Addis Abeba (© 2025 Afriquinfos)- Actuellement l’Union Africaine n’est pas financée de manière prévisible et durable, tant sa dépendance aux contributions des bailleurs de fonds internationaux pour gérer ses programmes et ses activités reste profonde. Cette problématique se trouve aggravée par le fait que de nombreux Etats membres, pour des raisons diverses, ne versent pas tout ou partie de leurs contributions annuelles à l’organisation. Or, cette situation qui est désormais bien connue des politiques et Sociétés civiles africaines est source de défiance vis-à-vis de cette organisation, de procès en incapacité, voire d’hostilité, comme en témoignent certains commentaires récents, y compris de la part d’anciens Chefs d’Etat, relatifs au financement du nouveau siège de l’UA par un partenaire extérieur, en l’occurrence la République Populaire de Chine.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Lors de sa création (le 25 mai 1963), dans un élan de solidarité, les cinq premières économies d’Afrique (Afrique du Sud, Egypte, Algérie, Nigeria, Libye), s’étaient portées volontaires afin d’abonder à plus de 50% du budget de fonctionnement.
Cependant, cet apport s’est progressivement réduit, en particulier à la suite des évènements survenus en Afrique du Nord dans les années 2010, en particulier en Libye. Par ailleurs, un autre enjeu s’est rapidement imposé: celui de financer les activités liées à la paix et à la sécurité, telles que les missions de stabilisation. Aussi, est-il rapidement apparu une profonde inadéquation entre le mandat de l’UA et ses moyens disponibles. Ce qui a contribué à dévitaliser son action auprès des Etats et des populations africaines, ainsi que sur la scène diplomatique internationale.
Le niveau de dépendance de l’UA vis-à-vis du monde extérieur s’est en effet accru au fil du temps pour atteindre environ deux tiers de son budget de 655 millions USD en 2023 (hors coût des missions de maintien de la paix ou de stabilisation).
Dès lors, cette situation a deux conséquences graves: une d’ordre structurelle, celle de la capacité de l’UA à poursuivre et atteindre ses objectifs, notamment ceux de l’Agenda 2063 ; l’autre d’ordre géopolitique, en compromettant la capacité d’influence et de défense effective des intérêts de l’Afrique.
Ainsi, le mandat du prochain Président de la Commission de l’Union Africaine devra avoir comme priorité de combler l’écart entre les ambitions, les mandats et les ressources, avec pour corollaires:
- L’achèvement du déploiement des mécanismes de financement existants, en particulier ceux définis au cours du Sommet de Kigali de 2016 (1) ;
- La mise en œuvre de mécanismes incitatifs et de sanctions réelles afin de faire en sorte que les pays membres remplissent leurs obligations ;
- La proposition de mécanismes alternatifs de financement afin d’assurer une capacité durable et non volatile (2) ;
- Le suivi et le renforcement de la résolution 2719 du 21 décembre 2023 relative au financement des Opérations de maintien de la paix menées par l’Union Africaine (3).
1/- En juillet 2016, en marge du Sommet de Kigali, s’est tenue une «retraite sur le financement de l’Union» qui a abouti à l’adoption par la Conférence de la décision ordonnant à tous les Etats membres de mettre en œuvre un prélèvement de 0,2% sur les importations d’origine extra-africaines à partir du 1er janvier 2017, collecté par les Etats et reversé dans le cadre de leurs cotisations. L’objectif prévu à l’horizon 2021 était de d’engager les Etats membres à financer 100% du budget de fonctionnement, 75% du budget-programme et 25% du budget des opérations de soutien à la paix. Cependant, en 2022, seuls 17 Etats membres sur 55 avaient déployé ce mécanisme. Aussi, au vue des résultats obtenus, l’Union Africaine a-t-elle décidé de prolonger la mise en œuvre de cette décision pour 5 années supplémentaires, soit jusqu’en 2025. Il reviendra donc au prochain Président de procéder à une nouvelle évaluation ainsi qu’à lui donner le cas échéant une impulsion décisive.
Outre les sources de financement, la réforme s’est étendue à la définition d’un barème de contribution revu sur la base d’autres critères comme la capacité à payer, la solidarité et le partage équitable de la charge. Ces barèmes, fonction du poids du PIB national sur le PIB africain, définissent le niveau de participation de chacun à l’effort budgétaire. Pour rendre cette démarche contraignante, la Conférence a bien avant renforcé le régime de sanctions au défaut de contribution, portant notamment de 2 ans à 6 mois le délai dans lequel un État membre sera considéré comme étant défaillant.
Enfin, la réforme financière de l’UA a institué les mécanismes de surveillance et de responsabilité à travers les «Règles d’Or», ainsi que le contrôle par les représentants des Etats membres. La mise en œuvre effective des «Règles d’Or» a induit des améliorations voulues par la réforme, notamment la rationalisation des budgets annuels successifs de l’Union, la focalisation sur les résultats et l’alignement sur les priorités.
Néanmoins, ces réformes, bien que positives, n’ont pas réussi à combler le déficit chronique de financement. Si les États membres ont assumé l’entière responsabilité des besoins opérationnels de l’Union en atteignant l’objectif de 100% en 2019, les contributions au budget-programme ont enregistré une tendance à la baisse pour atteindre un creux de 21% en 2021. Quant au Fonds pour la Paix, à mi-2022, les collectes cumulées s’élevaient à un peu plus de deux cent soixante (260 millions USD) contre la dotation complète de 400 millions de USD à atteindre.
2/- Plusieurs pistes de mécanismes financement additionnels peuvent donc être envisagés :
- Mettre œuvre un mécanisme contraignant de reversement du prélèvement de 0,2% sur les importations afin de s’assurer de son transfert effectif, à hauteur des contributions dues, comme par exemple, un reversement automatique jusqu’à l’atteinte du seuil de contribution ;
- Accélérer le déploiement du prélèvement de 0,2% en liant l’accès aux avantages offerts par la ZLECAF à l’effectivité de son application ;
- Etendre le champ d’application du prélèvement aux services financiers exclus à ce stade comme les frais d’assistance technique, de know-how et de licence ou les primes d’assurances et de réassurance (à l’instar de ce qu’avait proposé le Président sénégalais Abdoulaye Wade en 2005) ;
- Négocier au niveau de l’Union Africaine une participation financière obligatoire des GAFAM à l’instar de la réglementation mise en œuvre par l’Union Européenne;
- 3/- La résolution 2719 du Conseil de sécurité des Nations Unies fournit un cadre permettant aux opérations de paix dirigées par l’Union Africaine (UA) d’accéder au financement des Nations Unies par le biais de contributions statutaires. C’est une victoire diplomatique importante car elle marque la reconnaissance de fait du rôle essentiel de l’Union Africaine dans la résolution des conflits qui touchent ce continent. Or, de nombreuses crises politiques et sécuritaires persistent et seront probablement malheureusement toujours d’actualité en 2025.
Aussi, des réponses claires et déterminées seront-elles attendues du Conseil de Paix et Sécurité de l’Union Africaine, conjointement avec le Président de la Commission afin de:
- S’engager pour sauver le Soudan
- Préserver la stabilité de l’Ethiopie
- Enclencher la désescalade entre la RDC et le Rwanda
- Redynamiser la diplomatie au Sahel central
- Mettre le conflit de la zone anglophone du Cameroun à l’agenda de la paix et de la sécurité
- Renouveler l’engagement de l’UA auprès de la Somalie, à l’issue de l’ATMIS
- Accompagner le Soudan du Sud dans l’organisation de ses élections, désormais prévues pour 2026.
Ceci est incompatible avec le déficit de financement actuel du Fonds pour la Paix et l’engagement auprès des Nations Unies de financer les opérations à hauteur au moins de 25% du budget. Par ailleurs, malgré le vote de cette résolution, les mécanismes multilatéraux sont en réalité au plus bas du fait de l’accroissement des tensions mondiales et du recentrage des Etats traditionnellement contributeurs sur leurs propres intérêts directs. Il est donc d’autant plus essentiel de mettre en œuvre des solutions additionnelles de financement pour la sécurité même de l’Afrique, le renforcement de ses capacités et la résolution de ses conflits. Il n’y a pas d’échappatoire possible.
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