Le Kenya « n’est pas un État voyou », a affirmé ce 22 mai 2025 son chef de la diplomatie à l’AFP, répondant aux accusations d’une avocate kényane après qu’il eut confirmé mercredi la « coopération » du pays d’Afrique de l’Est dans l’enlèvement d’un opposant ougandais sur son sol.
Kizza Besigye, l’un des principaux adversaires politiques du Président ougandais Yoweri Museveni, avait été enlevé en novembre 2024 lors d’un déplacement au Kenya. L’affaire avait scandalisé les organisations de défense des droits humains. Il était ensuite réapparu en Ouganda où il avait été traduit en justice. Mardi, 20 mai, le ministre kényan des Affaires étrangères Musalia Mudavadi avait reconnu lors d’une interview télévisée que son pays avait « coopéré » avec l’Ouganda dans cette affaire. S’attirant des critiques véhémentes de l’avocate de Kizza Besigye, Martha Karua, qui est candidate à la présidentielle de 2027 au Kenya.
« Le Kenya admet être un État voyou », s’était insurgée Mme Karua. « Que les agences de sécurité kényanes aident à l’enlèvement et à la remise de Dr Kizza Besigye (à l’Ouganda) est complètement hors la loi. Ce sont les actions de deux États voyous ».
« Le Kenya n’est pas un État voyou », a répondu ce 22 mai M. Mudavadi, interrogé par l’AFP dans son bureau au ministère des Affaires étrangères. « C’est pourquoi les gens jouissent de tant de libertés dans ce pays » (au Kenya), a-t-il défendu, rejetant toute critique sur un dossier relevant selon lui exclusivement de la souveraineté de Kampala.

« Le Kenya n’est pas en procès ici. Il y a un processus juridique en cours en Ouganda. Et s’il doit y avoir une critique, qu’elle émerge du processus judiciaire en Ouganda », a lancé le ministre, tout en éludant les questions de l’AFP sur l’illégalité d’un enlèvement au Kenya auquel des agents kényans auraient participé.
M. Besigye, 69 ans, ancien médecin personnel du Président ougandais Yoweri Museveni au pouvoir depuis 1986, est dans le collimateur du Gouvernement de Kampala depuis son ralliement à l’opposition il y a 25 ans.
– « Gravement torturé » –
A son arrivée en Ouganda, après son enlèvement, il a d’abord été traduit devant une Cour martiale pour trahison, passible de la peine capitale dans ce pays, avant que son dossier ne soit transféré à un tribunal civil en février 2025. En Ouganda, Kizza Besigye est poursuivi pour complot « par la force des armes pour renverser le Gouvernement », selon l’acte d’accusation consulté par l’AFP.
Le Gouvernement kényan est également fortement critiqué pour le peu d’empressement avec lequel il a semblé défendre un célèbre militant kényan des droits humains, Boniface Mwangi, détenu au secret pendant plusieurs jours par l’Armée tanzanienne, selon Amnesty international, avant d’être libéré ce 22 mai. Son épouse Njeri Mwangi avait condamné ce 21 mai 2025 dans une lettre le « silence assourdissant » de Nairobi après la disparition de son mari, qui était parti en Tanzanie pour apporter son soutien au chef de l’opposition tanzanienne Tundu Lissu.
Ce dernier comparaissait ce 19 mai 2025 dans le cadre d’un procès pour « trahison », politiquement motivé selon ses partisans, pour lequel il risque la peine de mort. Tout comme l’Ouganda, la Tanzanie est accusée de répression politique par les ONG de défense des droits humains. Selon le président de l’ONG de défense des droits humains « Vocal Africa », Hussein Khalid, Boniface Mwangi « a été déposé ce matin (jeudi) au poste-frontière d’Horohoro par des agents de sécurité tanzaniens ». « Il a été gravement torturé et peut à peine marcher », a-t-il poursuivi sur X.

Lors de son entretien avec l’AFP, le ministre Mudavadi, qui avait annoncé cette libération sans plus de détails, a défendu la prudence diplomatique de Nairobi au nom des intérêts, notamment économiques, du Kenya vis-à-vis de la Tanzanie et de l’Ouganda, qui à eux deux représentent 17% des exportations totales du pays.
« Si vous détruisez cette relation, comment allez-vous combler les revenus qui alimentent notre budget? », a-t-il questionné. « Nous devons faire preuve de retenue (…) dans toutes nos interactions. Il y en a beaucoup en jeu ».
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