli, Zrabisséifla peine pourtant à bénéficier des retombées économiques et culturelles liées à cette création emblématique. Les habitants de ce village historique, qui se disent oubliés et marginalisés, lancent un appel pressant à l’État de Côte d’Ivoire. Ils souhaitent que la tombe du tout premier danseur et créateur du masque Zaouli soit réhabilitée et érigée en site touristique et mémoriel. Selon eux, cette reconnaissance sera non seulement un acte de justice culturelle, mais aussi un levier de développement local.

Une vue de la tombe du premier danseur et créateur de la danse Zaouli sans son village Zrabisséfla, à 2 km de Gohitafla
Une vue de la tombe du premier danseur et créateur de la danse Zaouli sans son village Zrabisséfla, à 2 km de Gohitafla

Créé dans les années 1950, le masque Zaouli s’est imposé comme l’un des patrimoines culturels les plus emblématiques de la Côte d’Ivoire. Cette réputation lui a valu d’être inscrit en 2017 sur la liste très convoitée du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, par l’UNESCO. 

La danse Zaouli, à la fois précise, rapide et presque surnaturelle, était jusque-là réputée pour sa sobriété rituelle et sa richesse symbolique. Mais aujourd’hui, les jeunes générations de danseurs, influencées par les tendances des réseaux sociaux et les musiques urbaines, y introduisent des mouvements contemporains qui divisent la communauté Gouro et met en mal l’originalité de ce masque. 

Il faut le dire clairement, même si le monde évolue, la culture, elle, ne doit pas se perdre. Il faut donc tracer des limites claires entre l’innovation artistique et identité culturelle.

DOH Bi Tah Augustin