Il faut sauver le Mozambique des démons de la crise post-électorale en cours depuis 3 mois

Afriquinfos Editeur
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Des membres des Forces de sécurité patrouillent près d'une barricade en feu dans la capitale du Mozambique, Maputo, le 24 décembre 2024. Le pays est secoué par des violences post-électorales meurtrières depuis déjà deux mois.

Près de trois mois après le début de la contestation post-électorale au Mozambique, la SADC (communauté régionale) peine à trouver une approche de solutions, malgré la multiplication de rencontres diplomatiques et l’offre de facilitation de l’Afrique du Sud. Le pays traverse une situation de ni paix ni guerre, alors que s’approche la date de prestation de serment du Président élu contesté, Daniel Chapo.

Au Mozambique, une famille endeuillée pleure une jeune fille de seize ans tuée par balles le jour de Noël 2024, tandis qu’une autre est dévastée par la perte d’un jeune homme de 22 ans, fils, frère et soutien principal de sa famille, tué en marge d’une manifestation post-électorale quelques semaines plus tôt.

Scènes de contestation post-électorale au Mozambique en décembre 2024.

Ces décès ont été imputés aux Forces de sécurité, comme c’est le cas pour nombre des près de 280 personnes tuées au cours de deux mois de violences au Mozambique déclenchées par la contestation des résultats des élections du 09 octobre, selon un bilan établi par une ONG locale. En dépit de nombreuses irrégularités soulevées par les Missions d’observateurs internationaux, le Conseil Constitutionnel a confirmé que Daniel Chapo, candidat du Frelimo (au pouvoir depuis l’indépendance en 1975) avait gagné la présidentielle du 9 octobre avec 65,17% des voix.

Hommages à une victime d’une scène de violence post-électorale au Mozambique en décembre 2024.

A l’appel de l’opposition, qui dénonce des fraudes et une élection ‘volée’, le pays a connu depuis deux mois des manifestations, grèves, blocages et émeutes urbaines dévastatrices. La plupart des morts lors de ces violences sont des jeunes qui ont participé à des manifestations après l’annonce des résultats préliminaires donnant M. Chapo vainqueur. Des groupes de défense des droits de l’Homme affirment que les Forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur les manifestants, dont beaucoup étaient des partisans de Venancio Mondlane, principal opposant mozambicain, qui revendique la victoire à la présidentielle 2024.

Certaines victimes se sont aussi retrouvées prises au piège des violences. Yolanda José Luis, seize ans, a ainsi été tuée dans un minibus dans lequel elle voyageait avec huit de ses proches pour se rendre à une réunion familiale de Noël, a déclaré son frère, Ronaldo José Luis. Leur mère, présente également dans le véhicule, a déclaré que le conducteur n’avait pas remarqué que la Police lui demandait de s’arrêter, a rapporté Ronaldo José Luis, 22 ans. ‘Les policiers ont suivi le minibus et lorsqu’il a atteint un virage, ils ont ouvert le feu. C’est à ce moment-là que ma soeur a été touchée’.

Hommages à une victime d’une scène de violence post-électorale au Mozambique en décembre 2024.

Le meurtre a eu lieu dans la ville de Chimoio, à environ 770 kilomètres au nord de la capitale Maputo. Il a été répertorié par l’ONG Plataforma Decide parmi les 176 survenus dans la semaine après que le Conseil Constitutionnel a confirmé, le 23 décembre 2024, la victoire de Daniel Chapo. Les autorités mozambicaines n’ont pas publié de bilan des récentes violences, mais accusent les manifestants de pillages et d’incendies criminels. Certains policiers figurent également parmi les morts dans ces violences post-électorales, selon le Président mozambicain sortant Filipe Nyusi.

– Une balle dans le dos –

Ana Madivage a perdu son fils de 22 ans le 25 octobre 2024. Elle a été appelée à se rendre au coin d’une rue dans le quartier de Matola à Maputo où une manifestation s’était déroulée. Elle a alors vu son fils au sol, recouvert d’un tissu. ‘Je me suis effondrée à ses côtés, j’ai crié à l’aide. Un groupe de femmes est arrivé et m’a emmenée loin de cet endroit’, confie cette femme de 49 ans. Des témoins, poursuit-elle, ont rapporté que deux Policiers en civil avaient ouvert le feu alors que Silvio et plusieurs de ses collègues buvaient une bière. Silvio travaillait comme agent commercial dans une station service pour subvenir aux besoins de sa mère, de ses deux soeurs et de sa fille de deux ans.

Pedro Guambe, 26 ans, pleure son frère de 24 ans. Il estime qu’il aurait peut-être pu sauver la vie de Pascoal s’il était arrivé un peu plus tôt sur les lieux de sa fusillade, le 10 décembre 2024. ‘Il avait reçu une balle dans le dos et avait perdu beaucoup de sang’, se lamente-t-il. Il ajoute que selon des témoins, le tireur a ouvert le feu depuis un véhicule blanc de type SUV, généralement associé à une Unité spéciale de la Police. ‘Mon frère ne reviendra pas… mais ce que je veux maintenant, c’est un changement dans ce pays pour donner des opportunités aux jeunes, ce que réclamait Pascoal’, lance-t-il.

– Des enquêtes entravées –

Selon l’avocat en droits humains Feroza Zacarias, il est difficile d’établir qui étaient les auteurs de ces fusillades, mais ils sont généralement considérés comme appartenant aux Forces de sécurité. ‘Les Policiers agissent masqués, d’abord parce qu’ils ne veulent pas être identifiés’, indique l’avocat. Les enquêtes sont aussi entravées par le manque d’autopsies, et les actes de décès falsifiés, relève-t-il. ‘Nous n’avons jamais connu auparavant un scénario dans lequel l’Etat, la Police, combat dans la rue son propre peuple, ses propres citoyens’, explique le militant des droits de l’Homme Andre Mulungo.

La violence s’est calmée depuis le 25 décembre 2024, mais la crise politique demeure. Des milliers de Mozambicains ont aussi trouvé refuge dans des pays voisins.

© Afriquinfos & Agence France-Presse