Féminicides d’un autre âge au Kenya: Des OSC appellent à sévir outrageusement

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L'Ougandaise Rebecca Cheptegei (maillot orange rayé) lors du marathon féminin des Championnats du monde d'athlétisme de Budapest le 26 août 2023.

« C’est un féminicide »: révoltées par le meurtre de l’athlète ougandaise Rebecca Cheptegei, des organisations de protection des droits des femmes au Kenya appellent les autorités à agir contre ces violences sexistes dans le pays.

La marathonienne ougandaise de 33 ans, qui avait participé en août 2024 aux Jeux Olympiques de Paris, a succombé jeudi 5 septembre à ses brûlures, après qu’un homme que la Police présente comme son compagnon l’a arrosée d’essence et embrasée dimanche 1er septembre à son domicile, dans l’ouest du Kenya. Ce meurtre d’une sportive de haut niveau, le troisième dans ce pays d’Afrique de l’Est depuis 2021, a mis en lumière les violences faites aux femmes dans cette locomotive de l’économie est-africaine.

« Oui, c’est un féminicide », a réagi jeudi 5 septembre sur X Njeri Migwi, fondatrice de l’association « Usikimye » (« Ne reste pas silencieuse » en swahili). « Le Gouvernement doit prendre position », accusait-elle la veille dans un entretien, « parce que le Gouvernement ne fait vraiment rien à ce sujet ». « La plupart de ces violences, les violences sexistes, ne sont pas considérées comme un crime », soulignait-elle: « Les comportements patriarcaux dans ce pays sont odieux. »

– « Violence financière »-  

Les statistiques sur le nombre de victimes de violences sexistes au Kenya varient. Un rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) faisait état de 725 femmes tuées dans des meurtres liés au genre en 2022, le chiffre le plus élevé des données de l’Agence remontant à 2015. L’organisation Femicide Count Kenya, qui recense essentiellement les cas relatés dans les médias, en comptabilisait 58 entre janvier et octobre 2022. Elle évoquait 152 féminicides pour l’année 2023 mais « le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé », affirme-t-elle.

Le collectif Africa Data Hub, en collaboration avec la société de statistiques Odipodev et le site d’investigation Africa Uncensored, estime qu’entre 2016 et 2023, plus de 500 femmes ont été tuées dans des violences sexistes! En début d’année 2024, des milliers de femmes avaient manifesté dans la capitale Nairobi, et des organisations avaient appelé le Gouvernement à traiter ces violences comme une « catastrophe nationale ». Les femmes se retrouvent particulièrement exposées lorsqu’elles deviennent soutiens de famille, subvenant aux besoins de leur famille immédiate et élargie, souligne Njeri Migwi: « Si vous regardez bien la situation, c’est de la violence financière ».

– « Pandémie silencieuse »-  

Le meurtre de Rebecca Cheptegei fait suite à ceux de deux autres athlètes dans l’Ouest du Kenya, coeur de l’athlétisme dans le pays. En octobre 2021, Agnes Tirop, 25 ans, avait été retrouvée poignardée à mort à son domicile dans la ville d’Iten, célèbre lieu d’entraînement dans la vallée du Rift. Son mari est actuellement jugé pour son meurtre et nie les accusations. En avril 2022, l’athlète bahreïnie d’origine kényane Damaris Mutua avait été retrouvée morte étranglée à Iten. Son compagnon est soupçonné du meurtre.

« L’ombre de cette violence persistante ne peut être ignorée », affirme l’association de lutte contre les violences sexistes Tirop’s Angels, créée par des athlètes kényans après le meurtre d’Agnes Tirop: « Nous exhortons le public, les organismes sportifs et le Gouvernement à s’unir pour prendre des mesures significatives afin de protéger les femmes et les filles ».

Déplorant une nouvelle victime de cette « pandémie toujours silencieuse », la conseillère du Président William Ruto pour les droits des femmes, Harriet Chiggai, a assuré dans un communiqué travailler avec le ministère des Sports sur « des mécanismes de prévention, de signalement et de réponse » à la violence sexiste dans le sport. Pour l’organisation d’assistance juridique FIDA-Kenya, « il est temps que les auteurs de ces violences soient tenus pour responsables et d’exiger que des mesures soient prises pour empêcher de nouvelles tragédies ».

« Cela doit cesser », insiste également Valerie Aura, du collectif Nguvu qui réclame au Gouvernement de créer des refuges pour les femmes fuyant les violences: « Cela se reproduit parce qu’il n’y a pas de lourdes sanctions pour les auteurs ».

© Afriquinfos & Agence France-Presse